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Une nouvelle fable de Laura Kasischke : En un monde...

Publié le 27 décembre 2010 par Mmepastel
Une nouvelle fable de Laura Kasischke : En un monde...

Une nouvelle fable de Laura Kasischke : En un monde parfait.

(Bon sang, je viens de finir un livre !!! Ça faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé.)

Et c’est un livre particulièrement intéressant, en forme de fable, de parabole. 

L’histoire commence comme un conte de fées : Jiselle, après avoir été longtemps figurante dans sa propre vie, épouse un homme bien sous tous rapports (beau, riche, veuf, séduisant, attentionné…) , inespéré. Elle se coule dans sa nouvelle vie en dérangeant le moins possible, ne croyant pas à sa chance. Et sa nouvelle vie inclut une belle maison de banlieue polissée du Midwest, et surtout trois enfants sur lesquels elle se retrouve à veiller, après avoir démissionné de son travail tandis que son nouveau mari pimpant est de plus en plus absent, pris par ses déplacements professionnels.

Mais, c’est un conte moderne. Un conte dans lequel elle est la belle-mère, et les enfants plutôt peu accueillants. Un conte où des guerres grondent au loin, et où une maladie, un virus nouveau, décime méticuleusement les américains (Britney Spears ! le frère de Brad Pitt !) qui deviennent persona non grata dans le monde entier. Il y a une immense culpabilité qui rôde dans le roman. La culpabilité d’une nation qui pollue, qui s’est fait détester et qui est punie par la planète (l’environnement en colère ayant remplacé Dieu envoyant la Peste Noire). Alors, les banlieusards sortent de leur torpeur et se mettent à glisser vers des conduites à risques, pré-apocalyptiques ; la civilisation s’effondre : l’électricité dysfonctionne plus souvent que le contraire, les échanges internationaux cessent, le carburant devient rare, la consommation devient impossible.

Jiselle, l’oie blanche du début, redresse la tête, courageusement. Elle devient mère. Une vraie. Pas celle qui aurait nécessairement porté les enfants en son sein. Non, les trois enfants sur lesquels elle veille préexistaient à son mariage. Mais une mère qui aime, nourrit et rassure la maisonnée. Pendant que la nature reprend ses droits dans les rues de la banlieue désertée ou décimée, elle se démène pour récolter des vivres, n’hésitant pas à chasser. Le lien qu’elle tisse, soir après soir, avec Sam, le plus jeune enfant, en lisant un recueil de contes d’Andersen dans lequel ils puisent tous deux force et astuces de survie venues d’un autre temps, finit par se généraliser et prendre dans son filet les autres enfants, des voisins esseulés…

En retournant vers des formes d’activités primitives, Jiselle se rapproche de l’archétype de la femme sauvage rendue à ses instincts de survie. C’est un livre qui plairait à Clarissa Pinkolà-Estès, je pense.

Mais surtout, en le lisant, je n’ai cessé de penser à Daphné Du Maurier. Je me demande si c’est un fait exprès, si Laura Kasischke a consciemment rendu hommage à l’auteure britannique. Mais, tout de même, tant de coïncidences… le livre entier me semble truffé de clins d’oeil à Rebecca et à la nouvelle Les Oiseaux (dont l’adaptation d’Hitchcock est évidemment plus connue et à laquelle il est d’ailleurs fait allusion dans le roman dont on parle). Jiselle ressemble tellement à la narratrice de Rebecca, timide et maladroite dans son nouveau rôle d’épouse, écrasée par l’apparente perfection de la morte qu’elle “remplace”. Et la menace extérieure, le virus propagé par les rats où les oiseaux qui force la famille à se replier à l’intérieur, en comptant ses vivres… Jusqu’à la scène (clin d’oeil au film d’Hitchcock ? -c’est le cas de le dire-), où Jiselle découvre le cadavre du voisin aux yeux liquéfiés dans ses orbites-conséquence de la maladie nouvelle- (tandis que le voisin attaqué par les oiseaux avait les yeux crevés et dévorés par lesdits volatiles dans une séquence cinématographique épouvantablement silencieuse)…

Bref, on passe, dans ce livre assez haletant, du conte de fées (auquel pourtant Laura Kasischke nous a habitué à ne pas croire) à une sorte de récit d’anticipation flirtant avec le fantastique (la première partie est ma préférée, quand on bascule dans l’inquiétante étrangeté, dans laquelle excelle l’auteur, où chaque phrase commencée dans l’aise se termine sur une menace imminente), pour retomber dans un genre moralisateur assez schématique, presque allégorique. Un roman très intéressant, mais peut-être un peu trop schématique, trop dégagé des zones floues et libres que l’écriture de Laura Kasischke distille habituellement. Peut-être que cette fois, l’auteure apparaît plus comme citoyenne derrière sa fiction que comme poète. 

Après la crise mondiale, un livre en colère. Une colère peut-être par encore soluble dans la fiction.


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