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Famille de ce monde... de Jules Supervielle

Publié le 31 décembre 2010 par Eric Acouphene
Poème pour une fin d'année... et le début d'une autre.
Famille de ce monde... de Jules Supervielle
Et des milliers de bourgeons viennent voir ce qui se passe au mondeCar la curiosité de la Terre est infinie.Et l'enfant naît et sa petite tête mal fermée encoreSe met à penser dans le plus grand secret parmi les grandes personnes tout occupées de lui.Et il est tout nu sous la pression exigeante de la lumière du jourTournant de côté et d'autre ses yeux presque aveugles au sortir de la nuit maternelle,Emplissant la chambre, comme il peut, de ce vagissement venu d'un autre monde.Et bien que parachevé, il s'ouvre encore à la fragilité dans ses délicates fontanellesTout en fermant très fort ses petits poings comme un homme barbu qui se met en colère.Et sa mère est une géante bien intentionnée qui se dresse dans l'ombre et l'assume dans ses bras,Encore stupéfaite d'entendre cette chair séparée qui a maintenant une voix,Comme un pêcher qui entendrait crier sa pêche, Ou l'olivier, son olive.Famille de ce monde... de Jules SupervielleMais dans l'ombre un sein qui blanchit dessine son cercle auroralEt des lèvres toutes neuves, à peine finies, et qui ont grande hâte de servirTâtonnent à sa rencontreJusqu'à ce qu'on entende un petit bruit de la gorge compréhensiveQuand le lait se met à passer de la mère à l'enfant. Et  la vie va son chemin qu'elle sait ininterrompu Sous le tic-tac de la penduleCar le Temps imbibe jour et nuit de son humidité invisible tout ce que nous faisons sur terre.Mais il ne faudrait pas oublier que le père est dans la pièceEt sentant à l'instant même sa parfaite inutilitéIl trouve que c'est le moment de regarder par la fenêtre Cependant que la grandeur du monde poursuit sa route béante dans une profonde anesthésie,Et la Terre tourne sans effort comme en pensant à autre chose,Et la Grande Ourse et BételgeuseMontrent leur face inhumaine à la portière du train terrestreQui n'a pas l'air de bouger bien qu'il avance toujours, Et l'univers bien huilé fait moins de bruitQue les pieds nus de l'enfant qui frottent l'un contre l'autre,Car l'enfant est encore là, collé au globe maternel.Montevideo, mars 1944.1939-1945
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