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Annus horribilis

Publié le 31 décembre 2010 par Badiejf
Annus horribilis
C'est la reine d'Angleterre qui utilisait cette expression pour décrire l'année 'de cul' qu'avait été 1992 pour son royaume. Il parait que ça se divorçait à qui mieux mieux dans sa famille. Pour Haïti, pas besoin d'un bilan supplémentaire pour comprendre que ce fut annus horribilis (une année horrible), des professionnels sont payés pour le faire dans tous les médias du monde. De Rome, on attrape les chaînes d'information continue de plusieurs pays et outre la langue, les images et histoires sur Haïti se ressemblent. En plus qu'on a passé l'année à produire des milliers de bilans sur Haïti. Dès le 13 janvier, chaque jour apportait son bilan du nombre de morts, de blessés, de maisons détruites, de déplacés …. Même genre de pratiques depuis octobre dernier, on a des bilans journaliers du nombre de personnes touchées par le choléra, les morts à l'hôpital ou dans la communauté, les personnes atteintes, les hospitalisations… Pour les élections, on est toujours dans l'exercice de faire le bilan des fraudes, des résultats et des manifestations. Non, ce qui m'intéresse aujourd'hui ne concerne pas les bilans, mais plutôt certains éléments d'analyse, question de porter un éclairage léger sur ce qui va se passer dans les prochains mois. Je qualifie l'éclairage de léger, question de rappeler à tous que je n'ai pas encore saisi l'insaisissable.
Première question : Les brisures tiendront-elles le coup ? Ou plus concrètement, allons-nous être confrontés à une crise qui servirait d'illustration des énormes fractures sociales haïtiennes et qui, au lieu de les colmater afin d'aider la population à sortir des débris, empirerait davantage la situation ? Vincent Marissal, un chroniqueur de La Presse qui est passé chez nous dans les jours qui ont suivi bagay la et revenu travailler à PAP dans les mois qui ont suivi, illustre de belle façon cette brisure. Il parle de "la déconnexion entre une élite surscolarisée qui rêve de grandes réformes et un peuple qui survit au désespoir grâce à un mélange de foi aveugle en Dieu, de fatalisme bien naturel et d'humour bon enfant." L'enjeu ici est que le tremblement de terre a modifié l'équilibre en générant des attentes dans la tête de cette partie désespérée du peuple, si ce n'est pas en générant des rêves. Et que ces mêmes désespérées voient entrer les milliers de nouveaux 4X4 neufs qui engorgent encore davantage les rues. Il faut percevoir dans cette première brisure l'effet levier auquel l'élite a accès via l'appui de la communauté internationale. En fait, il faut comprendre comment les organisations d'aide et de développement participent à creuser davantage cet écart au sein de la population. Économiquement, la réponse apparait simple. Il faudrait en effet qu'un jour, des économistes se penchent sur l'impact de notre présence sur l'exclusion économique d'une portion significative de la population haïtienne. Je ne parle pas ici uniquement de ceux qui sont les pauvres des pauvres, mais entre autres de cette classe dite moyenne qui vit dans les camps et qui travaille (un juge qui gagne 400$US par mois et qui a perdu sa maison le 12 janvier par exemple), mais qui n'arrive pas à se maintenir la tête hors de l'eau quand le coût de la vie explose par notre simple présence dans le marché (coût de logements, des voitures, de la nourriture, des biens qui font qu'une maison est une maison …). Notre pression à la hausse rend l'équation impossible. Comment réussiront-ils à gérer cet écart qui a été aggravé par bagay la et ses suites ? Comment tenir le couvercle de la marmite des attentes et des frustrations de ces millions de personnes sur la voie de garage ?
La deuxième question s'inscrit dans la continuité de la première mais s'intéresse davantage à la jeunesse haïtienne. Plus de 50% de la population haïtienne a moins de 18 ans selon des chiffres de 2009 (au Québec, les moins de 18 ans correspondent à près de 20% de la population), c'est du 'monde à messe' comme on dit chez nous. C'est cette jeunesse qu'on a vu dans les rues (surtout des hommes) pour appuyer Martelly. Un réseau d'éducation supérieure qui ne peut livrer la marchandise, un marché de l'emploi qui n'offre pas beaucoup d'espoir et une présence internationale qui s'étire et sent la tutelle. Ajouter une épidémie de choléra (qui n'est pas encore à son pic selon tous les experts) pour instrumentaliser toutes ces frustrations, et les quelques animateurs de radio 'populistes' du pays qui attirent aisément ces jeunes ont la partie facile. Qu'est-ce qu'on a à offrir à ces jeunes affamés ? À moins jeune et affamé correspondent à un pléonasme….

Troisième question, comment les élites haïtiennes arriveront-elles à transformer l'éloquence et la poésie de leurs discours en des choses concrètes pour la population ? Les événements des 12 derniers mois ont confirmé les grandes difficultés de l'État à assumer une bonne part de ses responsabilités. Tout le monde se rappelle, avec un petit sourire, des déclarations du Premier Ministre entourant la reconstruction ou encore celles de Manigat au sujet de l'imbroglio électoral : Le problème est haïtien et les solutions devront être haïtiennes… Sur le principe, personne ne peut questionner ce genre d'appel patriotique. Sauf que je ne crois pas que ce discours passe le test de la réalité mais surtout, je croise des dizaines d'haïtiens qui n'y croient pas !! À comprendre le rôle de la communauté internationale dans la réalité historique et contemporaine du pays, peut-on réalistement conclure que le problème et les solutions ne sont qu'haïtiens ? On n'a qu'à constater les contradictions actuelles entre le climat 'ONG-bashing' qui prévaut dans l'arène politique, et la reconnaissance par le Ministre de la santé de l'incapacité du pays de faire face à la crise du choléra, pour conclure qu'on devra sortir du discours simpliste (pour ne pas dire dogmatique) qui prévaut auprès de certaines élites politiques haïtiennes et comprendre que malheureusement, ni le problème ni les solutions ne pourront être qu'haïtiens. Comment ces élites politique pourront établir avec la communauté internationale un nouveau mode de collaboration où le bien-être et le développement de la population seront au centre de l'agenda ?
Dernière question : Est-ce que nous, de la communauté internationale, serons enfin en mesure d'ajuster nos flûtes pour minimalement donner l'impression de jouer les mêmes airs, ou au mieux, d'intervenir de manière cohérente ? Merci de ne pas répondre à cette question …
Bonne année 2011 !!

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