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Pensée stratégique et liberté d’action

Publié le 02 janvier 2011 par Egea

Un interlocuteur, qui prépare une école de guerre, m'envoie ce devoir sur "Pensée stratégique et liberté d'action". ça tombe bien, un autre correspondant me demande des devoirs CID. Avant de lire le corrigé, vous pouvez vous essayer à écrire un plan détaillé.

Pensée stratégique et liberté d’action

Qu'en pensez-vous ? L'aiderez-vous, par vos commentaires, à s'améliorer ?

O. Kempf

Pensée stratégique et liberté d’action.

La guerre a connu à travers les âges, et selon les circonstances, différentes formes qui ont été conceptualisées et théorisées par les grands stratèges. Grace à l’invention d’armes de guerre de plus en plus élaborées et perfectionnées, de nombreux chefs guerriers ont su puiser dans la richesse de l’anthologie stratégique pour mener leurs Hommes vers la victoire, ultime objectif des confrontations armées. Déclarée pour divers motifs, la guerre a petit à petit dessiné le Monde contemporain, jusqu’à aboutir à l’équilibre de la dissuasion nucléaire avec l’avènement de l’arme atomique. Seulement, à l’issue de la bipolarité, ayant entrainée la disparition d’un ennemi classique, et l’apparition d’une insurrection particulièrement coriace et irréductible, les décideurs au sein des armées occidentales, quoique disposant d’un armement nec plus ultra, sont surpris par leurs échecs dans la guerre asymétrique des temps modernes. La technologie, trop mise en avant, devient l’unique instrument de la stratégie de guerre, sans réduire pour autant les champs d’incertitudes, dus au brouillard et à la friction lors des opérations. Enfanté par la Révolution dans les Affaires Militaires et impliquant plus d’économie des forces et nettement moins de concentration des efforts, force est de constater que le tout technologique ne garantit pas toujours l’obligatoire liberté d’action.

De ces trois principes, toujours aussi valides, c’est justement le dernier qui est le plus important dans l’art de la guerre. Aussi est-il légitime de se demander dans quelle mesure la pensée stratégique pourrait encore l’assurer dans un environnement incertain. La pensée stratégique à l’aune des guerres irrégulières, devrait favoriser une certaine liberté d’action par l’élaboration de modèles dynamiques visant à rétablir un semblant de symétrie des conflits afin de replacer la guerre dans son contexte normatif et en renforçant l'harmonie et la communion du couple politico-militaire au moyen d'une sorte de synchrostratégie afin de concrétiser les objectifs politiques.

Pour argumenter cette approche, il serait possible d’imaginer des études prospectives à propos d’une nouvelle modélisation de la guerre au niveau stratégique, ses implications sur l’art opératif et son impact sur le champ de bataille.

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Une réactualisation de la réalité de la guerre, une définition d’objectifs réalistes et une recherche permanente de sortie de crise honorable constituent le noyau dur de la future démarche stratégique.

En effet, il est primordial de rappeler aux objecteurs de conscience que la guerre demeure toujours l’une des activités naturelles de l’Homme. Il est communément admis aujourd’hui que la majorité du public, en particulier dans les sociétés occidentales, renie la notion de guerre en raison des conflits meurtriers du siècle passé. Or, depuis les temps les plus reculés, cela va de soi que dès qu’il y a recours à la violence sur un théâtre, il y a la guerre. Ce ne sont pas les images choquantes et les critiques véhiculées par les médias sur les guerres et leur déroulement qui fuiront cette réalité. Affrontement des volontés pour Beaufre, caméléon selon Clausewitz, elle peut prendre des formes moins familières comme l’insurrection - longue et coûteuse en vies et en matériels - qui nécessite de solides motifs et griefs pour gagner l’adhésion populaire.

De plus, il faut songer à éviter que la guerre irrégulière finisse par exister d’elle-même sans commune mesure avec la finalité politique. La manifestation de telles guerres dans la durée en raison de l’incapacité à neutraliser ou détruire l’adversaire, leurs répercussions sur le taux d’attrition en raison de la montée des effectifs engagés au sol ainsi que leur impact budgétaire en raison des équipements coûteux mis en oeuvre comportent le risque de plonger ces guerres dans une spirale impossible à maîtriser. Une intervention ne peut aboutir que si des objectifs réalistes et clairement identifiés sont désignés pour concourir rapidement, dans des délais respectables et dans un climat de confiance, à la pacification et à la reconstruction d’une contrée au lieu d’imposer une situation ne répondant pas aux attentes et espérances des locaux et de l’opinion publique.

Enfin, la mise à profit d’avantages acquis sur le terrain devrait permettre une sortie de crise louable sans perdant ni gagnant. Les efforts à entreprendre passent par le confinement de l'insurrection dans des poches de terrain pour symétriser le conflit. Il faut donc chercher une rapide capacité d’influence sur la population, berceau où se terrent les insurgés selon Mao, non pas en procédant à son évacuation, mais en gagnant son coeur. La rupture des liens qui unissent civils et rebelles peut être réalisée par l’aménagement de routes carrossables contrôlées qui permettront tout naturellement aux non-combattants de converger vers les agglomérations sécurisées. En appréciant le retour à la quiétude de la vie paisible, cette population prendrait aussitôt le relais en réduisant elle-même les fauteurs de trouble tout en créant une issue favorable au retrait des forces.

Ainsi, une bonne vision stratégique devrait prendre en considération la justification d’un engagement irrégulier, la cohérence de ses objectifs et son heureuse issue. Cela n’a de sens que si sa prévision opérationnelle est menée avec perspicacité.

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Le principal défi futur de la planification opérationnelle réside dans un profil de commandement versatile, dans l’adéquation entre fin et moyens et dans la parfaite perception de l’environnement du théâtre des opérations.

En effet, il y a lieu d’instaurer un commandement opérationnel polyvalent capable d’établir des directives en toutes circonstances. Dans un environnement de plus en plus multinational et face à un adversaire subversif, furtif et souvent disséminé, les centres de commandement, bien qu’ils soient censés établir à l'avance des planifications, devraient donc évoluer pour être en mesure de réagir à une perturbation soudaine des opérations en cours. Il s’agirait de mettre en place, dans et autour de ces plateformes, des réservoirs de réflexion politico-militaires dotés de hautes facultés cognitives. Ceci, pour tenter de réduire les délais incompressibles dans les décisions avant, pendant et après la gestion de la crise, tout en s’opposant aux actions de diversion pouvant directement interférer avec la désignation des objectifs prioritaires sur le théâtre.

Par ailleurs, le monde politique, devrait s’atteler à porter un jugement équilibré sur les limites des outils militaires et diplomatiques. Il est utile que dans les hautes sphères, les acteurs de la vie politique, économique et sociale d’une Nation aient une connaissance pointue de ce que représentent le déploiement et l'emploi d’une force. En imprégnant les grands décideurs d’une culture militaire et opérationnelle, il serait possible de susciter la confrontation des idées afin d’éviter les débâcles, genre Irak et Afghanistan, car la décision d’utiliser la force est vitale, comme l’a déjà dit le vénérable Sun Tzu. Dès lors, l’unanimité autour d’un objectif clair et accessible fera en sorte que les grammaires diplomatiques et militaires puissent se relayer à travers une synchrostratégie menant sans ambages au succès pour satisfaire le but politique déclaré.

Enfin, le chef militaire en charge d’un théâtre d’opérations devrait posséder le coup d’oeil clausewitzien pour maîtriser l’environnement de la crise. Il s’agit de l’aptitude à apprécier les circonstances pour décider avec justesse, c'est-à-dire la capacité qui émane du vécu, du savoir et de la culture. De Gaulle disait : "Il faut former des cerveaux et des caractères". De ce côté, après le tout technologique, le métier de militaire devrait connaitre un élargissement au niveau des hommes. La lecture de l’Histoire, en particulier militaire, et la méditation des traités des bons stratèges donneront à un JFC indécis la possibilité de reconsidérer l’ensemble des facteurs environnementaux soumis à l’expertise des spécialistes de son état-major afin de dégager, consciencieusement, la proposition la plus cohérente, celle qui colle avec la réalité de la guerre et son panorama.

Ainsi, au niveau de l’art opératif, la synergie mieux affirmée du monde politico-militaire et la richesse culturelle de planificateurs au caractère bien forgé constituent un gage de bonne conduite de la guerre. Cela aura nécessairement un impact tactique

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Des innovations en matière de structures de forces et de matériels soutenues par une meilleure collecte de renseignements permettraient de combler les carences du tout technologique au profit d’une néo-tactique adaptée aux circonstances.

En effet, il est nécessaire de privilégier un modèle de forces modulaire répondant aux contraintes tactiques du moment. Cela est particulièrement le cas des forces terrestres car, pour tenir une position, il faut du volume. Depuis l’abandon de la structure divisionnaire en raison de la Transformation des armées, le retour à l’empreinte durable au sol se fait sentir face à l’insurrection. Il ne s’agit pas de souscrire à des concentrations de forces, cibles privilégiées des coups de main de l’ennemi, mais de combiner la manoeuvre au moyen d’unités mobiles à vocation défensive ou offensive afin de maitriser, dans le temps et dans l’espace, le terrain. Ce dernier sera alors quadrillé de proche en proche sur tous les compartiments et cette innovation tactique permettra de contrer progressivement l’imbrication à grande échelle tant recherchée par l’adversaire.

De plus, la combinaison de matériel High Tech et de matériel rustique répondrait mieux aux effets majeurs sur les objectifs. Il n’est pas question de mettre en oeuvre uniquement des armes et des équipements onéreux et nécessitant une formation pointue, mais de remettre en ligne des véhicules, chenillés ou non, et des armes ayant fait leurs preuves dans la guerre symétrique. Ces legacy systems, encore disponibles en grande quantité et dans de courts délais, devraient donc être remis en ligne au profit d'une infanterie légère à la suite de légères adaptations pour s'accommoder de l'armement moderne. Combinés à une utilisation sélective de la technologie, comme les drones tactiques pour compenser le manque d’effectifs, ces matériels renforceront la manoeuvre par le tir direct en mouvement et l'exploitation rapide de l’offensive dans la profondeur.

En dernier lieu, le retour au renseignement humain demeure une gageure face à la grande quantité de renseignement électronique. Si le volume des informations numériques augmente rapidement avec la technologie, il augmente également l’incertitude car leur exploitation requiert un raisonnement hors pair face à un ennemi ne se dévoilant que peu sur le terrain. Comment distinguer un insurgé d’un brave berger si ce n’est qu’en faisant appel au renseignement classique. Pour Sun Tzu, la réputation des espions, n'est plus à faire. Un drone tactique, même équipé des systèmes optroniques et acoustiques les plus évolués, ne peut percer les mystères. Les éléments des forces spéciales déployés le long des lignes d’opérations et les autochtones ralliés puis infiltrés constituent la meilleure alternative pour combler les carences en renseignement.

Ainsi, une tactique originale reconfigurant judicieusement les forces de surface, faisant appel à des matériels adéquats et s’appuyant davantage sur les procédés HUMINT permettrait de garantir une liberté d’action sur le terrain.

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En définitive, malgré la supériorité technologique mise oeuvre par les armées modernes, la liberté d’action est mise à mal en raison du brouillard et la friction qui caractérisent les guerres asymétriques en particulier. Afin de contourner cet handicap, les penseurs et décideurs devraient orienter leur vision vers une stratégie conciliant les buts politiques et les moyens en remettant la guerre au gout du jour, en formulant des objectifs rationnels favorisant une issue décisive, en mettant en oeuvre une synchrostratégie politico-militaire lors de la conduite des opérations et en combinant judicieusement les Technologies de guerre avec la tactique classique.

Le règlement des crises insurrectionnelles ne devrait pas pour autant détourner l’attention des penseurs du risque latent que représente la prolifération. Les réflexions des stratèges ne pourront peut-être pas ménager la chèvre et le chou.

signé : le mitron


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