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La culture berlinoise dans tous ses états (1)

Publié le 03 janvier 2011 par Labreche @labrecheblog

De retour de Berlin, la Brèche s’intéressera aux différentes facettes de la vie culturelle de cette ville. Dans ce premier volet, zoom sur les raisons de son attractivité et la vie artistique underground.

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"Une ville pauvre mais sexy"

Le prix du mètre carré à Berlin explique en grande partie son attractivité auprès des artistes. En effet, il évolue entre 1000 à 2500 euros (www.aden-immo.com, 2010), quand son prix moyen est de 7159 euros (www.meilleursagents.com, 2010) à Paris. C’est en grande partie pour cette raison que de nombreux artistes migrent vers la capitale allemande. Notons que selon la FNAIM, les loyers mensuels y sont très abordables comparés aux autres grandes villes d’Europe. Ils varient de 5,5 euros à Berlin à 35 euros pour Londres. Toutefois, les loyers augmentant certains artistes doivent quitter le centre pour des quartiers moins chers, vers le sud ouest de la ville.


Cependant, vivre de sa production artistique reste difficile. Berlin est une des capitales européennes les plus pauvres et on y trouve peu d’acheteurs. En 2006, le Produit Intérieur Brut (PIB) de Berlin s’élevait à 21 869 euros alors qu’il était de 28 850 euros pour Madrid. C'est pourquoi, certains artistes se déplacent vers d’autres villes ou à l’étranger afin de commercialiser leur production. Cette "ville pauvre et sexy" selon les propos du maire de la ville, Klaus Wovereit, ne suffit pas à nourrir tous ses artistes mais continue à en attirer.

Ces artistes déclarent que c'est une ville  aux multiples opportunités. Bruno Martineau, artiste français, estime qu'à Berlin on pénètre dans d'autres "dimensions " (entretien, Rfi 2010). Effectivement, les rues de Berlin laissent à voir aux badauds un paysage urbain pluriel, où l’on croise des immeubles rescapés, reconstruits, ayant connu plusieurs vies en un siècle. Mentionnons le bunker d’Albert Speer, architecte du régime nazi, devenant successivement après la seconde guerre mondiale (1939-1945), une prison, un  lieu de stockage des bananes envoyées par Cuba à la République Démocratique Allemande (RDA), puis au moment de la réunification une boîte de nuit, est finalement, en 2003, transformé en une fondation d’art contemporain par  Christian Boros, un homme d’affaires.  Il y aussi le bâtiment abritant les artistes de Tacheles, ce grand magasin du début du 20e siècle, devient au moment où il est menacé de destruction, ce squat célèbre.

Des marges aux cadres : les squats artistiques de Berlin

Parmi les plus grands squats artistiques on compte, Kunsthaus Tacheles et Rauchhaus. Ils font partie des  lieux de la vie culturelle underground ou marginale de Berlin. Toutefois, la pression immobilière aidant, l’identité de ces lieux a évolué en quelques années.

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Kunsthaus Tacheles est sans doute l’un des squats artistiques de Berlin et d’Europe les plus connus. En 1990, des artistes décident d’investir des bâtisses laissées à l’abandon à Berlin Est dont celle de l’Oranienburgstrasse. Celle-ci devient rapidement un lieu phare de la culture alternative. Réunis au sein de l’association qu’ils ont créé Tacheles e.V (« parler franc » en yiddish), ces artistes espèrent ainsi promouvoir et créer ensemble « l’art libre ».  Tout fonctionne pendant trois ans de 1990 à 1993 mais change lorsque vient la reconnaissance des institutions publiques et privées.  En effet, l'association reçoit des subventions du quartier Mitte, où elle se trouve, et du Sénat. Cette situation, nouvelle, provoque l'implosion du collectif, certains estimant que leurs idéaux ont été bradés. Pourtant, en 1996, l’État décide de vendre 3 hectares du terrain, jugé trop peu rentable, et le Sénat gèle les subventions. Et c’est finalement un groupe immobilier Fundus qui fait office de médiateur en rachetant le terrain et en proposant un bail aux artistes de 10 ans pour 1 mark symbolique. Fundus propose cet arrangement en échange de l’acceptation d’un aménagement futur. Aujourd’hui, ce sont des projets d’aménagements  qui menacent Tacheles (40 nouveaux immeubles de standing : bureaux, logements). Les artistes avaient jusqu'à la fin du mois de juillet 2010 pour évacuer les lieux. En novembre, résistant aux injonctions, ils continuent d’exposer.

Rachhaus, situé à Berlin Ouest, est crée en 1971. Le fonctionnement et l’esprit qui animait Rauchhaus ont bien changé. La décomposition des liens entre résidents et de la pression immobilière expliquent cette mutation. Aujourd’hui, les artistes décrivent le lieu comme une  "maison occupée "(entretien www.positiverage.com, 2010). Chacun y a un espace privatif même si un voilage fait souvent office de porte d’entrée des appartements. Bien que les décisions soient prises en commun lors du Plenum hebdomadaire (le jeudi), des artistes disent que le Rauchhaus ne fonctionne plus comme une communauté. En effet, les conflits se multiplient entre artistes de la première heure et les plus jeunes. Les plus âgés estimant que les jeunes n’ont plus de repères (drogues, jeux vidéos, etc.) et les jeunes jugeant les plus vieux trop renfermés. Par ailleurs, à partir de 2003 la vie de ce lieu est progressivement réglementée par la municipalité de Berlin. Cette dernière a fait signé un contrat aux résidents stipulant que ceux-ci doivent avoir une activité scolaire ou professionnelle. En outre, les résidents se sont engagés à rénover le bâtiment. Enfin, ils paient un loyer mais ont  depuis cumulé une dette de 30 000 euros. Ce contrat a pris fin et la pression que subit Rachhaus s’accentue.

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Au final, l’évolution de ces lieux de marginalité reste complexe. Il s’agit de l’histoire d’artistes guidés par une utopie, investissant un lieu, et finalement contraints de composer avec des enjeux urbains contemporains. Michel Lussault (De la lutte des classes à la lutte des places, 2009) analyse la manière dont les individus se voient attribuer des places en fonction de leur position sociale (ici artistes) et des normes spatiales (ici rénovations, aménagements urbains). Les décisions politiques ont un impact immédiat sur l'essor artistique. S’intéresser aux problèmes qui secouent ces lieux n’est pas seulement prendre parti pour des artistes, mais également s’interroger sur un découpage de l’espace urbain assimilant ceux qui n’en ont pas les moyens économiques aux pions d'un échiquier. Même si cesartistes devront sûrement encore une fois se plier aux exigences de leur propriétaire. Un espoir subsiste quand on sait que 400 000 touristes s’y pressent chaque année, un  lieu rentable pour la ville.

Berlin, capitale européenne de la création artistique ?

En dépit de ces éléments , Berlin reste captivante.  Il y a plus de 120 nationalités d’artistes, 880 chœurs amateurs et professionnels, 400 troupes de théâtres, des squats d’artistes dit en marge de renommée mondiale, ou encore 14 cafés théâtres, 256 bibliothèques publiques et 17 musées. Face à ce foisonnement culturel,  Bernard Montferrand, l’ambassadeur de France en Allemagne, a décidé en 2009 d’organiser l’opération « Berlin-Paris ». Ainsi, onze galeries berlinoises ont invité treize galeries parisiennes à exposer pendant dix jours. Cette opération a été un succès et a permis de montrer l’importance aujourd’hui pour les artistes d’être exposé à Berlin, capitale de la création artistique.

En outre, la remise du prix Marcel-Duchamp, en 2010, à Cyprien Gaillard, jeune artiste français méconnu et vivant à Berlin, confirme l'idée que Berlin s'impose comme une lieu artistique incontournable en Europe. En effet, crée en 2000, le prix Marcel-Duchamp est attribué par l'Association pour la Diffusion Internationale de l'Art français (ADIAF) en partenariat avec le Centre Pompidou, le Musée National d'Art moderne et la Foire International d'Art Contemporain (FIAC). Ce prix récompense les artistes travaillant dans les arts plastiques et visuels et qui contribuent au rayonnement artistique de la scène française. En régle général, les artistes récompensés résident en France mais cela n'est pas le cas.  Ici, sont courronés Cyprien Gaillard et la capitale allemande qui a su  donner une place aux artistes nationaux et étrangers.

En définitive, cette harmonie, ce particularisme berlinois est-il menacé par les tensions croissantes entre les aménagements urbanistiques et cette profusion artistique ? Les articles à paraître traiteront de l'histoire de Berlin et de la manière dont cette histoire imprègne son paysage.

Crédits iconographiques : 1. Bâtiment de Kunsthaus Tacheles © 2010 La Brèche - 2. Façade de Rachhaus ©  2010 La Brèche - 3. Scupture en fer (Rachhaus) © 2010 La Brèche.


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