Il emmènera Carla avec lui en Martinique et en Guadeloupe pour ses voeux aux Antilles, en fin de semaine. L'instrumentalisation de son épouse ex-top modèle à des fins politiques se confirme un peu plus chaque jour. « Il semble que l’on compte beaucoup sur l’effet Carla pour réussir cette arrivée populaire.» précise France Antilles. Expérimenté et protecteur, telles sont les deux qualités de Nicolas Sarkozy qu'on nous vend. Expérimenté, il l'est assurément quand il s'agit de mener une campagne. Protecteur, il l'est tout autant, mais de lui-même. Museler d'avance des anciens proches éconduits avec quelques hochets honorifiques, évacuer les encombrants, masquer la précarité, déstabiliser la justice, encourager les donateurs, le portrait de Sarkozy en précampagne pour 2012 est de plusieurs points de vue terrifiant.
Museler les opposants
Le jeu politicien se dévoile. Fadela Amara, ancienne fausse grande gueule du précédent gouvernement Fillon a reçu cette semaine deux jolies promotions pour qu'elle se taise : une Légion d'Honneur, un « honneur » qu'elle partage avec Christine Boutin, son ancienne ministre de tutelle entre 2007 et 2009; et une nomination à l'inspection générale des affaires sociales. A l'UMP, Jean-François Copé a chargé l'ancien villepiniste Bruno le Maire de travailler au projet du futur candidat UMP à l'élection présidentielle de 2012. Une autre ancienne villepiniste débauchée en novembre dernier, Marie-Anne Montchamp est mise en avant pour contrer un peu plus son ancien mentor. On se souvient que Mme Montchamp craignait pour son poste de députée après le redécoupage électoral, ce qui l'encouragea (sic !) à rejoindre les rives sarkozystes en devenant, en novembre dernier, Secrétaire d'Etat auprès de la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale. Depuis, elle est inexistante, Roselyne Bachelot s'étant saisie du dossier de la dépendance, sauf pour tacler son ancien mentor Villepin.
Lâcher les encombrants
Non content de calmer les critiques éventuelles de l'intérieur, Nicolas Sarkozy se débarrasse sans souci ni complexe de ses plus fidèles dès lors qu'ils deviennent encombrants pour sa cause personnelle. En juillet dernier, Alain Joyandet, secrétaire d'Etat à la Coopération, plus sarkophile que Sarkozy lui-même, s'était tellement senti lâché après la polémique sur son permis de construire à Saint-Tropez et l'utilisation d'un jet privé aux frais de l'Etat qu'il en avait démissionné, dégoûté. Sarkozy avait poussé la courtoisie jusqu'à prétendre ensuite qu'il l'avait viré. Le soldat Woerth a subi le même sort. Evincé du gouvernement, il avait dû s'étrangler de rage en entendant son ancien patron expliquer à des millions de Français à la télévision qu'il ne pouvait garder Woerth au gouvernement à cause de ses probables rendez-vous devant le juge. Mardi, Woerth a voulu contre-attaquer ! La nouvelle a fait ... pschitt ! Mardi 4 janvier, l'ancien trésorier de l'UMP et ancien ministre a expliqué au Figaro qu'il n'avait pas pris seul la décision, en mars dernier, de vendre les 57 hectares de terrain de l'hippodrome de Compiègne à la Société des courses de Compiègne (SCC) - « association à but non lucratif » précise-t-il - juste avant de quitter le ministère du budget, pour la modique somme de 2,5 millions d'euros : « Ce dossier m'a occupé six minutes, peut-être sept. Le 12 mars 2010, c'est Matignon qui a tranché lors d'une réunion interministérielle informelle. Y assistaient les représentants de Bercy et de l'Agriculture. Le cabinet du premier ministre a arbitré dans le sens de France Domaine. » Eric Woerth botte donc en touche, oubliant de rappeler (1) que France Domaine était placé sous sa responsabilité, (2) qu'il est curieux qu'une telle cession d'une forêt publique se décide lors d'une réunion « informelle », et (3) que les dates avancées pour cette décision concordent mal avec d'autres précédemment évoquées. Pire, les services du premier ministre ont confirmé l'existence de cette réunion informelle, mais pas « l'arbitrage » de Fillon derrière lequel Woerth s'abrite : « Il y a eu une réunion informelle à Matignon, au niveau des conseillers, à la demande du ministère de l'Agriculture. Lors de cette réunion, les deux ministères de l'Agriculture et du Budget sont tombés d'accord sur la procédure de vente.» En d'autres termes, François Fillon, ou ses conseillers, n'ont pas imposé ni décidé cette vente.
Au printemps, le Canard Enchaîné avait rappelé que le président de la SCC était également l'un des dirigeants de France Galop, association dont Florence Woerth, épouse de l'actuel ministre du Travail, fait partie depuis 2003. Eric Woerth saura le 13 janvier prochain, s'il doit passer devant la Cour de justice de la République.
Déstabiliser la justice
En période (pré)électorale, la justice doit être tenue en laisse. Quand certaines affaires dérapent, comme le Karachigate, il faut calmer les impatients et les curieux. Sans surprise, le ministre de la Défense a ainsi décidé de déclassifier les 23 documents pour lesquels la Commission consultative du secret de la défense nationale a donné un avis favorable. 28 autres documents resteront au secret.
Plus généralement, un récent ouvrage d'une journaliste de l'AFP s'intéresse aux relations de Nicolas Sarkozy avec le monde judiciaire. Le titre est évocateur : « Le Justicier, enquête sur un président au-dessus des lois ». Dorothée Moisan décrypte ainsi la tactique sarkozyenne en trois temps : se placer du côté des victimes, rudoyer les magistrats (pressions, engueulades, accusations), inonder la justice de lois en tous genres sous le coup de l'émotion. Depuis 2002, 35 lois sur la sécurité et la justice ont ainsi été votées. Cette boulimie législative engorge la réglementation (voire les prisons), sans que des moyens supplémentaires soient accordés ni une quelconque modernisation amorcée. La situation carcérale, par exemple, est intolérable.
Dans sa manoeuvre pour affaiblir la justice, la réforme de la carte judiciaire a joué son rôle car elle affaiblit la justice de proximité. Après la suppression de 178 tribunaux d'instance et juridictions de proximité, 62 conseils des prud'hommes, 55 tribunaux de commerce et 85 greffes, 17 tribunaux d'instance en province ont fermé leurs portes depuis le 1er janvier, comme le rappelle Tefy Andriamanana sur Marianne2. Au total, près de 200 tribunaux ont été supprimés. On n'a jamais bien compris le sens de cette réforme de la carte judiciaire, passée au forceps par l'ancienne Garde des Sceaux Rachida Dati. S'agissait-il de faire des économies ? Pas le moins du monde. Très vite, on a pointé du doigt les surcoûts de la réforme (900 millions d'euros). S'agissait-il de rationaliser la couverture judiciaire ? Que nenni ! La réforme a supprimé des tribunaux, sans en créer d'autres. L'éloignement des tribunaux complique l'accès des justiciables, perturbe la tâche des forces de l'ordre, sans moyens supplémentaires pour assurer les transferts nécessaires, et engorge des tribunaux déjà sous pression. Le nouveau ministre de la Justice Michel Mercier a dû prévoir une enveloppe de 21,5 millions d'euros pour l'accompagnement social des personnels judiciaires concernés par les suppressions de juridictions (400 magistrats et 1400 fonctionnaires).20 autres millions sont prévus pour la réinstallation des avocats.
Cette déstabilisation de la justice se poursuivra en 2011. L'introduction annoncée de jurés populaires dans les tribunaux correctionnels ne sert qu'à cela : insinuer le doute quand à l'objectivité et au professionnalisme des magistrats.
Cacher la précarité
Pour que la manoeuvre soit complète, il faut, enfin, cacher la précarité croissante du pays. La précarisation de la société doit autant à la crise depuis 2008 qu'à des évolutions plus structurelles. Et L'homme du Fouquet's l'a bien compris. Pour preuve, ses efforts à paraître désormais « expérimenté et protecteur », lui qui n'avait que la rupture à la bouche en 2006-2008. Mais il lui faut éviter que ne se cristallise une contestation protéiforme contre la précarité, comme lorsqu'une fraction de la jeunesse s'était brutalement mobilisée contre la réforme des retraites en octobre dernier.
Jeudi, l'INSEE a publiésa dernière étude sur le logement. Quelque 3,2 millions de personnes sont mal logées en France. Se basant sur des données vieilles de 4 ans, l'INSEE évaluait à 133 000 le nombre de sans-domicile. 85 000 autres personnes vivaient dans des abris de fortune. Et 2,1 millions dans des logements « privés de confort ». Depuis, où est passée la rupture sarkozyenne ? On l'attend toujours. Cet « exemple » n'est pas isolé. On pourrait commenter la pauvreté des familles mono-parentales, les difficultés d'accès aux soins, l'ampleur du sous-emploi, etc.
Encourager les donateurs
Pour faire campagne, il faut de l'argent. Le Premier Cercle était pour cela. Il existe toujours. Et l'affaire Woerth/Bettencourt avait permis de mettre en lumière cette pratique légale mais curieuse des micro-partis, des associations politiques dédiées à une personnalité, qui leur permettait de contourner le plafond de financement par les donateurs privés et de s'accorder une relative autonomie par rapport au parti principal. La Commission Nationale des Comptes de Campagne et des Financements Politiques (CNCCFP) vient de publier au Journal Officiel son rapport 2009.
Si quelques cas marginaux existent à gauche ou à l'extrême droite (Jean-Marie Le Pen, via Cotelec, a perçu 263.000 euros de personnes physiques en 2009), l'essentiel de ces micro-partis se trouvent dans la galaxie UMP : Jean-François Copé (238.000 euros perçus de personnes physiques en 2009), Michèle Alliot-Marie (6 000 euros pour « Le Chêne »), Laurent Wauquiez (34.000 euros pour son « Nouvel Oxygène »), Nicolas Sarkozy (8 000 euros pour ses « Amis »), Eric Woerth (21 000 euros), Gilles Carrez (9 000 euros), François Fillon, et même Valérie Pécresse (« Changer, c'est possible »). Cette dernière, tête de liste UMP aux élections régionales de mars 2010, a recueilli 390 000 euros pour la seule année 2009, comme le révèle Mediapart. Les montants perçus par Valérie Pécresse sont quasiment du niveau que ceux recueillis par le Parti Socialiste cette même année (446.000 euros) et près du double de ceux des Verts (206.000 euros) ou du Modem (232.000 euros). Rappelons que ces dons de personnes privées, plafonnés à 7.500 euros par association et par an (et 4.600 euros en cas de campagne) sont défiscalisés à 66%...
Bref, la République irréprochable est bien loin.
Ami sarkozyste, où es-tu ?