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Abd Al Malik, le "guerrier de la paix" contre les "délinquants spirituels" de l’islam

Publié le 07 janvier 2011 par Sylvainrakotoarison

Séparer la démarche spirituelle de la violence politique. C’est le message très républicain et très français d’un des rappeurs les plus récompensés de l’Hexagone.

Malik,
Abd Al Malik est un chanteur de 35 ans et demi français d’origine congolaise. Il est né à Paris et a vécu toute son enfance dans la banlieue de Strasbourg (après ses premières années à Brazzaville). Il a eu une adolescence très mouvementée, celle d’un délinquant. Brillant esprit, il réussit néanmoins à faire des études de philosophie et de lettres à l’Université de Strasbourg.

À 16 ans, il se convertit à l’islam et est devenu depuis quelques années un chanteur à grand succès d’un mélange de rap, slam et jazz.

Des textes riches pour pacifier

Abd Al Malik (qui est son nom de scène, Malik reprenant son prénom Régis voulant dire roi) est un garçon très intéressant. Il revendique sa religion mais à titre privé et se revendique également totalement français. Il parle depuis la banlieue et essaie de s’élever et d’élever ses camarades pour apporter la paix et encourager le "vivre ensemble".

Il a écrit en 2004 un livre au titre très évocateur : "Qu’Allah bénisse la France" et en 2009 : "La guerre des banlieues n’aura pas lieu", un
Malik,
essai qui a été récompensé par le Prix Edgar-Faure 2010 (le Ministre de l’Agriculture Bruno Le Maire a reçu ce prix en 2008 pour "Des hommes d’État").

Je ne connais pas grand chose du rap et généralement, je n’y ressens pas beaucoup d’harmonie musicale. J’ai pourtant découvert Abd Al Malik il y a quelques années par sa chanson "Les Autres" de son album "Gibraltar".

Et il faut dire que j’apprécie à la fois les paroles et le personnage. Car Abd Al Malik possède un réel talent dans ses textes. Il s’est notamment inspiré de Jacques Brel avec sa chanson "Ces gens-là" (qu’il chanta même en introduction à sa propre chanson "Les Autres" dans l’émission "Taratata" n°189 enregistrée le 11 septembre 2006 et diffusée le 27 octobre 2006 sur France 4), mais aussi d’autres références (comme Albert Camus).

Il y décrit son ancienne petite vie de délinquant : « J’étais voleur et avant d’aller voler, je priais. Je demandais à Dieu de ne pas me faire attraper. Je lui demandais que la pêche soit bonne, qu’à la fin de la journée, le liquide déborde de mes poches. Bien souvent, j’ai failli me noyer, j’ai été à sec aussi, souvent… » ainsi que son emploi du temps de jeune oisif fait de petites lâchetés : « J’me faufilais dans mes couvertures et j’dormais toute la journée, le style "Vampire", dormir toute la journée et rôder une fois le soleil couché, le genre de prédateur à l’envers, le genre qui à la vue d’un poulet meurt de peur. ».

Surtout, il se moque un peu de ses copains qui n’assument pas leurs actes et qui reportent la responsabilité sur les autres : « Je ne me suis jamais fait prendre, et si j’avais été pris, aux keufs, j’aurais dit… Les autres, les autres, c’est pas moi, c’est les autres… ».

Hors du manichéisme communautaire

Tout l’art et l’intelligence du chanteur, primé par trois Victoire de la musique (2007, 2008 et 2009), ont été de parler à la première personne du singulier, c’est-à-dire sans accuser et en témoignant des défauts de ceux qui pourraient s’identifier à lui afin de les amener vers une certaine responsabilité.

Il se montre d’ailleurs très républicain : « Sur certains sujets, comme les banlieues, ce n’est pas une question de parti. Il faut au contraire une union républicaine, un plan Marshall pour les quartiers. Il y a des sujets où la famille politique n’a pas de sens. ».

Les propos qu’Abd Al Malik tient sont finalement logiques et de bonne foi. Et surtout raisonnables : chacun peut et doit pouvoir vivre en paix avec ses croyances, sa foi et sa non-foi sans pour autant se battre contre le voisin ou être battu par lui.

Un raisonnement qui pourrait être même trop bien écouté par les médias et la classe politique jusqu’à en être peut-être bientôt contreproductif : Abd Al Malik a été décoré des Arts et des Lettres le 27 janvier 2008 (lors du très institutionnel Midem) par Christine Albanel, la Ministre de la Culture de l’époque. On est donc loin de la rébellion.

Critiqué pour son ouverture consensuelle

Ce qui a conduit le journaliste Jacques Denis du journal "Le Monde diplomatique" à critiquer en septembre 2008 cet esprit consensuel : « Comme madame Rachida Dati est "l’Arabe qui cache la forêt", pour reprendre un jeu de mots du précurseur Azouz Begag, l’extrême
Malik,
prévisibilité du verbe d’Abd Al Malik ne saurait faire taire l’orage qui menace au-delà du périphérique. (…) Abd Al Malik ne constitue en fait que la face audible de minorités devenues visibles par une belle opération de communication, d’autant plus crédible que la gauche n’avait jamais honoré de telles propositions. »
.

L’un des deux chanteurs du groupe rap "La Rumeur", master de sociologie des médias en poche, Hamé, d’origine algérienne, qui a été relaxé définitivement le 25 juin 2010 après une mise en accusation pour injure contre la police par le Ministère de l’Intérieur, est, lui aussi, très critique envers ce discours supposé consensuel : « C’est le fruit d’une idéologie tiède, qui renvoie la jeunesse des quartiers à ses erreurs, à sa responsabilité individuelle, en évacuant les données socio-historiques. Ces figures de la bonne conscience arrangent symboliquement les élites médiatiques et désamorcent les problèmes. ».

Une responsabilité qu’il honore

Cela dit, l’audience qu’Abd Al Malik a acquise depuis 1998, comme il l’admet, lui donne des responsabilités parce qu’il est écouté et qu’il peut influencer beaucoup de jeunes esprits dans les banlieues.

Et c’est sans doute bien que son message puisse être audible, surtout après un attentat aveugle qui a tué vingt et un chrétiens dans un pays à majorité musulmane après plus d'une année d’accalmie.

Abd Al Malik était l’invité de "La Promesse de l’aube", une interview de Christophe Ono-dit-Biot dans "la Matinale" de Maïtena Biraben sur Canal Plus le mercredi 5 janvier 2011.

Pour Abd Al Malik, il est impératif de différencier le spirituel du temporel, la foi des arrière-pensées politiques, la sincérité des postures : « Il faut faire attention de ne pas amalgamer et de ne pas stigmatiser… parce que quand on parle d’islam, depuis le 11 septembre, on a toujours ce côté islam intrinsèquement lié à la violence, islam politique, alors que l’islam est une spiritualité. Qui dit spiritualité dit amour, dit acception de l’autre dans la différence, etc. Donc, il faut faire attention à l’instrumentation, à l’amalgame, aux gens qui se présentent de l’islam et qui sont dans une démarche ou autre. (…) Avec ces gens qui prennent en otage la religion musulmane, la religion en général et la religion musulmane en particulier… c’est de la délinquance spirituelle. ».

Assez des terroristes qui dépouillent les religions !

L’expression "délinquants spirituels" est très forte pour qualifier les islamistes qui sèment la terreur par haine de l’Occident ("Occident", une notion qui ne veut pas dire grand chose d’ailleurs) et les opposer aux croyants (dont il fait partie) qui ont un comportement pacifique et ne font de mal à personne.

Abd Al Malik souhaite même faire de la pédagogie de masse sur ce sujet : « L’idée, c’est de, nous tous, vous, moi, c’est de montrer qu’il y
Malik,
a une vraie différence entre la spiritualité véritable et être dans une démarche politique et autre. Je veux dire, on ne peut pas prôner, parler d’amour, vivre l’amour, et derrière, être dans une démarche de non-acceptation de l’autre, de violence, de terrorisme, etc. Donc, vraiment, de faire le distinguo entre les gens qui prennent en otages un peu les spiritualités, en particulier l’islam, et les gens qui sont tout simplement dans une démarche de vie et de cheminement. »
.

Musulman et engagé socialement par ses chansons très explicites, le chanteur n’en reste pas moins un citoyen qui prône les valeurs républicaines : « Il y a toujours ce décalage entre les principes et comment on les vit au quotidien. (…) L’idée, c’est d’essayer justement d’être toujours en cohérence avec ça, par rapport aux principes que sont les principes français, républicains, laïcs, philosophiques etc. et d’éprouver cela concrètement dans la vie de tous les jours. ».

En ce sens, il y a peu de différence avec les vœux du Président de la République Nicolas Sarkozy le 31 décembre 2010 : « Je ferai [mon devoir] en respectant scrupuleusement nos principes républicains les plus chers. La laïcité et le refus du communautarisme. (…) Le rappel à chacun qu’il ne peut exister de droits sans la contrepartie de devoirs. (…) Le respect de la loi est intangible et on ne la bafoue pas. (…) La liberté enfin qui doit aller de pair avec le respect que chacun doit aux autres. ». Des vœux qui changent beaucoup du ton de son discours du 30 juillet 2010 à Grenoble.

Pour le respect du pacte républicain

Il s’agit bien là en effet de respect : de respecter les autres, la foi des uns, l’absence de foi des autres. La loi du 9 décembre 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État est bel et bien en jeu actuellement, et doit s’appliquer non seulement à l’Église catholique mais également à l’islam. C’est ce que Abd Al Malik, Français musulman, explique avec ses mots et avec son art. Et avec un grand talent de persuasion.

Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (7 janvier 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :

Un attentat en Égypte que je n’oublie pas…

"Les Autres" de Abd Al Malik (11 septembre 2006).

"La Matinale" sur Canal Plus du 5 janvier 2011 ("Promesse de l’Aube").

La critique de Jacques Denis (septembre 2008).

Émission "Taratata" n°189 (automne 2006).


http://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/abd-al-malik-le-guerrier-de-la-86846

http://rakotoarison.lesdemocrates.fr/article-235


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