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Un si terrible voyage...

Publié le 08 janvier 2011 par Perce-Neige
Un si terrible voyage...Comme si rien ne s’était passé… Yvonne, de retour à Quauhnaluac, dans « Au dessous du volcan », célébrissime chef d’œuvre de Malcom Lowry, se demande comment elle a pu vivre sans « les massives et luisantes profondeurs » des frênes qui lui sont si familiers. La tragédie de l’existence me semble précisément résider en cette magnifique nostalgie de l’éternité. « Te dirais-je, Yvonne, le terrible voyage à travers le désert ? ». Et comment !
La dernière voix en était encore une autre. Ainsi le bar, ouvert en l'occurrence toute la nuit, était sans doute plein. Honteuse, percluse d'anxiété et de nostalgie, répugnant à entrer dans le bar bondé, mais répugnant autant à y déléguer le chauffeur de taxi, Yvonne, la conscience tellement fouettée d'air et de vent par le voyage qu'elle semblait encore voyager, encore faire son entrée au port d'Acapulco hier soir à travers une tornade d'immenses et éclatants papillons fonçant vers le large à la rencontre du Pennsylvania - d'abord comme si l'on balayait du pont des premières des torrents de papiers multicolores - jeta, sur la défensive, un coup d'œil tout autour de la place, réellement tranquille au milieu de cette agitation, des papillons zigzaguant toujours en haut ou au-delà des lourds hublots ouverts, s'éclipsant sans cesse vers l'arrière de leur place à eux, sans mouvement et brillante au soleil de sept heures du matin, silencieuse, mais en un certain sens postée, dans l'expectative, ouvrant déjà l'œil à demi, les chevaux de bois et la roue Ferris en attente, dans un songe léger, de la fiesta à venir - les rangs de frustes taxis en attente de quelque chose d'autre eux aussi, leur grève pour cette après-midi, lui avait-on confidentiellement annoncé. Le zócalo était tout juste le même, en dépit de ses airs d'Arlequin assoupi. Le vieux kiosque à musique se tenait là, désert; sous le frémissement des arbres caracolait la statue équestre du turbulent Huerta, l'œil à jamais farouche fixé sur la vallée au-delà de laquelle, comme si rien ne s'était passé et que ce fût novembre 1936 et non 1938, se dressaient pour l'éternité ses volcans, ses beaux, beaux volcans. Ah, que tout cela était familier : Quauhnahuac, sa ville aux froides eaux des monts vives à couler ! Où s'arrête l'aigle ! A moins que le vrai sens ne fût, comme disait Louis, près du bois ? Les arbres, les massives et luisantes profondeurs de ces frênes antiques, comment avait-elle fait pour jamais vivre sans eux ? Elle prit une ample aspiration, l'air gardait en lui un soupçon d'aurore, l'aurore de ce matin d'Acapulco - le vert et le mauve sombre là-haut et l'or s'enroulant sur eux-mêmes pour démasquer un fleuve de lapis où la corne de Vénus brillait d'un feu si vif, qu'Yvonne put en imaginer l'éclat plaquant son ombre floue sur le champ d'aviation, les vautours flottant paresseusement là-bas au-dessus de l'horizon rouge brique, paisible présage sous lequel le petit avion de la Compania Mexicana de Aviación s'était élevé, tel un minuscule démon rouge, émissaire ailé de Lucifer, tandis que palpitait au sol le fidèle adieu de la manche à air.

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