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Il y eut autrefois un enfant (Katherine Mansfield)

Par Arbrealettres

Il y eut autrefois un enfant (Katherine Mansfield)


Il y eut autrefois un enfant

Il y eut autrefois un enfant.
Pâle et silencieux, il venait jouer dans mon jardin.
Il a suffi qu’il sourie et j’ai tout su de lui,
J’ai su ce qu’il avait dans ses poches,
Comment seraient ses mains dans les miennes
Et les accents les plus intimes de sa voix.
Je l’ai mené par les allées secrètes,
Lui montrant où mes trésors étaient cachés.
Je l’ai laissé jouer avec chacun d’eux,
J’ai enfermé mes pensées dans une petite cage d’argent
Et les lui ai données à garder…
Le jardin était obscur, mais pour nous pas assez encore.
Sur la pointe des pieds, nous avons cheminé parmi les ténèbres
Et dans les bassins d’ombre, sous les arbres,
Nous nous sommes baignés,
Faisant semblant d’être sous la mer.
Une fois, à la limite du jardin,
Nous avons entendu des pas sur la route du Monde.
Oh, comme nous avons eu peur !
«As-tu déjà marché sur cette route?», ai-je murmuré.
Il fit signe que oui, et nous avons secoué la tête
Pour faire tomber les larmes de nos yeux.
Il y eut autrefois un enfant.
Pâle et silencieux, il venait — tout seul
Jouer dans mon jardin.
Quand nous nous sommes rencontrés,
Nous avons échangé un baiser,
Mais quand il est parti,
Nous n’avons même pas fait un geste d’adieu.

***

There was a child once

There was a child once.
He came to play in my garden ;
He was quite pale and silent.
Only when he smiled I knew everything about him,
I knew what he had in his pockets,
And I knew the feel of his hands in my hands
And the most intimate tones of his voice.
I led him down each secret path,
Showing him the hiding-place of all my treasures.
I let him play with them, every one,
I put my singing thoughts in a little silver cage
And gave them to him to keep…
It was very dark in the garden
But never dark enough for us. On tiptoe we walked
among the deepest shades ;
We bathed in the shadow pools beneath the trees,
Pretending we were under the sea.
Once — near the boundary of the garden —
We heard steps passing along the World-road;
Oh, how frightened we were!
I whispered: « Have you ever walked along that road? »
He nodded, and we shook the tears from our eyes…
There was a child once.
He came ? quite alone ? to play in my garden;
He was pale and silent.
When we met we kissed each other,
But when he went away, we did not even wave.

(Katherine Mansfield)



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