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L’enfant haïtien est-il une marchandise comme une autre ?

Publié le 11 janvier 2011 par Melusine

Fin décembre 2010, les présentateurs de télévision prirent leur air le plus benêt pour nous narrer un merveilleux conte de Noël venu des mers du Sud : « L’enfant haïtien ».
Premier tableau : un pays pourri (c’est en tout cas ce que pensent les biens pensants). La république d’Haïti dans les Caraïbes est un pays très pauvre et déstructuré dont la capitale, du joli nom de Port-au-Prince, a été dévastée il y a un an par un séisme meurtrier (plus de 200.000 morts) et qui subit depuis trois mois une épidémie de choléra. Bref, un pays pourri. Ou plutôt, un pays dont on a décidé une bonne fois pour toutes qu’il était pourri. Mais regardons de plus près. Le choléra ? D’où sort-il ? Si vous pensez aux conséquences du tremblement de terre, vous n’y êtes pas du tout. Trop loin dans le temps et dans l’espace, un autre coin du pays en fait : les rives de l’Artibonite, le long des Montagnes noires. A vrai dire, l’épidémie n’est même pas d’origine locale et a surgit... dans un camp militaire de l’ONU !!! Les insuffisances du réseau d’alimentation en eau potable ont fait le reste, car c’est par les eaux contaminées que Vibrio cholerae se propage. Et que propose-t-on aux Haïtiens ? De l’eau ? Des bouilloires ? De la Javel ? Pas du tout.
Acte 2 : Nous, Français généreux, main sur le cœur et larme à l’œil, nous leur proposons, imposons, graissons la patte... qu’ils donnent leurs enfants ! Quel bien matériel a-t-on, quand on est un Haïtien, pauvre parmi les pauvres ? Rien, que dalle, nada. Juste des enfants. Les enfants, seule richesse d’Haïti aujourd’hui et marchandise d’exportation. On prend ! Et maintenant le tremblement de terre, une aubaine pour les trafiquants d’enfants... Mais vous comprenez, le choléra, tout ça, ils vont mourir, ces pauv’ petiots. Sauf qu’en y regardant de plus près, on apprend que lesdits enfants ont été soigneusement sélectionnés dans des zones où le choléra ne sévit pas. Des orphelins, nous dit-on, plus de parents, abandonnés. Pourtant j’en connais une de petite Haïtienne, adoptée vers 4 ou 5 ans par une Française célibataire endurcie. Ô non, la petite n’était pas sans famille. La mère était prostituée, certes. Mais la gamine vivait avec sa grand-mère qu’elle adorait. Personne ne lui a demandé son avis, et hop, déracinée ! Transplantée chez une femme pas malveillante du tout, non, mais sèche, froide, pas extravertie pour deux sous... Finis la chaleur des tropiques et la grand-mère volubile. Le brillant résultat quinze ans après, c’est délinquance et prison.
Alors tout ceci me laisse d’autant plus dubitative que la famille à l’haïtienne est une famille au sens large, très large même. A ce propos, quelques éléments d’ethnologie tirés d’un texte du juriste et anthropologue congolais Camille Kuyu sont assez révélateurs (« Parenté et famille en Haïti : les héritages africains ») :
- « Les cousins collatéraux et utérins sont considérés comme des frères. Les alliés font aussi partie de la famille. Les sœurs et frères de la femme ou du mari sont parentalisés. »
- « La parenté ne se réduit pas à la famille nucléaire. Même le voisin fait partie de la famille. Il y a encore des endroits en Haïti où les enfants sont les enfants de tous. »
- « Souvent, en cas du décès de la mère, une tante peut prendre en charge l'enfant. Car c'est comme si c'était son propre enfant. »
- « La solidarité est une réalité pour les parents, qu'il s'agisse des parents biologiques ou pas. »
- Ou encore ce témoignage d’une femme de ménage haïtienne : « Pour moi, la famille c'est mes enfants, mes parents, mes frères et sœurs, mes cousins, mes cousines, mes tantes… D'ailleurs, j'ai pris avec moi trois autres enfants, deux de mon frère et un d'un cousin. Ils vivent avec moi. Comme je travaille, je m'occupe d'eux. Je n'ai pas besoin de les adopter officiellement. »
Bref, s’ils n’ont plus père et mère, ils ont leur grand-mère, des oncles et tantes, des cousins. Une famille englobante, liante et protectrice aussi. L’adoption à l’occidentale est contraire aux traditions du pays, choquante sans doute, ou peut-être signe d’acculturation.
Acte 3 : L’arrivée en masse en avions spéciaux de petits haïtiens par centaines. Je caricature à peine.
Comprenez-vous, malheureux Haïtiens, vous êtes pauvres, miséreux, minables, pathétiques, pitoyables, dans un pays pourri. Pauvres, vous êtes. PAUVRES. Vos enfants seront bien mieux avec nous, Français, parce que nous avons la télé, le lave-linge, la console de jeux... « Une aire de jeu a été aménagée pour les enfants dans une zone du terminal T2 de Roissy »... Voilà ce que nous montraient les télés dégoulinantes de bons sentiments. Du fric, quoi. Des jouets et des peluches, ça ne remplace pas les chiens et les poussins dans la basse-cour.
Ils ont l’air si tristes, égarés sur les photos. Les voilà traumatisés par l’arrachement à leur grande famille, aux cousins, aux ribambelles d’enfants, à la vie, leur vie. Traumatisés à vie par le bouleversement brutal de leur environnement, l’arrachement à leur culture, à leur terre natale et le froid. Oui, le froid, ça n’a l’air de rien. Il suffit de vêtements chauds, non ? Eh bien, non. Trente degrés de moins d’un coup, c’est un choc. Pour l’avoir vécu, j’en sais quelque chose.
Qu’on adopte l’enfant malheureux placé là par la Providence, oui certainement, mais pas celui qu’on va prélever à l’autre bout du monde. Il n’y a pas de « droit à l’enfant ». Aucun. Et quand j’entends ces nouveaux parents adoptifs dire qu’ils vont se mettre à la culture haïtienne... Vraiment ? Ils vont se mettre au Vaudou, sacrifier des poulets ?


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