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Silence, on tue

Publié le 12 janvier 2011 par Copeau @Contrepoints

Silence, on tueBen Ali est un grand ami de la France. À droite comme à gauche, le dictateur fait l’unanimité. Il est éclairé, nos gouvernants sont convaincus qu’il limite l’émergence d’un islamisme confusément perçu comme terroriste et qu’il maintient un ordre bienvenu vu de notre rive de la Méditerranée. Soyons réalistes, aucun régime n’est parfait, et nous avons besoin de conserver des relations d’ouverture avec nos partenaires naturels, malgré tous leurs défauts. 

Mais à l’instar de Nicolas Sarkozy et de tous ses prédécesseurs de droite comme de gauche, devons-nous aller jusqu’à vanter les mérites de Ben Ali et sa « volonté de continuer à élargir l’espace des libertés », et voir dans la Tunisie, un « pays engagé depuis un demi-siècle sur la voie du progrès, de la tolérance et de la raison », un exemple possible « pour tous les peuples menacés par le fondamentalisme et l’obscurantisme » ? N’est-ce pas au contraire le meilleur moyen d’aboutir au rejet de nos valeurs par les nouvelles générations en quête de liberté et d’égalité ? Ne sommes-nous pas en train de faire le lit de l’islamisme comme unique voie de contestation réellement crainte ?

Les jeunes Tunisiens sont bien plus lucides, et ils voient depuis longtemps leur pays d’un autre œil. Lisez cet article de l’excellent média Nawaat.org :

Je fais partie de la nouvelle génération qui a vécu en Tunisie sous le règne absolu de Ben Ali.
Au lycée, et au collège, on a toujours peur de parler politique : “Il y a des rapporteurs partout” qu’on nous dit. Personne n’ose en discuter en public. Tout le monde se méfie. Votre voisin, votre ami, votre épicier, est un rapporteur de Ben Ali, voulez-vous être emmené de force vous ou votre père vers un lieu indéfini, un soir à 4h du mat ?

 Conclusion de ce jeune homme :

La Tunisie, la corruption, les pots de vin, on a simplement envie de partir d’ici, on commence à candidater pour aller étudier en France, au Canada… On veut tout quitter. On est lâche et on l’assume. On leur laisse le pays.
On part en France, on oublie un peu la Tunisie, on y revient pour les vacances. La Tunisie ? C’est les plages de Sousse et de Hammamet, les boîtes de nuits, et les restaurants. C’est ça la Tunisie, un Club Med géant.
Et là, Wikileaks révèle au jour ce que tout le monde se murmurait.
Et là, un jeune s’immole par le feu.
Et là, 20 Tunisiens sont tués en un jour.
Et pour la première fois, on y voit l’occasion de se rebeller, de se venger de cette famille royale qui s’est tout approprié, de renverser l’ordre établi qui a accompagné toute notre jeunesse.
Une jeunesse éduquée, qui en a marre, et qui s’apprête à immoler tous les symboles de cette ancienne Tunisie autocratique, par une nouvelle révolution, la révolution du Jasmin, la vraie.

Derrière les indéniables réformes de Ben Ali visant à libéraliser l’économie et à libérer l’initiative et les talents, il y a la mainmise d’un clan sur le monde des entreprises, ce que la Banque mondiale appelle les « interventions discrétionnaires du gouvernement » et le « pouvoir des initiés » qui affaiblissent le climat des affaires et les éventuelles prises de risque des investisseurs étrangers (non initiés, c’est à dire non proches du pouvoir). Il y a aussi le tyran, adepte des arrestations arbitraires des opposants politiques et de la torture, ce Ben Ali que RSF qualifie de « prédateur de la liberté de la presse ». Les jeunes Tunisiens vivent entre la peur de s’exprimer et l’absence d’espoir de réussite économique et de promotion sociale.

Soutenir cette dictature constitue-t-il un rempart efficace contre la dérive de l’extrémisme religieux ? Le désespoir est le meilleur terreau de la violence, qu’elle soit nationaliste ou à connotation religieuse. L’occident n’est pas responsable du régime corrompu et destructeur de Ben Ali. Pour autant, un pays comme la France ne peut nier sa part de responsabilité dans la situation de la Tunisie. Tout en s’enorgueillissant  d’une prétendue mission universelle de défense des Droits de l’Homme, elle a contribué au maintien de Ben Ali et de son régime au pouvoir. Comme dans d’autres pays du monde  arabo-musulman, l’extrémisme religieux (souvent teinté de nationalisme) s’est transformé auprès des couches populaires de la société en recours institutionnel, en voix d’opposition organisée et crainte. À la fin des années 80, l’opposition islamiste a ainsi atteint 14% des voix en Tunisie, un score énorme qui a fait trembler ce pays où les dirigeants se font habituellement réélire à 98%. Un attentat meurtrier de nombreuses années plus tard, qui peut nier l’existence d’une gangrène islamiste alimentée par le rejet de la dictature en place ? Heureusement, la Tunisie n’est pas l’Algérie, ni l’Egypte (également sclérosées par leur dictature nationaliste et socialiste en place). Le pays est plus petit, plus ouvert sur le monde.

Mais les Tunisiens attendent toujours que s’ouvrent les portes de la liberté, au point de recourir à la pire des extrémités : s’immoler. Tous attendent que soient instaurées la liberté de créer et de développer son entreprise sans se faire racketter par la famille et les proches de Ben Ali, la liberté de penser et de d’exprimer librement sans risquer la prison, la liberté de croire en soi et de poursuivre sa voie vers le bonheur.


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