A ce stade qui semble être un mouvement profond en Tunisie, je voudrai, moi qui y séjourne si souvent, donner mon sentiment et mon analyse.Je dois commencer par dire que pendant longtemps et c’est une analyse fort répandue, j’ai pensé que le régime du général Ben Ali dont je n’ignorais pas les défauts était un véritable rempart contre la prise de pouvoir par les islamistes, ce qui aurait constitué pour la Tunisie et notamment pour les femmes une très grave regression. Il suffit de voir ce qui s’est passé en Iran. Je n’insiste pas davantage.Par ailleurs le Général Ben Ali avait lors de sa prise de pouvoir, dans des conditions que l’on ne pouvait qu’approuver, fait des déclarations qui donnaient confiance. Qu’il suffise de citer cette phrase de son discours de 1987 :« l'époque que nous vivons ne peut plus souffrir ni présidence à vie ni succession automatique à la tête de l'État desquels le peuple se trouve exclu. Notre peuple est digne d'une vie politique évoluée et institutionnalisée, fondée réellement sur le multipartisme et la pluralité des organisations de masse ».Malheureusement ce n’était que des paroles….
Par ailleurs il n’est pas contestable, et j’en ai été moi-même régulièrement le témoin, la Tunisie connaissait un developpement économique certain avec le developpement d’une large classe moyenne. Le Général avait eu aussi l’intelligence de maintenir les acquis fondamentaux dûs au Président Bourguiba (developpement de l’instruction pour tous, égalité réelle des femmes et des hommes)La seule chose qui me peinait chaque fois que j’allais en Tunisie était de constater l’absence totale de liberté de l’information et la véritable débilité mentale des organes de presse tous favorables de manière obséquieuse et ridicule au pouvoir en place.Je dois reconnaître que j’ai eu le tort de croire que c’était quelque chose de secondaire. Car, en réalité cette absence de liberté d’information a permis que s’installe petit à petit les dérives qui ont entraînées à la longue les évenements d’aujourd’hui.Une presse libre et informée aurait sans doute pu éviter que la famille du Président n’accapare de manière quasiment mafieuse les richesses du pays. Elle aurait rappelé cette famille à la décence et si tout n’aurait pas été parfait- rien ne l’est nulle part- on aurait évité les abus très graves et répétés qui ont entraînés l’exaspération de la population.Ma deuxième erreur est d’avoir cru que le reneversement du régime ferait le lit des islamistes. Je constate avec les manisfestations actuelles que rien de tel n’est souhaité par la population qui se montre en réalité très raisonnable. Elle montre qu’elle mérite la liberté d’expression et de choix démocratique.C’est, sans doute, si elle ne trouve pas de débouché démocratique et de réponse à son désir de liberté qu’elle pourrait se laisser alors convaincre par l’avanture islamiste.Le régime a, à mon sens, mal agi car les tunisiens étaient prêts à lui faire confiance et à le maintenir au pouvoir s’il avait garanti les libertés publiques, ouvert l’information et s’il n’avait pas autorisé les abus scandaleux de la famille.Je pense aujourd’hui que les erreurs commises l’ont définitivement discrédité et que la Commission, aujourd’hui envisagée, sur la corruption n’est absolument pas crédible. Qui peut croire sérieusement qu’elle s’attaquera à la famille ?Pour moi, ce régime est donc en sursis et il faudrait que les tunisiens y compris ceux mêmes qui soutenaient le régime, fassent pression pour qu’un changement vienne.Je voudrai renvoyer pour compléter cette courte analyse à une tribune d’une intellectuelle tunisienne, tribune pleine de modération, et de bon sens et qui montre qu’il y a une élite dans ce pays capable de gérer ce pays et de faire face aux défis qui l’attendent.