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Journal d'un curé de campagne

Par Abigemuscas
Ma lecture du Journal d’un curé de campagne a mal commencé puisqu’en plein milieu de la première tirade du curé de Torcy, mon exemplaire (emprunté à la bibliothèque) est tombé sur les rails du RER où, à ma connaissance, il gît toujours. Cette petite contrariété mise à part, j’ai donc fini par lire mon premier Bernanos, ce journal d’un jeune curé égrotant et timide qui, dans sa première paroisse, accumule les maladresses. Et je reste quelque peu perplexe devant ce qui est certainement une œuvre singulière et puissante, mais au message largement inintelligible.
Bernanos met en scène un être sensible et vulnérable qui va d’échec en échec, ne parvenant finalement même pas à survivre. Touché par la grâce divine, comme on le voit lors de l’épisode central de la conversion de la comtesse locale, le malheureux curé n’en est certes pas illuminé ; il traîne sa mine grisâtre et ses naïvetés sous le regard malveillant de ses paroissiens et de ses supérieurs, et ne trouve de refuge qu’auprès du curé de Torcy et de son ami le docteur Delbende, deux personnages totalement invraisemblables qui ne cessent de débiter au kilomètre leurs définitions à l’emporte-pièce et leurs théories sur le sacerdoce, le rôle social de l’Eglise et les avantages et les inconvénients de la sainteté.
Cela donne par exemple ceci : «D’où vient que le temps de notre petite enfance nous apparaît si doux, si rayonnant? Un gosse a des peines comme tout le monde, et il est, en somme, si désarmé contre la douleur, la maladie! L’enfance et l’extrême vieillesse devraient être les deux grandes épreuves de l’homme. Mais c’est du sentiment de sa propre impuissance que l’enfant tire humblement le principe même de sa joie. Il s’en rapporte à sa mère, comprends-tu? Présent, passé, avenir, toute sa vie, la vie entière tient dans un regard, et ce regard est un sourire. Hé bien, mon garçon, si l’on nous avait laissés faire, nous autres, l’Eglise eût donné aux hommes cette espèce de sécurité souveraine. Retiens que chacun n’en aurait pas moins eu sa part d’embêtements. La faim, la soif, la pauvreté, la jalousie, nous ne serons jamais assez forts pour mettre le diable dans notre poche, tu penses! Mais l’homme se serait su le fils de Dieu, voilà le miracle! Il aurait vécu, il serait mort avec cette idée dans la caboche – et non pas une idée apprise seulement dans les livres, - non.» Intéressant, cette théologie pour les nuls, vulgarisée à grand renfort de mots populaires et d'interjections et étayée comme souvent le discours religieux par une analogie tirée du registre de la vie familiale, avec un double effet: c'est facile à comprendre, et ça attendrit le chaland.
Tout ça est extrêmement bien écrit, au point qu’on suit en haletant la conversation décisive entre la comtesse et le curé; mais une fois le livre refermé, il n’en reste qu’une bouillie sentimentale dont ne se dégagent guère qu’une sorte de rancune vis-à-vis, non pas de l’Eglise, mais de sa hiérarchie (ce qui est très courant chez les écrivains catholiques, voire chez les catholiques en général) et une aspiration confuse à une grâce rédemptrice qui irriguerait la société, nourrirait les forts et les purs jusqu’à l’héroïsme, comme dans un Moyen Äge plus ou moins fantasmé par le neveu militaire et infréquentable de la comtesse convertie. Sans oublier, bien sûr, l’angoisse pathétique du petit curé devant la volupté, ce péché ultime, cette corruption sans retour de la dignité humaine. N’importe, ce Bernanos est sympathique, avec tout son verbiage : j’en lirai volontiers davantage, et peut-être comprendrai-je mieux alors comment il peut autant tenir à tout ce fatras arbitraire; car s’il y a bien une chose que le Journal d’un curé de campagne ne nous dit pas, c’est pourquoi? Pourquoi la grâce à l’un et pas à l’autre? Pourquoi n’y aurait-il pas d’amour dans l’homme, hors celui qui lui vient de dieu?
Journal d’un curé de campagne, Georges Bernanos, 1935

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