Président Cayzelle,
Dans ses vœux de 2010, Jean-Pierre Masseret déclarait : « Le projet pour la Lorraine, c’est la somme des projets des Lorrains (…) ». J’ai quand même un peu de mal à imaginer le président Sarkozy déclarer : « L’avenir de la France, c’est la somme des destins de chaque Français. » (qu’on m’explique). Dans un registre similaire, j’ai retenu, toujours dans ces mêmes voeux : « 2010 doit être l’année des projets (…), c’est ainsi qu’on avance, qu’on donnera de la lumière, de la confiance. » Désolé de « désavouer » le président Masseret, mais ce n’est en aucune manière le projet qui inspire la confiance. C’est le changement qui naît de sa réalisation.
Alors, je me suis dit qu’avec un peu de chance, si 2010 était l’année des projets (il l’a répété sept fois), 2011 serait pour la Lorraine, l’année de la concrétisation de ces projets. J’ai donc visionné les vœux du président Masseret pour 2011. Deux phrases ont retenu mon attention : « La région change ; c’est une région attractive que nous proposons (…). Malgré les difficultés du moment (c’est vrai qu’en 2009, tout roulait), j’ai confiance en vous, en votre capacité de relever les défis. » Cela m’inspire une double réflexion. Tout d’abord, on m’annonce que la région change. Tant mieux, puisque l’année dernière elle était en projets. Par conséquent, j’attends qu’on m’explique concrètement ce qui a changé. Et là, rien ! Enfin, on m’explique tout de même que je suis capable de relever des défis. Parfait, mais qu’on me donne un cap, une raison d’y croire ; qu’on m’explique alors, sans mots creux, ce qu’on entend par défi ; et enfin quelle politique, le Conseil Régional envisage-t-il pour le développement de la Lorraine… Et là, soudainement (nous sommes toujours en plein (rêves) vœux 2011), j’entends Jean-Pierre Masseret énumérer les quatre axes stratégiques de sa politique pour assurer une meilleure attractivité de Lorraine (là, je me dis qu’on rentre dans le dur). Quels sont-ils ? Assurer une meilleure attractivité industrielle (avec ça, je suis avancé) ; (écoutez plutôt) assurer une meilleure attractivité dans la démarche d’un nouveau champ sociétal, avec la jeunesse et les parcours de vie de chacun (vent de force 10, je vais m’envoler) ; privilégier le développement durable (la panacée ; ouf, nous sommes sauvés) ; veiller à l’équité des territoires (lieu commun).
Dans ces vœux 2011, « défi » a été répété deux fois ; « espérance », également deux fois ; et (je vous le donne en mille) « projet » 2 fois. Mais toujours pas de vision politique, d’un point, lumineux au loin sur l’horizon, ni de l’ébauche d’une grande réalisation.
Dans un ultime effort (maintenant sous Prozac), je me mets en quête des vœux 2009 sur dailymotion en imaginant que je trouverais enfin l’émergence (passé) d’une vision politique, quelques réalisations concrètes à me mettre sous la dent. Je sais pas quoi ; autre chose qu’un discours de communicant parisien. Peu m’importait le champ d’action, j’étais disposé à tout entendre. Mais là encore, rien de rien (un vent de force 6/7, je change de voile). Si, j’allais oublier, une présentation un peu longuette (si je peux m’exprimer ainsi) des dépenses obligatoires de l’institution régionale. Bref, rien qui sorte des clous, pas l’once d’une prise de risque, d’un engagement, d’une vision. Je n’attends pas des vœux qu’ils se transforment en discours de politique générale. Mais bon sang, qu’on me donne un biscuit à grignoter. (Le peuple a faim).
Alors, où trouver la trace d’un grand chantier fédérateur et identitaire ? Un « truc » qui vous fait lever de votre chaise ; un vrai projet de développement pour l’économie et l’emploi régional (c’est quand même le sujet qui nous intéresse aujourd’hui).
Ainsi, j’abandonne Dailymotion et les voeux (new age) du président Masseret pour me plonger dans le rapport introductif au débat d’orientation budgétaire 2011, et plus particulièrement dans son chapitre consacré au développement économique (là, je vais trouver sans doute du lourd). Rien, rien de rien. De la soupe au lard (qu’on sert au paysan lorrain que je suis). En fait (je suis médisant), j’apprends quand même, qu’après 3I Lorraine, Valoris Lorraine, Lorraine International, et plus récemment l’Agence de Mobilisation Economique (2009), on crée aujourd’hui une nouvelle structure pour le développement économique de la Lorraine avec l’Agence de développement économique régionale (chargée de travailler sur les futurs projets des vœux 2012). Plus sérieusement, si on y associe les quatre structures départementales que sont « Moselle développement », « Le Comité d’aménagement, de promotion et d’expansion de la Meurthe-et-Moselle » (je vous fais grâce des Vosges et de la Meuse), ou encore les agences économiques de chaque métropole régionale et le réseau CCI, ce sont plus d’une vingtaine d’unités en charge de la promotion et du développement du territoire lorrain. Un véritable maquis de structures opérationnelles, sans contrôle interne, sans obligation de résultats, et, plus grave, sans objectif politique.
Président Cayzelle, J’ai parcouru bon nombre de rapports et avis officiels, parcouru toutes sortes de documents et supports promotionnels consacrés au territoire lorrain. J’ai la conviction que notre région est aujourd’hui très mal engagée dans la compétition internationale et la concurrence entre territoires. J’ajoute que je doute fortement de l’efficacité de notre institution régionale en tant que telle. Si je m’en tiens au rapport introductif au DOB 2011, les trois-quarts de ce document officiel ne sont que verbiage et autosatisfaction. La pertinence et la précision du contenu sont proches du niveau d’un rapport de stage d’un étudiant en master d’administration publique. La rhétorique administrative peine à couvrir l’absence de vision politique. J’ajoute qu’aucune référence n’est faite à l’efficacité dans l’emploi des fonds publics. Où sont les objectifs chiffrés, les bilans intermédiaires, les indicateurs de performance ? Nous sommes ici bien loin de la justification des crédits au « 1er euro ». Je regrette que le budget de la région ne soit pas structuré par les finalités des politiques publiques et contrôlé sur la base de leurs résultats. J’ai le sentiment que la région navigue dans le brouillard ou les étoiles; c’est au choix.
Un projet politique ne se résume pas à une distribution d’enveloppes budgétaires et de dépenses obligatoires. De plus, un responsable politique n’a pas à déclarer : « Le projet pour la Lorraine, c’est la somme des projets des Lorrains. » Un responsable politique fixe des rendez-vous, donne un cap, propose une vision. C’est à lui de créer la dynamique en travaillant sur l’identité et la valeur ajoutée du territoire. Monsieur Masseret a été élu pour cela.
Frank-Olivier Potier
Documents sources :
Voeux 2009 – Jean-Pierre Masseret
Voeux 2010 – Jean-Pierre Masseret
Voeux 2011 – Jean-Pierre Masseret
Recueil d’avis – CES Lorraine
Site Internet du CES Lorraine
Rapport introductif au DOB 2011 (format PDF) disponible sur simple demande à l’adresse suivante: [email protected]
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