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Révolution à Tunis : les leçons des médias

Publié le 17 janvier 2011 par Gonzo

(Encore un « faux billet » puisque cette intervention concerne moins l’actualité arabe, et la chute du régime tunisien, que la manière dont elle est commentée en France….)

Il faudrait pouvoir se réjouir du fait que les médias français – à quelques exceptions près bien entendu mais si peu – ont enfin redécouvert le vrai visage de la Tunisie, après s’en être tenu à l’écart pendant deux bonnes décennies… Tout de même, après toutes ces années d’oubli et d’indifférence, cette débauche de commentaires où l’on chante désormais la maturité du peuple tunisien tout en lui prodiguant de généreux conseils  écœure un peu. Ce n’est pas parce qu’elle semble prendre tardivement la mesure des événements que la voix enfin audible du journalisme hexagonal fera oublier, outre Méditerranée, les propositions de l’ancienne puissance coloniale offrant aux Versaillais du peuple tunisien le savoir-faire de ses propres forces de sécurité  !

On a du mal à croire que tout l’appareil de la diplomatie française ait été victime d’une pareille cécité et on aimerait comprendre les motifs qui ont pu présider au choix d’une telle déclaration, si peu de temps avant la chute du régime… Sans doute, la ministre et ses conseillers étaient loin de mesurer le caractère d’urgence de la situation à la seule lecture de la presse française. Mais ils auraient pu lire la presse anglophone. Dès le 28 décembre par exemple, soit 10 jours après le début des protestations, deux semaines avant les propos de Mme Alliot-Marie et d’autres responsables politiques, un article de Brian Whitaker dans le Guardian prédisait à peu près que la chute du vieux dictateur était just a matter of time.

Au cas où le message ne serait pas passé, le journaliste enfonçait le clou à peine deux jours plus tard (le 30 décembre). Signalant le silence des médias occidentaux, mais aussi arabes (ces derniers, toutefois, commenceraient à se réveiller juste après), ce spécialiste du monde arabe – dont on a déjà parlé ici – émettait cet étonnant commentaire :
There have been complaints from bloggers about this silence but in a way it’s refreshing not to have the likes of Fox News, Bernard Lewis and Glenn Beck telling us what should be done. In any case, the Tunisians – so far at least – seem to be getting on quite well with their uprising by themselves.
Foreign governments have been similarly quiet and, again, this is something of a blessing: too many activist movements in the region have been killed off by the wrong kind of support from the west.

Comment un journaliste aussi important (et clairvoyant) pouvait-il se réjouir ainsi de constater que les événements de Tunisie ne suscitaient pas davantage l’intérêt des grands plumes de la presse internationale ? Constatant que le Tunisiens se débrouillaient très bien tout seuls, comment en arrivait-il à se féliciter de voir qu’ils ne « bénéficiaient » pas du soutien des gouvernements étrangers ?

La réponse se trouve peut-être dans les analyses de Sami Ben Gharbia à propos de la « liberté sur Internet made in USA ». Dans ce texte (repris en français ssur le portail Rezo.net, mais on peut aussi lire la version anglaise ou encore arabe publiée par Al-Akhbar), ce militant tunisien, membre de l’équipe de Nawaat (mentionné dans le précédent billet) explique de manière très convaincante tous les dangers qui menacent « l’activisme arabe sur internet », dès lors que celui-ci reçoit l’intérêt trop intéressé des puissances étrangères, à commencer par l’américaine.

Ce que nous disent aussi Brian Whitaker et Sami Ben Gharbia, chacun à leur manière, c’est qu’une bonne partie des populations arabes partage désormais la conviction que les « démocraties occidentales », au regard de leurs pratiques, apparaissent de plus en plus comme les parfaits contre-exemples des valeurs qu’elles affirment incarner. A observer comment leur révolution a été comprise, suivie, soutenue, « dans-le-pays-qui-a-inventé-les-droits-de-l’homme », les Tunisiens et les Tunisiennes qui pensent ainsi sont aujourd’hui sans doute encore un peu plus nombreux.


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