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Paso Doble n°192 : La chute du Nespote

Publié le 17 janvier 2011 par Toreador

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Par Toréador | janvier 17, 2011

A las cinco de la manana…

Tunisie année 2.0

Fabuleuse leçon de courage qu'a donné le peuple tunisien ces dernières semaines, en emportant d'une seule vague et d'un même élan un clan qui rançonnait leur pays depuis plus 20 ans. Cette victoire, c'est celle des idées de la France à défaut de la France elle-même. Car tandis que notre diplomatie multi-séculaire hésitait sur la conduite à tenir et s'est murée dans un silence coupable, le peuple Tunisien a repris le flambeau des idées que nos glorieux prédécesseurs avaient allumé et a mis le feu au tigre de papier. Ils peuvent chanter la Marseillaise : nous devrions même leur donner, ils en sont plus dignes que nous.  

Au-delà des circonstances, des espoirs et des inquiétudes, je veux relever deux éléments qui me semblent importants. La première est la victoire de Facebook. Ce que le web 2.0 n'avait pas réussi à faire en Iran, au moment où le régime des mollahs vacillait, il a pu le faire en Tunisie. J'ai quelques bons amis tunisiens : c'est par facebook qu'ils ont suivi minute par minute la chute du régime et ses sanglants soubresauts. Bravant la chape de plomb de la censure, on a posté les vidéos qui démentaient les amnésies des organes officiels. Oui, le pouvoir a chuté, mais il a emporté avec lui des centaines d'innocents. Il a tué, il a martyrisé, il a torturé, il a défiguré. Et on ne peut comprendre la dureté de la résolution des Tunisiens que si on ouvre les yeux sur la férocité de ce régime. 

Il changeait la mort

Le second élément, c'est la victoire posthume de Mohammed Bouazizi. Si le web 2.0 appelle à réfléchir aux révolutions de demain, et à la manière dont l'internet peut faire muter pour le pire ou le meilleur la planète, l'autre renvoie vers le passé et ses leçons. Cet homme qui s'est immolé de désespoir par le feu le 17 décembre, avant de décéder le 4 janvier, a provoqué la lame de fond qui a emporté un régime qu'on pensait indéboulonnable.

C'est la preuve qu'un homme peut faire la différence, pourvu qu'il soit suffisamment déterminé. 

Dans nos sociétés de consommation qui fait de la vie, et plus encore de la jeunesse, une valeur indépassable, se donner volontairement la mort  pour une cause frappe les imaginations. Comme l'explique Luc Ferry dans la Révolution de l'amour, la mort ne se donne plus en Europe pour la Nation. Seule la famille, valeur indépassable de la pyramide moderne de nos valeurs, mérite qu'on se tue pour elle. La mort pour des idées n'est plus que le fait des terroristes islamiques et renforce l'idée de la supériorité "morale" de la cause d'Al-Quaida en approfondissant le fossé avec la lâcheté occidentale, trop craintive pour risquer véritablement la survie de ses fils (on fait même la guerre avec un objectif zéro perte !). Elle est aussi la césure entre la modernité, qui veut éloigner au maximum la mort de son quotidien en l'exorcisant, et l'ancien temps, celui où elle était monnaie commune. 

Mohammed Bouazizi a par son geste ressuscité la force morale du passé. Il ne s'est pas contenté de se donner la mort, il en a fait un acte politique. Par là même, il est à respecter car il a voulu que sa mort ait un sens. En convoquant une force symbolique,  brutale et bizarre venue des profondeurs de l'Histoire, Bouazizi a réveillé son peuple. Et les forces de la modernité se sont très curieusement mélangé pour produire un évènement historique. 

Reste qu'au delà de ce vendredi historique, l'Occident vieillissant devrait voir plus loin : le maghreb dominé par des gérontes despotes commence à peine ses soubresauts. Tunis a vécu une forme de printemps de Prague ou de Mai 68 avec le réveil d'une jeunesse sans avenir face à un pouvoir vieillissant. Ils seront cent millions en plus dans vingt ans.  L'Algérie, l'Egypte, la Lybie et peut-être même le Maroc sont dans des situations similaires. Au-delà de l'épiphénomène, subsiste donc une question : que faisons-nous pour nous préparer au tsunami social et politique que la Méditerranée va connaître sous vingt ans ?

Tags: Algérie, culture de vie, Facebook, Islam, Luc Ferry, Maroc, Méditerranée, Mohammed Bouazizi, mort, Occident, révolution, Révolution de l'amour, Tunisie, Web 2.0

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