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Les Français : le pays épique (1)

Publié le 22 janvier 2011 par Jlhuss

La décision a été prise il y a déjà quelques mois, mais l'échéance est arrivée, les travaux ont commencés : repeindre le salon bibliothèque. L'affaire n'est pas mince et la pièce en question étant siège également de la " plateforme informatique ", je n'aime pas les portables, le blog sera difficile à maintenir dans son rythme !
Mon épouse a déménagé les livres avec un courage se mêlant aux plaintes vis-à-vis d'un entassement souvent anarchique, quelquefois poussiéreux, toujours trop important : les doublons ne sont pas rares, le conservatisme injustifié également. Je dois dire que mon aide a été nulle et ma présence parfois provocatrice et démobilisante. Au fur et à mesure du transport dans une pièce d'attente provisoire, je m'assois par terre et reprend les ouvrages au hasard avec des exclamations du genre AH ! Mais OUI ! C'est très bon ça ! Et je ramène sur le bureau ce qui vient de quitter la pièce ... Il n'y a là aucun désir de nuire, simplement le réel plaisir de redécouvrir l'oublié.

Vider une bibliothèque pour la reclasser après travaux est une expérience délicate mais très enrichissante.
Au hasard j'ai retrouvé un livre, numéroté s'il vous plait, écrit par un certain Sanche de Gramont, et titré " Les Français ". Il a été écrit en 1969 et publié aux éditions Stock. L'auteur est un " produit de parents français, d'écoles secondaires françaises et du service militaire français, mais également des universités de Yale et de Columbia ", un beau mixe ...
Le livre écrit il y a un peu plus de 40 ans est à la fois complètement " décalé " et encore " performant " quant à certaines peintures sociétales. Je prépare quelques belles pages pour ce blog ce qui permettra, peut-être, de passer la période des travaux ! L'ouvrage s'ouvre sur une première partie dénommée " les données " avec un premier chapitre : " Le pays épique " ...

Des qualités ont été conférées au pays depuis le Ier siècle avant J.-C., lorsque le géographe grec Strabon loua ses vertus " comme si elles procédaient d'une prévision intelligente ". Plus tard quelque autre géographe à l'esprit de géométrie décida que la France était un hexagone presque parfait, avec trois côtés sur la mer et trois sur la terre ferme. Quel autre peuple a-t-il fait de la forme de son territoire une valeur esthétique et une source de satisfaction morale ? L'hexagone est devenu un trésor et un emblème.
Il s'est doté d'une vie propre et le dogme, selon lequel la France est une personne, a servi à éveiller les sentiments patriotiques : la France, comme Adam, a été modelé par le doigt de Dieu et, de ce fait, est parfaitement proportionnée et équilibrée, à égale distance de l'équateur et du pôle, dotée d'un sol fertile et d'un climat tempéré. Son peuple, par le fait même qu'il y vit, est un peuple élu. Il n'a aucune raison de s'égarer hors de l'hexagone sacré, qui lui procure une infinité de bonnes choses. C'est l'Eden de l'Europe, comme l'ont reconnu les Allemands en adoptant l'expression " Heureux comme Dieu en France "
Les dirigeants français voient dans leur patrie un objet d'amour viril : pour Gambetta, elle était une mère ; pour le général de Gaulle, une princesse de conte de fées. Grâce à des historiens comme Michelet, qui formula au XIXème siècle une doctrine personnaliste de la patrie, et grâce aux manuels de géographie qui chantent naïvement la perfection du territoire, les Français en sont venus à voir dans leur pays une grande dame dotée de richesses naturelles, enviée par des voisins jaloux mais toujours victorieuse dans l'adversité- parfois après avoir été sauvée in extrémis par un faiseur de miracles. [...]

Pour André Gide, de même que la France est diverse dans ses aspects, de même "le génie français n'est ni tout lande, tout pâturage, tout ombre ni tout lumière mais fait d'un équilibre harmonieux entre ces divers éléments". Dans les périodes difficiles de l'histoire, pourtant, apparaît un hiatus entre la France idéale, harmonieuse et les habitants indignes de ce paradis - une nation de râleurs, d'improvisateurs, d'amoureux du népotisme et des combines malhonnêtes. En 1940, Jean Giraudoux écrivit une page mémorable sur la splendeur du pays et l'indignité de son peuple, et le général de Gaulle a souvent tenu des propos amers sur le même thème. On sent fréquemment que les Français ne sont pas assurés eux-mêmes de ce qu'ils sont; que l'Angleterre, ce sont les Anglais et l'Allemagne les allemands mais que la France n'est pas les Français.

En réalité la France n'est pas plus un hexagone que l'Angleterre sans l'Irlande n'est un triangle. Cette vision des choses idéalisée et romantique est nécessaire précisément parce que la France loin d'être prédestinée en tant que nation n'est pas une unité géographique mais une mosaïque de régions rassemblées au cours des siècles et au terme de nombreuses guerres, un choix qu'a fait l'Histoire parmi divers "arrangements" possibles de l'Europe occidentale. L'hexagone représente l'aspiration à un univers ordonné, en compensation d'une histoire nationale turbulente.[...]

La géologie a joué à la France le tour de lui offrir une frontière naturelle là ou elle lui était le moins nécessaire tout en laissant ouverte les grandes routes d'invasion du nord et de l'est. Que serait devenue la nation si les Pyrénées avaient été plus stratégiquement situées, la séparant de l'Allemagne et de la Belgique ?

On a adopté l'idée bizarre que le Rhin était une frontière naturelle,alors que la vocation de tout fleuve est d'être parcouru par des bateaux et traversé par des ponts. [...]

Il n'y a en France pas plus d'unité ethnique que d'unité géographique.

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