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Une génération bouc émissaire

Publié le 22 janvier 2011 par Richardlefrancois

Richard Lefrançois

Relations, No 714, févr. 2007, p. 10-26.

Devant le vieillissement de la population, un populisme de droite nous aiguillonne sur des voies périlleuses plutôt que de réfléchir sur des stratégies rassembleuses et porteuses d'un véritable renouveau social.

Récemment, les travailleurs québécois furent la cible privilégiée des «lucides» qui leur reprochaient leur faible productivité. Au nom de la sacro-sainte efficacité économique, ces ténors de la droite ont vite abattu leurs cartes pour proposer de nouvelles mesures d'austérité et des partenariats avec le secteur privé, en s'empressant au passage de lui confier de nouveaux lieux d'expansion.

Le champ de prédilection de ces chantres néolibéraux demeure toutefois le vieillissement démographique. Depuis des années, ils s'emploient corps et âme à pourfendre la population âgée, en attendant de s'attaquer à la génération des boomers. Ils brandissent ce spectre n'ayant de cesse de jouer les Cassandre. La liste des scénarios-catastrophes est impressionnante: on anticipe que le vieillissement provoquera une escalade sans précédent des dépenses en santé, une réduction significative du panier de soins, l'effondrement des régimes de retraite, la raréfaction de la main-d'oeuvre, le ralentissement de la croissance économique, la réduction du niveau de vie, un conflit intergénérationnel, une vague conservatrice, une chute importante de la productivité et de la créativité et, pour couronner le tout, l'avènement du pouvoir gris. À l'heure où les besoins en personnel qualifié se font pressants et où les jeunes sont peu nombreux au rendez-vous, ces mêmes «lucides» aimeraient bien que les travailleurs âgés renoncent à quitter prématurément le marché du travail.

Les effets du vieillissement

Faut-il endosser sans broncher ces anticipations accablantes? Sinon, comment réagir aux charges intempestives contre ces boucs émissaires? Et ce, sans tomber dans un discours triomphaliste et rassurant qui voit, par exemple, dans le développement des nouvelles technologies la panacée au problème ou encore qui allègue qu'une démographie vieillissante apporterait plus de paix sociale en ralentissant le rythme de vie devenu trop effréné.

Dans le débat actuel sur la vieillesse, force est de reconnaître qu'une lecture dynamique et rafraîchissante des grands vecteurs sociologiques en marche fait cruellement défaut. Ces dernières années, les parcours biographiques des aînés ont été fortement modulés par les transformations sociétales et technologiques. Au fil des ans, ils ont su édifier une «culture de la vieillesse» qui a contribué à renforcer leurs liens et à protéger leurs droits. Leur implication sociale accrue a été bénéfique à toute la collectivité. Conséquemment, pourquoi emprunter le sentier de l'âgisme? En vertu de quel principe nous priverions-nous de leur inestimable apport comme bénévoles, personnes soutien, mentors, dépositaires de notre héritage et gardiens de nos traditions? Ces attributions sont d'autant plus capitales que la société postmoderne lamine les valeurs fondamentales, dissout les repères identitaires, érode les acquis sociaux, se dérobe devant ses responsabilités et abdique face à l'avenir après avoir enterré le passé. Au lieu donc de dénigrer les aînés, ne serait-il pas temps de renforcer leur potentiel, de briser leur isolement en levant les obstacles qui compromettent leur participation citoyenne?

En revanche, personne ne contestera que le vieillissement démographique aura un impact sur des secteurs névralgiques, sans pour autant gonfler la colonne des passifs. D'une part, la hausse des coûts en santé sera partiellement compensée par la contribution fiscale des retraités. D'autre part, la prochaine génération de retraités dynamisera de nombreux domaines d'activité économique. Nous assisterons à l'éclosion de nouvelles technologies, à la mise en marché de produits mieux adaptés à cette clientèle et à des services de proximité qui non seulement créeront de l'emploi, mais intensifieront la solidarité de quartier ou de village. On oublie trop souvent que les aînés régularisent et vitalisent l'économie à titre de consommateurs, contribuables, investisseurs, producteurs, pourvoyeurs et donateurs. Des retraités mieux informés, aguerris, autonomes et en santé pendant de longues années représentent un actif indéniable pour la société. Il importe donc d'investir davantage pour préserver le plus longtemps possible leur santé et de les valoriser en reconnaissant leur contribution.

Épouvantail démagogique

Au lieu de cela, les tenants du populisme de droite proposent des conclusions hâtives et conjecturales, assorties de solutions impopulaires et utopiques. Bien que les Québécois paient largement leur part d'impôts et de taxes, on autorise ou prône des hausses de tarifs d'électricité, le dégel des frais de scolarité et l'injection de sommes additionnelles pour accélérer le remboursement de la dette. Des voies qui ne tiennent nullement compte de la vitalité et de la disponibilité des aînés, de la solidité de la solidarité intergénérationnelle, pas plus que de la complexité et de la synergie de l'ensemble des forces sociales. Au contraire, on s'acharne à stigmatiser indûment les travailleurs et les aînés, donc des générations entières.

Pratiquer systématiquement la chasse aux boucs émissaires, mettre en opposition des fractions composant le tissu social, sont autant de stratégies risquant de compromettre ou de retarder le progrès social. «Le vieillissement accéléré est un phénomène que d'autres nations ont déjà traité avec audace et courage; qu'on songe aux Pays-Bas et aux pays scandinaves, où la proportion des aînés dépasse depuis belle lurette nos prévisions québécoises pour les 30 prochaines années. Ces nations ont-elles déclaré faillite, sont-elles sclérosées ou en panne de développement? Bien au contraire, elles cherchent à tirer profit de cette nouvelle clientèle, mais aussi à en faire de précieux partenaires sur le plan des services communautaires et de la vie citoyenne» (Jean Carette et Richard Lefrançois, «Halte à l'âgisme manipulateur», Le Devoir, 25 janvier 2006).

Les lectures politico-démagogiques évoquées précédemment ne tiennent donc pas la route. Elles nous éloignent d'une pensée sereine convoitant un projet de société novateur qui instaurerait en permanence la paix, la justice et la coopération, et qui serait porteur d'espérance, de direction et de sens pour toutes les générations. Les aînés y seraient perçus comme une ressource vitale et non comme un poids, un fardeau ou un risque. Nous n'atteindrons pas ce monde meilleur en persistant à croire que des sous-groupes particuliers sont responsables de nos malheurs. Nous y parviendrons encore moins en tombant dans le piège du mirage postmoderne, c'est-à-dire le consumérisme débridé, la performance narcissique, l'exaltation illusoire dans les jeux de hasard et l'épanouissement de soi au détriment de la solidarité.


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