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Alain Touraine, sociologue : "La mondialisation a fait disparaître le social. On l'a remplacé par l'humanitaire"

Publié le 22 janvier 2011 par Boprat
Source : Télérama
Extraits
  • Nous sommes devant un choix : ou l'on vit dans un monde de consommation au sens le plus fort du terme, de non-production, et ça dure ce que ça dure, car nous ne sommes plus en mesure d'exploiter le reste du monde, et l'Afrique et l'Amérique latine ont une alternative, la Chine. Ou bien on invente un nouveau type de société, ce qui est très compliqué. Les instruments d'intervention - syndicats, tribunaux, gouvernements...- ont tous été forgés dans un cadre national. L'économie mondialisée a rompu les amarres : personne, aucun gouvernement, aucune institution, ne peut agir sur elle. 
  • Vous parlez de « société post-sociale » ? Oui, la mondialisation a fait disparaître le social. Le social, c'est quoi ? Une manière d'utiliser des ressources matérielles pour en faire des formes d'organisation - écoles, hôpitaux, etc. Ces institutions détruites, on les remplace par de la compassion ou de l'humanitaire, qui ne sont pas à la hauteur des problèmes posés. Puisque l'économie est au-dessus de la société, libérée de toute contrainte sociale, qui peut s'opposer au triomphe de l'argent ?
  • Sur quelles forces non sociales peut-on compter ? J'en vois deux : tout d'abord ce phénomène extraordinaire de l'écologie. Nous avons vécu avec l'idée des philosophes Descartes et Bacon qu'il fallait dominer la nature. Maintenant, nous disent les écologistes, il faut gérer les rapports nature et culture, et donc imposer des limites à l'économie. Ces limites ne sont pas sociales, elles sont vitales.
  • Quelle est la deuxième force non sociale sur laquelle on peut compter ?
    L'individu ! L'individu peut certes privilégier la recherche de l'argent, du plaisir, du jeu, mais aussi la recherche des droits.
  • La question essentielle, qui demande de l'imagination, c'est : comment recréer de l'esprit démocratique ? L'homme qui nous aide le plus, c'est l'économiste indien Amartya Sen. Pour lui, il ne faut plus partir d'en haut, mais évaluer la capacité concrète qu'a chaque individu d'atteindre certains objectifs : l'éducation, la santé, la mobilité sociale... Ce qui définit un mouvement démocratique, c'est sa capacité à « fabriquer de l'acteur », à faire que les gens soient actifs. A fabriquer de la citoyenneté.
  • Il faut que soit toujours, partout, pris le parti du plus faible... Difficile d'être contre, non ? Jésus-Christ en a parlé abondamment. C'est cela l'universalisme : si vous reconnaissez les droits du plus faible, vous reconnaissez les droits de tous.
  • Mais des militants sans structure sociale peuvent-ils créer un mouvement collectif ?
    Le mouvement italien Popolo Viola est parti d'Internet : un jeune sociologue, avec quelques amis, a réussi à mettre dans la rue un million de personnes, alors que la gauche italienne n'était pas fichue d'en mettre vingt fois moins ! Les petites communautés utopiques, exemplaires, plus culturelles que sociales, pas animées par la défense d'intérêts spécifiques, ont un rôle important à jouer.

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