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LE CERCLE DES POETES DISPARUS de PETER WEIR

Par Abarguillet

Warner Bros. France   VIDEO


 Il y a des films qui apparaissent soudain comme un événement inattendu et insolite dans la production internationale et qui, grâce au bouche à oreille, qui fonctionne souvent mieux et plus rapidement que le réseau de la critique professionnelle, quotidienne ou hebdomadaire, emplissent les salles obscures comme par miracle.
Ce fut le cas du  Cercle des poètes disparus.  Certes la critique fut favorable au film de
Peter Weir, mais l'engouement immédiat des premiers spectateurs et leur enthousiasme communicatif permirent à l'information de se propager comme une traînée de poudre. Voilà un film qui aborde un sujet original et, sans le traiter de façon exhaustive, a le mérite de l'approcher et de poser le problème de la transmission du savoir et de la formation des esprits, d'autant mieux que le réalisateur s'octroie l'audace de situer son action au sein d'un des collèges les plus réputés d'Amérique : l'Académie Welton.  Il faut reconnaître au cinéma américain de choisir, à l'occasion, de manière innovante, des sujets difficiles, occultés la plupart du temps par le cinéma européen pour des raisons diverses...  Il est vrai aussi que la poésie, qui aspire à se libérer de la raison et à transformer le langage selon ses lois propres, peut inquiéter ou du moins déranger. Nous sortons là des sentiers trop bien balisés par les disciplines scientifiques et mathématiques, voire historiques et philosophiques, pour nous aventurer dans les jardins ensorcelants, où l'inconscient et le pré-conscient spirituel peuvent s'arroger des droits et côtoyer l'abîme intérieur de la liberté personnelle, avec la soif intime de mieux connaître et de mieux saisir les mystères de l'être et de l'existence. D'autant plus que l'activité non-conceptuelle ou pré-conceptuelle de l'intelligence joue un rôle déterminant dans la genèse de la poésie et de l'inspiration poétique. N'est-ce pas l'intuition qui se met alors à l'oeuvre pour atteindre à une connaissance qui n'est plus celle immédiate de la logique et de la raison, mais celle significative, intentionnelle et créatrice de l'intuition, sans laquelle il n'y a pas d'inspiration et de création valable ? Expérience capitale et approche significative qui orientent la pensée selon des critères plus subjectifs que rationnels.
"Est-ce qu'il me faut créer le monde pour le comprendre ? Est-ce qu'il me faut engendrer le monde et le faire sortir de mes entrailles "  - écrit Claudel
dans Les grandes odes.

Descendre au fond de soi pour y appréhender ce qui est à l'extérieur, entrer dans sa nuit pour y découvrir la lumière, devenir soi pour se mieux porter vers les autres, n'est-ce pas cela que Monsieur Keating a l'ambition d'apprendre à sa jeune classe ? Alors que l'enseignement traditionnel de ce collège forme depuis des décennies, dans un moule parfait, habilement structuré, les futurs grands serviteurs du pays, ce nouveau professeur vient, ni plus, ni moins, faire souffler la tempête et bousculer des principes qui paraissaient jusqu'ici inaliénables. Avec lui, la subversion pénètre ce lieu étanche, où la connaissance rationnelle se transmettait jusqu'alors de génération en génération, sans jamais avoir été remise en cause. Mais si le désordre est subversif par essence, est-il absolument nécessaire ? Voilà l'enjeu du film et la question qu'il soulève, même si la réponse, qu'il s'applique à donner, s'avère davantage sentimentale et pathétique que transcendentale. Au personnage central de Monsieur Keating échoie la responsabilité de donner à chacun de ses élèves le goût de soi. Plus exactement l'envie de juger le monde, la vie, les êtres, les situations, les idées, les grandes questions métaphysiques à l'aune de soi-même, sans se laisser influencer par l'air du temps. Ajuster son regard, affiner son esprit, libérer son imagination, accorder à son inspiration personnelle la place qui lui revient, se délester du fardeau de peur et d'angoisse qui pèse si constamment sur notre vie, c'est le challenge qu'il leur propose. Selon lui, il faut réanimer cette part secrète de nous-même, la faire revivre dans l'exaltation et l'enthousiasme, car " dans la poésie l'homme se concentre ou se retire jusqu'aux toutes dernières profondeurs de la réalité humaine " disait Hölderlin. C'est ainsi que les poètes sont les premiers à attester qu'ils ont un besoin essentiel de lucidité et de liberté,  le poème  étant, par excellence, un acte conscient et délibéré.

Ces préceptes, Monsieur Keating  va s'appliquer à les communiquer par le biais de méthodes peu orthodoxes, sorte de "mise en réforme" des idées reçues et ajustement d'un enseignement différent qui va créer nécessairement, au sein de l'établissement, un véritable séisme. A la raison est opposée l'imagination, le goût de la créativité, le désir d'exister dans une totale autonomie de la personne. Un enseignement qui n'est pas envisagé dans le but de former l'élève en fonction d'une activité précise, mais dans celui de l'aider à se trouver, à se réaliser selon ses dons et ses aptitudes, pédagogie que les responsables du collège et certains parents ne pourront tolérer.

Ce conte philosophique va irrémédiablement déboucher sur le drame, car toute tempête engendre ses naufrages. L'un des internes va se découvrir une vocation pour le théâtre, grâce au spectacle que les élèves, en fin d'année, organisent avec leur professeur. Bien entendu le père de cet interne s'opposera au souhait de son fils d'embrasser une carrière théâtrale et ce dernier se suicidera, tandis que le professeur sera renvoyé de l'institution sur le motif d'avoir mis ce jeune garçon sur la voie de l'autodestruction.
La dernière scène du film est superbe et inattendue. Alors que le maître salue une dernière fois ses élèves, toute la classe monte sur les pupitres, en criant : " O capitaine, mon capitaine ", afin de bien persuader leur ancien professeur qu'ils ont retenu sa leçon, qui n'est autre que de rester, envers et contre toute pression exercée par qui que ce soit,  un esprit libre.

  

Robin Williams. Warner Bros. France

Comme je l'écrivais au début de cet article, le film fut un énorme succès mondial qui  utilise habilement toutes les ressources de l'émotion. Robin William y est un professeur plein d'originalité et d'insolence, parfaitement crédible de par un jeu nuancé et ironique ; quant aux jeunes acteurs, ils sont étonnants de naturel et de spontanéité. Bien sûr ce long métrage n'échappe pas, comme beaucoup d'autres, au manichéisme bien connu du cinéma américain, avec d'un côté le bon professeur, de l'autre l'archaïsme borné du système éducatif, mais, malgré cette faiblesse, le film exerce son pouvoir envoûtant, auquel la musique de Maurice Jarre ajoute sa force émotionnelle. Un très beau film.


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Robert Sean Leonard et Robin Williams. Warner Bros. France

 

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