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[France - Pharmafieux] Eva Joly : «Après le Mediator, changer de politique de santé»

Publié le 24 janvier 2011 par Yes

Selon Eva Joly, eurodéputée EELV et candidate à la présidentielle, le scandale du Mediator montre les limites de «laboratoires pharmaceutiques (qui) investissent plus dans la communication, le marketing et le lobbying que dans la recherche et le développement de nouveaux produits!» Elle juge «urgent de remettre au centre de la politique de santé la recherche du bien commun».

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Le rapport de l’Igas sur le traitement du Mediator par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) est très sévère. Et pour cause! Alors que la revue Prescrire et le docteur Irène Frachon alertaient sur les effets néfastes de ce médicament; alors que l’attention de l’Agence européenne du médicament –où siègent en bonne place des membres de l’Afssap– était attirée dès 1998; alors que l’Espagne, la Suisse et l’Italie avaient décidé de retirer ce même produit de leur marché depuis déjà plusieurs années, notre «gendarme» du médicament restait, lui, sourd aux alertes qui se multipliaient.

Comment expliquer le retrait de ce médicament dans d’autres pays européens bien avant le scandale français de ces dernières semaines, si ce n’est par les défaillances du système français de prévention et gestion des risques, par la collusion d’intérêts privés au détriment de la santé publique?

L’industrie pharmaceutique exerce son influence à tous les niveaux de la chaine de décision. Près de 19.000 visiteurs médicaux sillonnent le territoire et incitent les médecins à prescrire les produits qu’ils représentent. Regroupés au sein de l’ICH (International Conference on Harmonisation), les entreprises du médicament influent sur les procédures suivies dans les agences d’évaluation, pour les raccourcir et les rendre moins coûteuses, au détriment de la sécurité des patients. Ce sont ces mêmes entreprises qui ont exercé un lobbying intensif au niveau européen, aboutissant à la refonte de la directive sur la pharmacovigilance vers une simplification et une libéralisation du système, là aussi dangereuse pour les patients.

Enfin, les industriels recrutent les meilleurs chercheurs et financent les experts les plus influents, ceux-là même qui, en dépit de conflits d’intérêt patents, participent aux décisions d’autorisation de mise sur le marché des nouveaux médicaments et qui peuplent les cabinets des ministres de la santé –quand ils ne deviennent pas ministres eux-mêmes!

Xavier Bertrand semble aujourd’hui découvrir la réalité de cette situation. On ne peut que s’étonner de cette volte-face lorsque l’on sait que, pour des raisons économiques, le médicament a été livré depuis des années aux mains de firmes privées. Disposant d’une force de frappe sans équivalent, ces dernières financent à 99 % l’investissement consacré en France à la recherche sur le médicament et à plus de 90 % la formation continue des médecins.

Les efforts des industriels pour se partager ce marché évalué à 34 milliards d’euros pour notre seul pays limitent l’innovation, quand ils ne concourent pas purement et simplement à perpétuer la vente de médicaments inefficaces et dangereux. Les laboratoires pharmaceutiques investissent plus dans la communication, le marketing et le lobbying que dans la recherche et le développement de nouveaux produits!

Il est urgent de remettre au centre de la politique de santé la recherche du bien commun. Au-delà du respect de règles contraignantes de transparence en matière de conflits d’intérêts, telles que la publication sur Internet de tous les engagements et revenus des experts (comme c’est actuellement le cas pour les députés européens), nous devons créer les conditions de la transparence de l’expertise. Il est parfaitement anormal que le secteur du médicament soit laissé aux seuls intérêts privés.

Il s’agit donc pour les pouvoirs publics de réinvestir massivement dans la recherche et produire ainsi des savoirs et des savoir-faire essentiels à la constitution d’une expertise indépendante des firmes. En outre, obligation doit être faite aux nouveaux médicaments de prouver un réel bénéfice pour les patients, afin que les investissements réalisés dans ce domaine apportent un véritable progrès par rapport à l’arsenal thérapeutique existant.

Enfin, la formation continue des médecins ne peut pas être assurée par la seule industrie pharmaceutique et son armée de visiteurs médicaux qui confond sciemment publicité et information. Il est indispensable d’investir massivement dans notre système universitaire qui doit permettre aux praticiens un accès aisé et systématique à des formations de qualité, portant notamment sur l’évolution des thérapeutiques.

Il ne s’agit plus de corriger de façon cosmétique un système qui ne fonctionne pas à chaque scandale médiatique. Il s’agit de mettre en œuvre les profondes transformations que les écologistes appellent de leurs vœux depuis des années, de même que nous défendons, chaque fois que nous en avons l’opportunité, la promotion de la démocratie sanitaire. Nous avons toujours défendu le droit des patients et des usagers à être représentés dans les instances telles que l’Afssaps. L’affaire du Mediator rappelle la pertinence de nos propositions, tout comme celles relevant de la protection des «lanceurs d’alerte», véritables contre-pouvoirs salutaires issus de la société civile.

Plus largement, nous devons sortir d’une logique de santé publique incitant à l’usage abusif de soins inutiles et parfois dangereux. C’est à une autre politique de santé à laquelle nous appelons. La mise en œuvre de cette politique alternative, fondée sur la promotion des services publics de santé, orientée vers la protection de l’environnement, l’éducation à la santé, la prévention et la réduction des inégalités, est l’un des piliers du projet de société que nous portons.

Eva Joly: «Après le Mediator, changer de politique de santé».


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