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Place du soldat dans la société

Publié le 24 janvier 2011 par Egea

Un correspondant (SO) me communique ce compte-rendu d'un colloque qui s'est tenu le 9 décembre dernier à l'Assemblée nationale, organisé par Mme Lhostalier, député du Nord, membre de la Commission de la Défense.

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Thème officiel : Quelle est la place du soldat dans la société aujourd’hui en France ?



Merci de ce compte-rendu extrêmement bien fait, d'un débat qui avait l'air fort intéressant. Si d'ailleurs vous assistez à des colloques qui valent le coup, n'hésite pas à m'envoyer vos CR, je les passerai.

O. Kempf

COLLOQUE SUR LA PLACE DU SOLDAT DANS LA SOCIETE.

Trois tables rondes étaient prévues avec la participation d’intellectuels (Blandine Kriegel, Monique Castillo) et de députés, (tous membres de la Commission de la Défense de l’AN) sur les thèmes suivants :

  • 1) Le cadre juridique et sociétal ;
  • 2) Soldat : Fonction ou métier ? Héros ou victime ?
  • 3) une société à éclairer sur ses engagements

Les débats, placés sous le patronage du Président de la République, ont été inaugurés par le Président de l’AN B Accoyer et clos par le Sénateur Josselin de Rohan Président de la Commission des AE, de la DN et des FA du Sénat.

1.- Sans prétendre à l’exhaustif je vous livre mes impressions générales.

11.- Tous les intervenants sans exception ont reconnu qu’il existait un fossé entre l’armée et la société, et que ce dernier irait en s’aggravant si rien n’était fait pour rétablir les liens. JC Thomann et plusieurs autres intervenants se sont inquiétés de la méconnaissance des questions de défense par les élites indiquant qu’on pouvait arriver aux plus hautes responsabilités de l’Etat en ignorant tout des questions militaires et de défense. JC Thomann : Pour beaucoup de responsables politiques, la Défense est devenue une boite noire.

12.- Les raisons du fossé, dont les Sentinelles ont à l’occasion déjà débattu, ont été longuement évoquées et tiennent d’une part à des évolutions objectives (disparition de la menace directe et mise au ban de la guerre, refus du sacrifice et de la mort, dont les armées sont porteuses, individualisation des sociétés de moins en moins prêtes à la solidarité et à l’effort collectif, affaiblissement de la cohésion nationale, perte de l’esprit civique affaiblissement du principe d’autorité, etc…), et d’autre part subjectives (idéalisme ou naïveté pacifiste, confusion entre violence et force maîtrisée dont les armées ont la responsabilité, glorification des « valeurs économiques et mercantiles » aujourd’hui placées au cœur des questions de défense prenant le pas sur les idéaux démocratiques, etc…)

13.- La philosophe Blandine Kriegel s’est appuyée sur Emmanuel Kant pour récuser absolument le thème idéaliste de la paix universelle en rappelant qu’il ne pourrait y avoir de paix universelle que s’il y avait une République ou un état de droit universel .. Cette remarque soulève au passage la question des relations avec la Chine (20% de l’humanité), ou le Droit tel que nous le concevons, placé au-dessus du pouvoir exécutif, n’existe pas, dans un contexte global où l’influence de la Chine se propage à travers le monde, sur un mode où tout est mis en œuvre, sans contre pouvoir, pour les intérêts directs de la Chine (quête de ressources, de technologies et d’influence), avec, à l’intérieur du pays, les seuls objectifs de la croissance, du maintien de la stabilité sociale et du rôle dirigeant du parti que ce dernier assimile à l’intérêt supérieur du pays.

14.- Un consensus s’est fait jour autour de l’idée que le militaire, ni victime, ni héros, n’était pas non plus un fonctionnaire, mais qu’il exerçait une vocation impossible à banaliser comme un métier normal. Blandine Kriegel a même tenu à placer les militaires à part, y compris par rapport aux métiers à risques, comme la police et les sapeurs pompiers. S’il est vrai que ces derniers sont mis en présence du danger et de la mort qui survient par accident, aucun des deux n’est cependant confronté à des « hostiles agressifs », dont le but est leur destruction. Telle est la vraie spécificité des militaires, dont la mort au combat n’est pas accidentelle, locale ou contingente, mais est le résultat d’une action hostile qui porte en elle une menace contre la Nation elle-même, à laquelle l’armée s’identifie.

15.- Les officiers généraux des table ronde ont été unanimes, parfois contre les députés, pour affirmer que le premier effort à faire pour replacer les armées au sein de la Nation devait être consenti par les politiques, dans les débats nationaux, en amont des présidentielles, dans les arbitrages budgétaires, (souligné par le sénateur de Rohan), pour redonner aux armées une légitimité nationale et populaire, et expliquer les engagements des armées hors de France aux ordres de la République, notamment en Afghanistan.

16.-Plusieurs idées convergentes ont désigné le système scolaire et universitaire comme la pierre angulaire des stratégies de reconquête par les armées de leur place dans la nation. Les études sur les questions de sécurité et de défense devaient être intégrées dans tous les cursus et constituer un continuum scolaire et universitaire, commençant à l’école avec l’instruction civique et se poursuivant au Lycée et à l’Université par des ouvertures obligatoire et intégrées aux programmes sur les questions de stratégie et de défense.

JC Thomann a cité à cet égard, les initiatives locales lancées par lui avec la marie de Lille qui réunissent dans une action républicaine, démarquée des clivages politiques, les patrons d’universités, les responsables politiques de tous bords, les enseignants et les étudiants. Le mode d’action repose sur des conférences données par des officiers, qui constituent une ouverture aux questions de défense et aux problématiques stratégiques d’envergure globale et peuvent donner lieu à des réunions - discussions avec les étudiants, sous la forme de cafés-défense. L’expérience qui fonctionne depuis plus d’un an peut être élargie et affinée avec l’intégration des questions de défense dans les cursus universitaires. Rien n’emp.che les autres métropoles régionales de s’engager dans cette voie avec l’aide d’officiers prêts à s’investir sur le même mode.

A coté de la voie du système éducatif comme ferment du rétablissement du lien Armée – Nation, une autre fréquemment évoquée, bien que les modalités et les problèmes aient été passés sous silence, est celle des réserves.

2.- Le colloque a été marqué par quelques échanges ou présentations remarquables.

21.- Les organisateurs avaient invité un Chef d’escadron gravement blessé en Afghanistan dont le témoignage était à la fois très instructif, extraordinairement digne, émouvant et lucide. Evoquant non seulement la douleur et le traumatisme psychologique de sa blessure, mais également ses interrogations et celles de ses hommes face à la peur, aux incertitudes et . la menace quotidienne, il s’est livré à une réflexion sur les motivations et les ressorts psychologiques qui permettent de les surmonter.

De son point de vue, la première des forces qui l’animent prend racine dans les traditions de générosité et d’abnégation de l’armée française, mue à la fois par l’esprit chevaleresque et l’attachement aux valeurs de liberté et de générosité de la République. En 2ème niveau – au demeurant plus un soutien psychologique quotidien qu’une motivation profonde - vient de l’instinct de survie et de la rage ressentie face à des hostiles agressifs qui ne respectent aucune de ces valeurs (ce qui nous renvoie à Blandine Kriegel et . Kant). Enfin le Commandant a souligné que les hommes au combat sont rassérénés par l’efficacité du Service de santé et la rapidité avec laquelle ils sont évacués. Dans son cas, il était à Percy 24 heures après sa blessure. Cette remarque a conduit l’amiral Lanxade à appeler le politique à ne pas toucher au service de santé quel que soit son coût.

Bien qu’il ne s’agisse là que d’une incidence sans importance, j’ai trouvé tristement révélateur que Madame Katia Gilder, journaliste à LCP ait purement et simplement oublié de présenter le Commandant et de lui passer la parole, ce qu’elle n’a fait qu’après que la salle l’ait bruyamment rappelée à l’ordre.

22.- Un autre échange intéressant a eu lieu après que le Contrôleur Général des Armées Dudognon ait expliqué avec de nombreuses précautions oratoires, évoquant l’objectivité de son approche, qu’il n’y avait pas de décrochage net entre la fonction publique et la fonction militaire .. La controverse qui a suivi est révélatrice, non seulement des incompréhensions entre les approches strictement chiffrées et la réalité complexe du terrain, mais également des blocages qui continuent à gêner la prise en compte des problèmes, y compris, et peut-être surtout, par les militaires eux-mêmes.

Répondant aux propos du CGA Dudognon, le CGA Freiermuth s’est étonné qu’on puisse expliquer que les militaires étaient globalement traités de manière satisfaisante alors que les armées, et singulièrement l’armée de terre, étaient confrontées . un très grave problème de recrutement à tous les niveaux y compris à Saint-Cyr, tandis qu’il était de notoriété publique que l’EMAT avait beaucoup de mal à retenir ses engagés.

Etrangement et contre toutes les évidences rappelées dans de nombreux rapports, un général de l’EMAT, présent dans la salle s’est cru obligé d’affirmer que « l’armée de terre n’avait globalement pas de problème de recrutement ».. A d’autres moments du colloque, la question a été remise sur le tapis, d’abord par l’Amiral Lanxade qui soulignait que, dans le monde anglo-saxon, les militaires et les valeurs qu’ils représentent étaient singulièrement mieux traités qu’en France, puis par le Général JC Thomann qui a brutalement rappelé que les officiers britanniques étaient deux fois mieux payés que leurs collègues français.

23.- Enfin, un échange intéressant a opposé le Député de la Charente JC Viollet et le Général Thorette sur la question de l’engagement politique des militaires. Poussant au plus loin le raisonnement sur les risques d’un clivage irrémédiable entre l’Armée et la Nation, le Député Viollet milite pour que les militaires d’active soient autorisés à s’engager en politique. Ce à quoi le Général Thorette . s’oppose viscéralement ., anticipant de graves effets pervers qu’on peut – dit-il - facilement imaginer, mais qu’il n’a pas explicités.

Réfléchissant à cette question, le général Poncet a brossé le tableau de ce que serait à. l’extrême une armée de gladiateurs , dont les soldats, prêts à mourir pour les politiques de la France quelles qu’elles soient, sans jamais prendre part aux débats qui les entourent ou les préparent, combattant aujourd’hui sans état d’âme les alliés d’hier, ou pactisant, au gré des fluctuations de la politique, avec les anciens ennemis de la France.

Cette caste à part. vivrait repliée sur ses valeurs propres de solidarité, de courage, de goût du risque et de fidélité à son Etat, sans jamais s’impliquer dans les débats nationaux qui pourtant pourraient les concerner au premier chef.

S’exprimant ainsi, le Général Poncet anticipait une fracture extrême et définitive entre le peuple et son armée où les militaires, mercenaires intérieurs, attachés à leurs codes particuliers qui sont autant ceux d’un mode de vie qui n’a plus cours dans les sociétés modernes, que ceux d’une vocation dédiée à la défense de Nation, dont ils se placeraient pourtant eux-mêmes en marge.

Entre l’ancien commandant le RM 4 et le Député Viollet, deux positions totalement opposées situées aux extrémités de l’état de soldat. L’une, impliquée avec armes et bagages ., au risque de manipulations politiques, et l’autre, positionnée ailleurs, complètement démarquée, dans une sorte de neutralité exaspérée, accentuant encore les fractures et les incompréhensions.

Ces positions tellement contradictoires décrivent bien les difficultés du lien armée-nation, dans le contexte d’une armée professionnelle, où les codes des uns paraissent très éloignés des conceptions civiles du progrès, de la vie en société et des moyens de protéger nos intérêts vitaux tout comme nos modes de vie, dans un monde où, croit-on, le doux commerce et l’illusion d’un progrès humaniste finiront par propager la paix universelle.

De mon point de vue, il me paraît évident que sans aller jusqu’à l’engament autorisé des militaires dans la politique, les progrès de leur liberté d’expression seraient une des conditions nécessaires – évidemment pas suffisante – pour éviter que ne s’accentuent les fractures décrites plus haut. Curieusement, cet aspect du débat a été complètement passé sous silence par les participants qu’ils soient civils pu militaires.

Le seul à l’avoir très clairement évoqué est JC Thomann qui, dans sa présentation, a directement stigmatisé la répression dont ont été récemment l’objet le CE Mattely et le Général Desportes. Répondant à Mme Françoise Hostalier, ancien ministre, député du Nord, membre de la Commission de la défense de l’AN qui incitait les militaires à mieux se faire connaître pour sortir de leur isolement, il a indiqué qu’un tel mouvement serait improbable aussi longtemps que ceux des militaires qui expriment des opinions divergentes seront sanctionnés.

3.- Conclusion.

Le colloque était de bon niveau, balayant largement et sans concession tous les aspects de la question, même si la plupart n’ont été, c’est la loi du genre, seulement effleurés. Des pistes ont été mises à jour pour raviver le lien Armée – Nation, où le système éducatif et les réserves tiennent la première place. Mais il est évident que l’initiative n’est, à ce stade, à peine plus qu’une prise de conscience des milieux les plus intéressés par le sujet.

Les fractures qui se font jour, dont certaines sont culturelles, ne seront pas résorbées de sitôt. Il y faudra de la constance, de la durée et une sérieuse implication des élites politiques et militaires, accompagnant aussi la levée de quelques blocages et tabous.

Le premier d’entre eux a peut-être trait à la liberté d’expression publique des militaires sur les questions qui les concernent au premier chef et dont ils sont souvent les experts les plus pertinents, allant de l’organisation des forces. ’identification des menaces, en passant par la question sensible de la .suffisance budgétaire .,de l’étude des équipements et des structures du futur et du lien entre l’armée et la société.

C’est bien la conscience de la difficulté de la tâche et celle de la nécessité de poursuivre les efforts dans la durée qui pousse l’Amiral Lanxade à proposer la création d’une fondation dont la mission serait de suivre l’évolution du lien armée – nation au fil des années et de veiller au maintien de la dynamique réparatrice lancée le 9 décembre.

A mon sens, il conviendrait aussi de faire en sorte que le débat ne soit pas manipulé politiquement comme l’a été celui autour de l’identité nationale. Une des pistes pour éviter cet écueil serait de travailler assez longtemps le corps social et éducatif au niveau local, afin que les initiatives réussies à la base s’imposent d’elles-mêmes.

Enfin j’estime que la démarche qui s’adresse non seulement aux élites, mais évidemment et peut-être surtout à la jeunesse ne manquera pas de télescoper un jour ou l’autre la question du malaise de la jeunesse et celle du désordre dans les banlieues des grandes métropoles françaises.


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