Magazine Journal intime

Inpromptu sur Virginia...

Par Yann Frat / Un Infirmier Dans La Ville

La note précédente sur Virginia m'a rappelé tout à coup une conversation un peu étrange (vu le propos, le contexte et l'endroit) que j'avais eu avec mon étudiante, dans la voiture, pendant la tournée, entre deux patients...
Mais tant pis je me lance,en gros ça donnait ça...

"...Non mais il y a bander et bander tu vois. C'est vrai en service, je te jure j'ai entendu des trucs hallucinants sur "les hommes obsédés de la quéquette bla bla bla..." dès qu'un patient avait eu le malheur de bandouiller pendant une toilette alors que bon, soyons clair, moi qui suis un homme je peux te dire il y a bander et bander... C'est sûr que le papi, ou le trentenaire, qui t'attend excité comme un âne avant même que tu ais franchi la porte ou qui a des paroles ou des gestes déplacés c'est totalement inacceptable et tu ne dois en aucun cas l'accepter... C'est clair que dans des cas comme ça tu ne tergiverse même pas: soit il se calme soit tu ne fais pas le soin point barre; d'ailleurs si jamais un de mes patients (lucide...) a le malheur de mettre la main au cul a une de mes collègues, on arrête la prise en charge immédiatement, ce n'est pas négociable et pareil si ça t'arrive bien sûr... Mais bon ceci dit et posé après il faut être lucide nous aussi... Quand tu fais la toilette d'un pauvre jeune qui s'est scratché en scooter et qui a les deux bras dans la plâtre disons, qui est cloué sur son lit et qui peut rien faire, tu le mets à poils et tu lui passe un gant tiède entre les cuisses... ben... faut être aussi un peu lucide... Mais en fait je peux te dire qu'à la limite ca n'aura presque rien à voir avec toi... On a aussi une certaine part de réflexe, à un moment... Et c'est là que c'est à toi de te positionner, à toi de voir si il est rouge comme une pivoine, si il est gêné ou au contraire si il en fait des tonnes tout content de lui parce que là, evidemment tu dois adapter ton attitude... Mais sinon je t'assure que assez souvent c'est plus réflexe qu'autre chose... D'ailleurs tu sais même avec moi il y a des pépés qui tous les matins, sont "en pleine forme"... Et je ne pense pas vraiment que ce soit moi qui les excite tu vois... En fait quand on a un doute on en parle avec ma collègue et on voit... Ça c'est l'avantage d'être une équipe qui s'entend bien... On est sur la même longueur d'onde et on va pas hurler juste parce que un matin pépé est un peu rigide (même si franchement c'est pas ce qu'on préfère évidemment)... Mais ça marche aussi parce que nos limites sont très claires tu vois et qu'on sait tous les deux faire la part des choses...
Après je ne comprends pas qu'on ne vous en parle pas lus que ça à l'école... C'est vrai quoi, vous avez 20, 25 ans, vous êtes quand même plutôt mignonnes (si,si et puis eux ils sont dans leurs lits sans voir personne alors...) et on vous lâche comme ça, gant à la main, sans jamais évoquer le sujet, sans jamais même prendre le temps calmement de se dire que ben oui je peux plaire aux patients, evidemment alors comment je me positionne? Où je pose ma limite?... Parce qu'après tout c'est pas un drame en soi de "plaire" à des inconnus, ça doit t'arriver tous les jours dans la rue ou au supermarché, c'est même parfois un jeu... Et puis tu ne sors pas du couvent des oiseaux, tu sais bien que les garçon regardent les filles alors tout simplement je ne comprends pas qu'on n'y réfléchisse pas calmement, sainement, chacun avec sa réponse argumentée, sincère sur "qu'est ce qui est acceptable vu les conditions?" Et "qu'est ce qui ne l'est pas?"... C'est même étonnant qu'on nie à se point la sexualité du patient non ? Comme si dans un lit d'hôpital, là ou justement le corps et les soins du corps, l'inquiétude autour de lui deviennent presque obsessionnels et rythment en tous cas le quotidien, ben non, cette partie là tu la laisses à l'entrée et tu la retrouve (ou pas) en sortant...
Et c'est comme la branlette! Attends le nombre de scandales que j'ai entendu  dans les services parce que la nuit elles ont vu ou entendu que le gars de la 17... C'est hallucinant parfois!!!... Parce que bon, là aussi il faut recontextualiser un peu je trouve... C'est sûr que John qui t'attend à midi en bandant comme un âne ou qui se touche dans le couloir en te regardant non et non, ce n'est pas possible... Mais d'un autre coté si Monique, 120 kilos et 25 ans de nuit, entrant comme une furie à 23 heures dans les chambres en allumant toutes les lumières, trouve un jeune homme tout content en train de mater le porno de canal c'est de sa faute à elle je trouve non?... Tu en parleras avec ton copain et tu feras uns sondage si tu veux mais moi je te dis que passé 10 jours d'hospitalisation (où on est clair hein, pas les jours de bloc... quoique...) 99.99% l'auront fait une fois... Donc ça va, c'est pas le pire drame du siècle non plus... Passé 20 heures tu frappes à la porte, tu t'annonces et tu rentres doucement dans les chambres... Surtout le premier samedi du mois évidement... D'ailleurs ce jour là, tant qu'à faire arrange toi pour éviter de passer dans les chambres entre 11h et 1h du mat ca sera plus simple pour tout le monde!!!
Non mais tu vois ce que je veux dire ou pas?
Ce que je veux te dire c'est qu'être soignant ce n'est pas se satisfaire d'un fait brut, d'une donnée qui n'aurait que le sens que tu lui donnes... Être soignant c'est chercher à comprendre un peu ce qui se passe aussi "tout autour" de ce fait...
C'est comme le fameux "je veux mourir" en fait (ndr oui eros et Thanatos, j'assume ;)) ... Parce que bon si tu appelles les soins palliatifs chaque fois que tu entendras cette phrase t'as pas fini de passer pour une conne je te le garantie... Parce que tu as le "je veux mourir" de la mémé qui s'ennuie mais qui trouve insupportable le moindre courant d'air... Tu as le "je veux mourir" de l'adolescente de 14 qui vient d'absorber 30 Spasfon parce que son mec l'a quitté mais en fait en cherchant après tu vas voir qu'il y avait une vraie sous couche de merde derrière... Tu as le "je veux mourir" des gens qui sont au milieu de leur chimio et qui n'en peuvent plus, qui ne se sentent pas de refaire le même calvaire une nouvelle fois parce que c'est vraiment terrible comme traitement... Et puis tu as le "je veux mourir" du gars qui te prend la main juste après que le médecin lui ai annoncé qu'il a deux tumeurs incurables au cerveau et qu'il ne pourra plus marcher et qu'il va perdre le vue et l'ouïe avant de s'enfoncer peu à peu dans le coma alors qu'on ne pourra rien faire...

Tu vois ce que je veux dire alors ou pas ? Les mots et les gestes des gens il faut essayer de les comprendre avec ce qu'ils sont, avec qui ils sont et voir ce qu'ils veulent dire vraiment je pense; il faut ensuite essayer de recevoir tout ça de façon lucide et sans te laisser embarquer par tes propres fantasmes ou tes propres peurs (d'où l'intérêt d'en avoir parlé calmement avant...)... Et pour moi c'est ça être soignant... Parce que bon si tu ne sais que ricaner quand un pauvre petit jeune va bander sans le vouloir pendant la toilette ou être choquée parce que tu viens de comprendre que oui, la nuit, quand il est seul,  il se branle ou que quand un patient te dis "je veux mourir" tu ne sais que lui répondre "mais non mais non, faut pas dire ça, vous allez voir le docteur truc, il va vous donner du Lexomil..." Franchement, pour moi,  t'as rien à foutre dans ce métier".


Retour à La Une de Logo Paperblog