Après la Tunisie, voici maintenant venu le tour de l’Egypte, comme dans une vaste théorie des dominos. Cette révolte partie du Maghreb, s’étend à tout le Moyen-Orient, telle une traînée de poudre. Des dizaines de milliers de manifestants défient le pouvoir du président égyptien Moubarak, dans plusieurs villes du pays - Le Caire, Alexandrie…-, au cours de heurts avec les forces de l’ordre, qui ont fait plusieurs victimes, à l’image des tensions ayant touchées le centre-ouest de la Tunisie, les quinze derniers jours. Les potentats locaux ne manquent pas dans le monde arabo-musulman, en particulier… Mais les Etats de la région ont également leurs spécificités. C’est ce qui explique d’ailleurs, la prudente réserve dans les rappels à l’ordre émanant des démocraties occidentales. Il est vrai que l’Egypte, n’est pas la Tunisie, les problématiques y sont autres. L’Egypte est l’Etat le plus peuplé du monde arabe (80 millions d’habitants) et le berceau historique du fondamentalisme islamiste. Les Frères musulmans sont une des principales forces d’opposition, dans un pays aux problématiques sociales diverses, en pleine explosion démographique. Le terrorisme frappe l'Egypte depuis les années 1980, pays comptant également la plus importante minorité chrétienne au Moyen-orient, représentant près de 10 à 15 % de la population - majoritairement de l'Eglise copte orthodoxe -, régulièrement visée et harcelée.
La Tunisie a toujours fait figure d’exception, depuis 40 ans, en tant qu’Etat laïc, dans le Maghreb et dans tout le monde arabo-musulman. Dans les années 60, le président Bourguiba vint un soir à la télévision, pour boire un verre d’eau et dire aux Tunisiens, « le ramadan est inadapté aux conditions économiques modernes, travailler et manger, je m’arrange avec Dieu ». Anecdote révélatrice de la personnalité hors-norme du fondateur de la Tunisie indépendante, despote éclairé, modernisateur et anticlérical, une sorte de Clémenceau maghrébin. La querelle autour des droits de l’homme, de la démocratie, ne peut s’abstraire de ce contexte. Il serait bien-sûr exagéré d’expliquer que l’alternative pour la Tunisie se situait entre l’autoritarisme musclé de Ben Ali et l’islamisme, à l’image de l’Egypte tenu sous la férule du général Moubarak, depuis 1981. Bien-sûr, la lutte contre l’Islam radical, la peur de la guerre civile, qui ravagea le voisin algérien, dans le cas de la Tunisie, sont devenus de commodes prétextes, pour couvrir la corruption à grande échelle et la cupidité brutale et sans complexe de la belle-famille du président tunisien, en l’occurrence, maintenant contrainte à l’exil. Mais la démocratie libérale suppose par ailleurs, l’émergence d’un citoyen évoluant en-dehors des dogmes religieux, rationnellement, cheminement qu’a suivi la France au milieu du XVIIIe siècle. Mais cette évolution s’est inversée, et l’on assiste paradoxalement, à un basculement dans tout le monde arabo-musulman, particulièrement constatable en Egypte - pays du tiers-monde à la démographie galopante, vivant essentiellement du tourisme et des exportations de coton et de canne à sucre -, vers un Islam rigoriste, avec pourtant aussi dans tous ces pays, une élite bourgeoise éclairée, cultivée.
Jusqu’à présent, le discours délivré par Ben Ali ou d’autres dirigeants, à l’image d’Hosni Moubarak, était plus ou moins le suivant : enrichissez-vous, au prix de votre liberté. Mais ce modèle classique de développement fondé sur les exportations et le tourisme, a trouvé ses limites. C’est la loi d’Erin de la mondialisation. A la chute du mur de Berlin, on avait cru que le monde entier se convertirait à la sauce libérale occidentale. Mais ça ne s’est pas accompagné nécessairement par une démocratisation des régimes politiques, la dictature capitalistique étant devenue le vrai modèle d’aujourd’hui, le tout mâtiné de vrais retours identitaires et religieux. En tout cas, ce qui est certain, c’est que l’on assiste aux plus grands bouleversements géo - politiques dans cette région depuis la décolonisation. Tout un modèle politique se voit ainsi remis en cause. Certes pour l’instant, le sang n’a pas encore coulé en Egypte, à proprement parler. Mais le mouvement va-t-il se poursuivre ? Quelles sont les issues pour le régime en place ? Comment va-t-il faire face et gérer cette vaste contestation populaire, qui semble réellement prendre de l’ampleur ? Autant de questions lourdes de conséquences et qui trouveront aussi des réponses dans les prochains jours. A suivre…
J. D.