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Endurci pour survivre

Publié le 15 janvier 2008 par Raymond Viger

Jean-Pierre Bellemare, prison de Cowansville, Volume 16, no. 3, Février-mars 2008

Les prisonniers au pénitencier à sécurité maximum font partie des plus durs: tueurs à gages, hommes de main et bien des sans-cœur de toutes catégories. Ce groupe est composé des pires humains qu’on voudrait éviter comme voisins. Ces hommes, j’en ai fait partie lors de mes premières années d’incarcération. La peur qui transpirait à travers ma peau me rendait imprévisible. Vivre sous cette énorme tension me rendait explosif.

Lorsqu’un jeune détenu arrive dans une prison à sécurité maximum, son pire ennemi devient sa peur. Celle-ci enflamme son imagination à un point tel qu’il risque de faire des gestes regrettables autant pour lui que pour son entourage. C’est ce qui m’est arrivé.

Il n’y a pas de comité d’accueil pour sécuriser le nouveau prisonnier. Les autres détenus se font un malin plaisir de l’effrayer par des menaces de viols ou des allusions toujours liées au sexe. Plusieurs nouveaux s’arment d’un couteau artisanal pour se protéger ou se gèlent la face au maximum. Dans le pire des cas, certains consentent à des relations sexuelles malgré leur dégoût. D’autres n’arrivent pas à surmonter leurs peurs, tentent de mettre fin à leurs jours en se coupant les veines ou en tentant de se pendre dans leur cellule.

Un vrai dur en prison, c’est quelqu’un qui tue ses émotions en premier puis celles des autres par la suite. Il nous arrive de devenir comme des robots, froids et distants. Le temps que nous passons à nous comporter de cette façon entraîne des dommages sérieux dans notre perception de la réalité. Lorsqu’un détenu craque et s’effondre, nous avons tendance à accélérer sa perte. Inconsciemment, ayant éliminé notre sensibilité parce qu’elle nous nuisait, nous n’acceptons plus que les autres l’affichent. Elle nous rappelle les douleurs et sacrifices nécessaires que nous avons dû consentir pour nous robotiser.

Les durs sont finalement des gens très sensibles qui, pour se protéger des autres, tuent une partie d’eux-mêmes. Le jour où l’on veut communiquer avec quelqu’un de sa famille, on réalise subitement notre froideur. Cette flamme de vie qui anime la plupart des gens disparaît chez les prisonniers qui purgent de longues sentences. Vivre aussi intensément cause des problèmes de communication et surtout relationnels avec les autres. La vie nous semble vide, ennuyante, désintéressante.

Ceux qui croient s’en tirer indemnes réalisent finalement qu’ils ne sont plus les mêmes et cela dans des circonstances parfois surprenantes. Lors d’un retour en société, le système pénitentiaire fait en sorte que le prisonnier subissent une sorte de désintoxication de sa violence et de sa tension en lui faisant traverser des étapes progressives.

Pour ma part, ces expériences m’ont enseigné des façons de faire et de résoudre les problèmes que j’aurais voulu éviter. La maturité m’a appris qu’un homme qui sait reconnaître sa peur et tente de chercher à la maîtriser est beaucoup plus admirable que celui qui se laisse guider par elle. Le pire conseiller que je connaisse s’appelle la peur.


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