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"La Charité du Christ nous presse" de Mgr Marc Aillet

Publié le 31 janvier 2011 par Francisrichard @francisrichard

Mgr Marc Aillet vient de publier une lettre pastorale ayant pour titre La Charité du Christ nous presse et pour sous-titre L'urgence de la mission, aux éditions Artège ici. Le titre provient du verset 14 du chapitre V de la seconde épître aux Corinthiens de Saint Paul. 

Mgr Aillet est évêque de Bayonne, Lescar et Oloron. Je suis donc une des ses ouailles quand je me trouve dans ma thébaïde de Saint Jean-de-Luz.

J'ai déjà eu l'occasion de l'approcher à deux reprises. Une fois quand il a dit la messe selon le rite extraordinaire à Biarritz le jour de la Toussaint 2009 ici et une seconde fois quand il a prêché dans l'église saint Jean-Baptiste de Saint Jean-de-Luz le jour du Vendredi Saint de l'année dernière.

L'évêque de Bayonne n'est donc pas un inconnu pour moi. J'ai d'ailleurs été déçu en bien, comme on dit dans le Pays de Vaud, quand j'ai appris qu'il était un des quatre évêques français à avoir marché pour la vie le dimanche 23 janvier 2011 à Paris. Je n'aurais pas été surpris si j'avais déjà lu à ce moment-là sa lettre pastorale, où il signale la création [début 2010] de l'Académie diocésaine pour la vie.

Dans son introduction Mgr Marc Aillet explique le but de cette magnifique lettre pastorale. Il s'agit de répondre à l'appel à la nouvelle évangélisation que le pape Jean-Paul II a lancé il y a maintenant plus de 30 ans et que le pape Benoît XVI a confirmé récemment en créant le Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation [motu proprio Unicumque et semper du 21 septembre 2010].

Pourquoi une nouvelle évangélisation ? Parce que le Concile Vatican II a trop souvent été mal interprété. Au lieu de l'être selon une herméneutique de la continuité, il l'a été selon une herméneutique de la rupture. L'"ouverture au monde", partant "d'un regard de bienveillance sur certaines évolutions du monde moderne", aurait dû être "orientée vers l'annonce de l'Evangile du Salut" au lieu d'être de fait une "sécularisation" de l'Eglise : on a en effet trop souvent reconsidéré "l'Eglise elle-même à partir du monde".

Quels sont les fruits ?

"Nous devons admettre avec lucidité - et c'est d'abord une cause de souffrance pour nous tous - les symptômes persistants d'une Eglise en difficulté : vieillissement du clergé et des assemblées paroissiales, crise des vocations sacerdotales et à la vie consacrée, éclatement de la famille, crise de la transmission de la foi aux jeunes, essoufflement spirituel et tentation de l'activisme, distance avec le Magistère romain, éclipse de la présence de l'Eglise dans la société, etc."

Tous les hommes d'Eglise n'ont pas, hélas, cette lucidité...

Les moyens concrets que met en oeuvre Mgr Aillet pour donner un nouvel élan missionnaire à son diocèse devraient inspirer ses confrères en épiscopat. Plutôt que de les passer en revue je soulignerai que "le Kérygme en est le coeur : la proclamation, par des témoins, du Mystère du Christ mort et ressuscité pour nous sauver; il a pour objet de "susciter l'acte de foi", en favorisant la rencontre avec le Christ et en appelant à la conversion". Tant il est vrai que "dans l'Eglise catholique, par formation et par tradition, nous sommes parfois devenus davantage enseignants que prédicateurs au sens du Kérygme".

J'ajouterai que Mgr Aillet ne rejette aucune expression de la foi, qu'il s'agisse de formes de piété populaire, telles que les vénérations de reliques, les pèlerinages, les processions, les chemins de croix, ou celles de nouveaux mouvements ecclésiaux ou communautés nouvelles, tels que le Renouveau charismatique, Communion et Libération, Chemin néocatéchuménal.

Toutefois un nouvel élan missionnaire ne peut se faire sans renouveau intérieur. Le véritable "esprit du Concile" ? Un souffle spirituel et missionnaire qui peut se résumer à cette invite du pape Jean-Paul II, dans sa lettre apostolique Novo Millennio Ineunte, du 6 janvier 2001, "à "contempler le visage du Christ", comme "fondement absolu" de toute action pastorale et missionnaire" :

"Il ne se réduit pas à quelques réformes de structure, qui demeurent périphériques par rapport au renouvellement intérieur que le Concile a préconisé pour que l'Eglise soit plus fidèle à la mission du salut du monde qu'elle a reçue de son Maître et Seigneur, comme l'attestent tous les mouvements de Renouveau nés dans l'Eglise post-conciliaire. D'ailleurs les réformes de structure ou les résolutions pratiques qui se réclament du Concile doivent être évaluées à l'aune de cette intention fondamentale. Si ces résolutions venaient à manquer à ces deux visées contemplative et missionnaire, alors elles seraient infidèles au Concile et devraient être révisées, voire abandonnées."

Que doivent proposer les pasteurs aux fidèles ?

"Ce n'est pas de faire quelque chose, de remplir une fonction ou d'animer un service, mais bien de rechercher la sainteté, comme plénitude de la vie chrétienne qui réside dans la connaissance parfaite de la Vérité et la perfection de la charité."

Les moyens de la sainteté que les pasteurs doivent leur offrir ?

"La prière, l'Eucharistie, la Réconciliation, le primat de la grâce, l'écoute de la Parole de Dieu et l'annonce de la Parole de Dieu."

A l'instar du pape Benoît XVI, Mgr Aillet souligne le primat de la liturgie qui doit respecter les normes établies, préalable à la manifestation de son caractère sacré :

"Il ne fait pas de doute que si le Concile a approfondi le caractère social et convivial de l'Eucharistie, cela s'est fait souvent au détriment de la présence réelle du Christ sous les apparences du pain et du vin consacrés. En accentuant la notion de "repas communautaire", on a infirmé le sens du sacré."

De même il souligne qu'il n'y a pas contradiction entre les rites ordinaire et extraordinaire. Plus :

"Le motu proprio Summorum Pontificum, sur la liturgie romaine avant 1970, n'est pas seulement une disposition canonique pour permettre à ceux qui y sont légitimement attachés de pratiquer l'ancien missel, mais une invitation faite à tous à approfondir le sens et l'esprit de la liturgie."

Communion dans la main et debout ou communion sur la langue et à genoux, comme cette dernière a été remise en honneur par le Saint Père lui-même ?

"Plutôt que de se scandaliser devant ce que d'aucuns appellent de manière simpliste un "retour en arrière", n'est-il pas préférable d'essayer de comprendre ce que cet exemple du Saint Père veut signifier en invitant ainsi à entourer la communion du plus grand respect ?"

Il ajoute :

"Reste à redécouvrir aussi le caractère sacrifiel de l'Eucharistie."

Redécouvrir ? C'est donc bien reconnaître qu'il avait été perdu dans la pratique de la Réforme liturgique...

De même ne faut-il pas redécouvrir "le lien intrinsèque qu'il y a entre l'Eucharistie et la Pénitence" ? Ainsi Mgr Aillet cite-t-il un passage de l'exhortation post-synodale Sacramentum Caritatis du pape Benoît XVI du 22 février 2007 :  

"A notre époque, les fidèles se trouvent immergés dans une culture qui tend à effacer le sens du péché, favorisant un comportement superficiel qui porte à oublier la nécessité d'être dans la grâce de Dieu pour s'approcher dignement de la communion sacramentelle."

Selon une herméneutique de la continuité la Constitution conciliaire Lumen Gentium apparaît sous un jour bien différent de celui auquel on nous a habitués trop souvent. Mgr Aillet s'en prend aux "méprises tenaces" relatives à l'expression de "peuple de Dieu" qui y figure et qui en fait rend compte du "Mystère intime de l'Eglise" :

"Non seulement il ne s'agissait pas d'identifier l'Eglise avec un peuple diffus dans l'humanité tout entière, à la manière de "chrétiens anonymes", mais il ne s'agissait pas non plus de faire droit à une conception démocratique de l'Eglise pour mieux s'adapter aux requêtes de la société moderne."

Il précise plus loin :

"Le peuple de Dieu, c'est donc le peuple qui appartient à Dieu, le peuple saint qu'on ne saurait entendre en un sens "démocratique" (du grec "demos"). Ce peuple naît de la volonté de Dieu qui pourvoit lui-même à son organisation : il n'est en aucun cas une émanation de la libre association des hommes."

Si l'Eglise est une hiérarchie, ce n'est donc pas dans le sens de "domination sacrée", mais d'"origine sacrée". 

Le peuple de Dieu ? Ce sont les prêtres, dont l'évêque rappelle les trois devoirs d'enseigner, de mettre en contact avec Dieu qui est saint, de gouverner "selon la modalité du service et dans l'obéissance au Christ et donc au Magistère de l'Eglise" ; ce sont les laïcs, qui doivent collaborer fraternellement avec les prêtres et participer à "la mission d'évangélisation qui incombe à tout baptisé"; ce sont les consacrés, dont la vie religieuse doit être également envisagée sous l'angle de la "contestation du monde". 

Si les prêtres exercent "un sacerdoce ministériel", les laïcs de l'Eglise exercent "un sacerdoce commun" :

"Si les fidèles laïcs doivent prendre leur part de responsabilité dans la vie de l'Eglise, ce n'est pas d'abord parce que l'on manque de prêtres, mais bien parce que cette participation est inscrite dans la grâce du baptême et de la confirmation. J'ajoute que cette coresponsabilité dans l'animation de nos communautés chrétiennes ne doit pas s'interpréter en termes de substitution, mais de complémentarité; et cette complémentarité doit être manifeste sur le terrain, autrement dit : les prêtres ne doivent pas démissionner de leur responsabilité propre de pasteur, sous prétexte qu'ils bénéficient du concours de nombreux fidèles."

Faire de l'humanitaire ne suffit pas, la mission est primordiale :

"Sans sous-estimer l'importance de la diaconie ou de la solidarité pour combattre les situations de précarité et d'injustice qui privent nombre de nos concitoyens de l'élémentaire dignité qui leur est due, il faut affirmer haut et fort que la plus grande pauvreté réside dans l'ignorance du Christ."

La communion entre les membres de l'Eglise est d'abord une attitude spirituelle :

"Nous sommes établis par la foi dans une affinité spirituelle profonde avec nos frères et soeurs, qui s'approfondit à la mesure de la contemplation de Dieu."

L'engagement oecuménique s'entend comme une manière nouvelle d'aborder les autres chrétiens. L'Eglise catholique "continue de détenir la Vérité et la plénitude des moyens de salut". Mais les autres chrétiens sont désormais considérés "comme des frères appartenant à des Eglises et des communautés ecclésiales qui conservent, à des degrés divers, des éléments de Vérité et de sanctification".

Le dialogue avec les juifs ? Le 17 janvier 2010, à la synagogue de Rome, le pape Benoît XVI "a souligné les progrès dans la réconciliation entre les juifs et les catholiques, en particulier en surmontant les plaies de l'antisémitisme et de l'antijudaïsme. Il a déploré une nouvelle fois, comme à Auschwitz et Jérusalem, "le drame singulier et bouleversant de la Shoah". Et qualifié d'irrévocable, le chemin du dialogue, de fraternité et d'amitié qui s'est instauré et approfondi depuis le Concile Vatican II. Il a désigné l'Ecriture Sainte comme le fondement le plus solide et le plus durable de notre proximité et de notre fraternité spirituelle".

Le dialogue interreligieux ? Il "doit viser avant tout un climat de connaissance mutuelle, voire de confiance amicale, pour mieux assurer les conditions de la paix et de la cohésion sociale". Ce qui n'empêche pas Mgr Aillet de dire :

"Pour mener ce dialogue dans la Vérité, on ne pourra pas passer sous silence l'infériorité sociale et politique, les atteintes graves à la liberté religieuse, voire les persécutions les plus sévères, dont les chrétiens peuvent être l'objet dans les pays musulmans ou à dominante hindouiste."

Comme on le voit, cette longue lettre pastorale aborde beaucoup de sujets. Son auteur y cite souvent les papes Jean-Paul II et Benoît XVI et montre que l'Eglise post-conciliaire peut très bien s'incrire dans la Tradition. Trois signes le confirment : Mgr Aillet a rouvert en septembre dernier le séminaire diocésain de Bayonne, fermé depuis 2005; il a consacré deux chapelles, à Pau et à Bayonne, à l'adoration perpétuelle; il souhaite consacrer son diocèse au Coeur Immaculé de Marie "pour retremper notre foi aux sources vives de la dévotion mariale".

Francis Richard


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