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Dircom, un métier qui se transforme (6) L'anachorète ou le capitaine (ce que le management doit au handball)

Publié le 01 février 2011 par Olivier Beaunay

Le dircom, nouveau psy de l'entreprise ? C'est un terrain risqué : ils ne sont généralement pas formés pour ça au-delà de leurs qualités relationnelles ou de leurs intuitions personnelles. Et ce n'est peut-être pas non plus la définition la plus pertinente que l'on puisse donner du métier quand tout alentour s'accélère et commande d'agir dans tous les sens.

Précisément, il y a des endroits où l'on s'agite et d'autres où l'on agit. Dans le premier cas, il ne faut surtout pas lever la tête du guidon et prendre le temps d'écouter, mais continuer de foncer et de disperser son énergie sur tous les fronts en même temps sans se soucier réellement de savoir si les wagons suivent et si les résultats sont réellement en ligne avec les objectifs poursuivis (on n'a d'ailleurs pas le temps non plus de se soucier des objectifs, ils sont aussi nombreux que contradictoires). Qu'importe les priorités dans ce contexte puisque tout, par définition, est prioritaire.

Le second cas de figure relève d'une approche différente, aussi peu pétaradante sur le court terme qu'elle se révèle intéressante sur la durée. Il s'agit d'abord de bâtir un collectif, de relier entre eux des gens qui, au-delà de leurs fonctions respectives et en-deçà de l'appartenance générique à l'entreprise, aient une vraie raison de se parler. A y regarder de près d'ailleurs, l'entreprise, et l'entreprise industrielle un peu plus que les autres, pourrait bien être l'un des derniers lieux ouverts à la diversité collective. On serait même tenté de parler de mélange tant cette diversité, au-delà des distinctions de genre ou d'ethnie, fait ici d'abord référence aux différences de base que dessinent les statuts et les métiers.

Quand Daniel Constantini, l'ancien entraîneur de l'équipe de France de handball, décide au milieu des années 90 de bâtir la préparation de l'équipe en trois temps, il déconcerte. Le premier mois pour la préparation physique ? Une bonne idée dans un sport dont la puissance physique reste l'arme principale. Le troisième pour les répétitions techniques ? Rien de moins extraordinaire lorsqu'il s'agit de développer des combinaisons et des réflexes collectifs entre des joeurs qui officient d'ordinaire chacun de leur club respectif.

Mais le deuxième mois, centré sur la construction du collectif ? Cette innovation a d'abord pour effet de décontenancer des joueurs qui, soit dit en passant, avant d'être qualifiés de "Costauds" ou "d'Experts", s'étaient autoproclamés "Barjots"... Tout le monde perçoit cette approche comme une lubie d'entraîneur un peu obscure, du temps perdu d'avance - bref, du gaspillage. A l'arrivée, l'équipe décroche pourtant le premier titre mondial français obtenu dans un sport collectif.

Quelques années plus tard, Jacquet, notamment lorsqu'il fait le choix d'exclure le génie ombrageux de Cantona ou de mettre au centre de son dispositif un Deschamps aussi mauvais footballeur que bon capitaine, n'a pas suivi au fond une voie différente. Ce qui fait d'ailleurs que le titre en vue de champion du monde de football doit beaucoup à celui méconnu mais pionnier de champion du monde de handball.

L'écoute dans ce contexte, c'est l'étape individuelle d'une démarche de construction d'un collectif toujours à bâtir ou à remodeler en s'attachant à ce qui, au-delà des différences, peut relier et rassembler les gens, c'est-à-dire transformer des individus en équipiers.

Constantini reconnaissait récemment qu'une fois sa formation de combat en place, il n'avait pas su faire évoluer son style de management en s'en tenant à la manière directive qui avait permis à l'équipe de décrocher son premier titre. Onesta a parachevé le dispositif, en gardant la rigueur mais en misant simultanément sur la maturité, la solidarité et le sens des responsabilités des joueurs. Et ça a donné quelques années plus tard un triplé historique et, à ma connaissance, inégalé de champion d'Europe, champion du monde et champion olympique, qui vient juste d'être parachevé par un quatrième titre de champion du monde en Suède. Le secret de cette réussite n'en est pas un et est reconnu aussi bien par le directeur technique national que par l'équipe danoise : ces gars-là forment "une vraie bande".

L'équipe, c'est la forme active que prend la mise en relation des gens. C'est tout sauf un verbiage de dircom en mal d'inspiration pour faire joli dans une plaquette corporate sur les valeurs de l'entreprise, qui ne font d'ailleurs illusion pour personne, et pas davantage en externe qu'en interne quand elles ne sont pas plus portées que concrètes. A l'usage, on finit d'ailleurs par très bien faire la différence à cet égard entre le babillage et la substance : ce ne sont pas les mêmes formulations, ce n'est pas la même syntaxe, ce n'est pas la même énergie. En clair, ce ne sont pas les mêmes entreprises.

Cette histoire d'équipe est une affaire sérieuse. La plus sérieuse de l'entreprise, une fois que les fondamentaux stratégiques et financiers sont en place, pour lui permettre de bien faire ce qu'elle a à faire ou plutôt de le faire mieux que ses concurrents. Tout cela relève donc en réalité davantage du management que de la communication, du faire ensemble que du bien dire. Le dircom peut y avoir son mot à dire s'il sait sentir ça : ce que c'est qu'un collectif.

C'est pourquoi il vaut mieux recruter un dircom analphabète qui fut capitaine sur un terrain de handball qu'un anachorète cultivé qui ne sait pas ce que c'est que de se faire respecter sur un terrain hostile.


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