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Egypte : « Le peuple veut la chute du régime »

Publié le 01 février 2011 par Robocup555

index.jpegL’Egypte vit des moments inédits de son histoire et à un rythme d’enfer. Le monde entier a les yeux braqués sur le Caire et attend un scénario Tunisie bis.

Sommet Charm Sheikh

Il y a à peine 2 semaines, au sommet économique arabe à Charm Sheikh, que présidait, ironie du sort, Hosni Moubarak, les discussions ont porté essentiellement sur la révolution tunisienne et la nécessité d’adopter des reformes pour éviter le même scénario. Tous les pays ont à une vitesse éclair réduit les prix des produits de première nécessité. Tous, malgré l’onde de choc tunisien, ont expliqué avec force et conviction que leurs pays sont solides se référant à la liberté d’expression dont jouiraient leurs populations contrairement aux tunisiens avant la chute de Ben Ali. Cependant le monde entier a relevé les similitudes des sociétés arabes et pourtant, le Rais est resté sourd quand les premières immolations se sont produites en Egypte et tardif à réagir quand les évènements se sont précipités.

La révolution tunisienne inspire la rue arabe et c’est réductif de ramener la colère à la dimension d’une baguette de pain. Le monde arabe traverse une crise identitaire multidimensionnelle.

L’Egypte de Nasser

Lorsque Nasser prit le pouvoir en 1956, après avoir renversé Mohammed Naguib 2 ans plus tôt, il a tous les pouvoirs pour mettre en pratique l’idéologie nassérienne et se présenter en leader du monde arabe, qui a inspiré, comme une onde de choc, le colonel kaddafi en Libye pour mener le coup d’état contre la monarchie Idrisside, le FLN algérien pour mener la lutte de libération et instituer un régime militaire à l’image de celui en Egypte. Le Moyen-Orient n’était pas du reste à l’écart de ce mouvement associé au Baath syrien en 1958 par la création de la République Arabe Unie. Mais c'est la nationalisation de Canal de Suez en 1957, qui lui donne l’aura internationale et la stature du leader arabe du 20 ème siècle. Le Pan Arabisme est mort avec Nasser.

L’Egypte de Moubarak

Avec Hosni Moubarak, l’Egypte vire du camp Est au camp Ouest, justifiant cette rupture par des nécessités économiques et par la real politik. Avec les accords de paix Egypto-israéliens de camps David, connus par les arabes sous les termes peu flatteurs de « paix séparés », l’Egypte reçoit aux termes de ces accords une « aide économique » américaine et entraîne la division au sein des arabes.

Le conflit israélo palestinien que parraine l’Egypte n’est pas résolu, malgré d’éternelles négociations impliquant le Raîs, pire, l’Egypte participe ouvertement au blocus de Gaza en fermant sa frontière et en humiliant les palestiniens en les obligeant à creuser des tunnels souterrains pour se ravitailler. La rue arabe ne comprend pas. Les islamistes trouvent des raisons objectives de se radicaliser. Le match de foot Algérie-Egypte pour la CAN 2010 a déclenché une guerre médiatique entre les 2 pays et les ressentiments sur Internet expriment ces griefs : Nasser a nationalisé le canal, Moubarak a vendu l’Egypte et la Palestine. WikiLeaks n’a fait que confirmer la mise en scène des « pourparlers » et les responsabilités palestiniennes et arabes dans la guerre d’Israël contre Gaza en 2006.

Une situation de non retour.

Moubarak a derrière lui la popularité issue de la guerre d’Octobre 1973. Les Egyptiens le respectent et lui demandent de partir avec honneur afin d’éviter d’avoir un sort similaire à celui de Ben Ali.

La nomination de Omar Souleiman au poste de Vice Président est un avant goût de la volonté de la Maison Blanche d’assurer une transition contrôlée. Depuis le coup d’Etat contre la monarchie en 1952, les successions en Egypte se font de Président à Vice Président. Depuis la destitution du Bey de Tunisie par Habib Bourguiba, les successions se font de Président à Premier Ministre, pour que le changement se fasse en douceur et puisse avoir l’approbation nationale, sachant qu’il est orchestré par les puissances internationales.

La démocratie

Les régimes militaires, qu’ils soit apparents avec une junte ou qu’ils soient dans la peau d’un civil fantoche sont en contradiction avec les règles de la démocratie. La Turquie, dirigée par des Islamistes a eu le courage et l’intelligence de remettre par référendum les militaires à leur place.

La gouvernance à vie est en contradiction avec les règles de la démocratie.

Or, l’Algérie, la Libye, le Yémen, la Mauritanie ont reçu un ultimatum de la rue pour mener les réformes institutionnelles qui s’imposent afin que le scénario effet domino soit évité.

La monarchie absolue est en contradiction avec les règles de la démocratie. Car à quoi sert l’opposition sinon à décorer un paysage politique de mauvais goût et de surcroît qui coûte cher au contribuable et qui dépolitise le citoyen en l’abrutissant par une propagande d’une autre époque.

Mais affirmer comme l’a fait Emmanuel Todd que «  la révolution tunisienne prouve que la démocratie n’est pas incompatible avec l’Islam » est insuffisant, voire réducteur : l’Islam, pour les exégèse est d’essence démocratique pourvu qu’il soit pratiqué dans l’esprit et la lettre coraniques et sans procès d’intention. Achchoura coranique n’est autre que l’Assemblée des notables ou en termes latins le parlement d’où le Roi se réfère pour puiser ses décisions. « Elle (la Reine de Saba) dit : Ô notables, donnez moi conseil sur mon affaire, je ne trancherai aucune décision avant que vous ne témoignez. « Le Coran S27.

Comme dans plusieurs domaines, entre le message divin et la pratique religieuse, il y a un monde où vient se grever 2 siècles de rupture avec l’histoire.

Le modèle économique basé sur le tourisme et la sous-traitance.

Ce modèle imposé par la mondialisation a montré ses limites avec les révolutions en Tunisie et en Egypte : fuite des capitaux, fuite des investisseurs, chute de la bourse. Dans son discours Moubarak déclare «  il est dangereux de laisser l’économie entre les mains des seuls économistes » Tous les arabes importent plus de 80 ù% de leurs besoins alimentaires… De quelle indépendance parlons nous ? Le Maroc, avec le Plan Maroc Vert ne s’est que depuis 2 ans attelé à couvrir le déficit par un vaste programme de valorisation agricole…56 ans après l’indépendance et plusieurs ratés.

L’aide économique et militaire

Les médias occidentaux et arabes soulèvent les déclarations sur la « réévaluation » de l’aide militaire américaine à l’Egypte estimée à 1.3 milliards de $, sachant que cette « aide » qui découle des accord de paix de Camps Davis de 1977 avec Israël est le prix d’une soumission qui contribue à alimenter la révolte contre le régime militaire. D’ailleurs, avec 450.000 hommes, l’armée Egyptienne, comme celles de plusieurs pays arabes est pléthorique et budgétivore. La tension au Moyen –Orient est entretenue pour alimenter la course à l’armement et le « recyclage » des pétrodollars.

Egypte-Turquie-Iran

Dans l’échiquier régional, l’Egypte est le pays qui a pris, malgré les taux de croissance officiels affichés, la queue du train de développement. Les Egyptiens sont dans leur majorité pauvres, la bourgeoisie est minoritaire et volatile, le luxe ostentatoire côtoie la misère totale ; aucun peuple n’aurait retenu sa colère aussi longtemps, abreuvé de propagande sur «  le Grands Peuple d’Egypte » et ses « nobles origines ». L’islamisme a joué un rôle de soupape sociale indéniable au cours des 30 dernières années.

Le régime islamiste turc séduit la rue arabe par son ouverture à l’Occident et son attachement aux valeurs musulmanes de justice. La position courageuse de Recep Tayp Ordogan dans le conflit israélo-palestinien lui vaut l’estime de la rue arabe et annonce le retour de la Turquie Ottomane sur l’échiquier régional.

Le régime iranien pour sa part a procuré dignité et indépendance ; il séduit par ses réalisations effectuées malgré les sanctions américaines.

La révolution Obamanienne

L’élection d’un Noir à la Maison Blanche a révolutionné les mentalités dans le monde entier. Un Noir, de surcroît africain et probablement musulman - en tout cas musulman pour les musulman quoi qu’il dise ou fasse, son prénom Hussein le rappelle- élu grâce à Internet et Twitter, mode de communication de la jeunesse mondiale, promotrice de la gouvernance mondiale, un Noir, qui a prononcé un discours historique… au Caire pour tendre la main aux arabes et aux musulmans et leur donner un espoir pour des rapports meilleurs.

Dans cette gouvernance mondiale, l’élection de tout chef d’Etat est analysée, débattu, jugée aux quatre coins du monde sur Internet par la jeunesse Facebook, du village mondiale.

Les arabes, malgré l’impasse du processus de paix, restent atteints d’Obamanie et l’intervention américaine dans les révolutions tunisiennes et égyptienne, qui aurait été réprouvée avec Bush est accueillie favorablement, voire même sollicitée par la rue arabe pour faire tomber les dictatures. Ces dictatures, qui se sont appuyées sur la doctrine de la lutte contre le terrorisme pour briser toute opposition et se dispenser d’entamer tout processus démocratique. Au contraire, elles ont justifié leur coopération au point de faire croire qu’elles étaient indispensables à la stabilité régionale et aux intérêts américains, ce qui leur a permis de briser toute opposition, de tailler les constitutions à leurs mesures et de se déclarer présidents à vie.

En Egypte le challenge pour l’administration américaine est de respecter la volonté du peuple tout en garantissant leurs intérêts, notamment ceux liés à la sécurité  d’Israël et au respect des accords de paix. C’est l’armée Egyptienne qui restera garante de ces intérêts et c’est elle qui in fine conduira le changement. Aucun candidat ne pourra prétendre conduire la transition démocratique sans la cooptation de l’armée, à moins d’un coup d’Etat de palais mené par de jeunes officiers «  révolutionnaires » appuyés par les Usa et qui se présenteront comme issus du peuple et de sa révolution.

Al Fassade

Le mot arabe « Al Fassade » est traduit par corruption, or, en réalité il n’a pas d’équivalent en français, car il exprime à la fois la corruption, le détournement de fonds publics, l’injustice, la perversion, la mauvaise gouvernance et le mal dans son sens le plus large. Si les slogans des manifestants sont Dégage et Get Out, en arabe le slogan « Kafa Fassade » «  Assez de Mal » résume à lui seul l’état des lieux et le degré de révolte.

Al Fassade est répandue dans l’ensemble du monde arabe et est érigée en système de gouvernance institutionnalisé par les défaillances constitutionnelles bouclant toute opposition démocratique.

Le Mur de Berlin Arabe

L’immolation du jeune Mohammed Bouazizi correspond à la chute du Mur de Berlin qui a pulvérisé les dictatures des pays ex Urss. Les pays arabes ne pourront rentrer de nouveau dans l’histoire qu’une fois libérés du joug qui les maintient dans l’ignorance et l’obscurantisme.

Aujourd’hui le monde entier a du mal à comprendre comment l’Egypte, celle de la civilisation des pharaons, des merveilles des pyramides et des momies a pu se laisser tomber aussi bas dans la misère et Al Fassade tout en restant impuissante et hermétique au changement qui affecte le monde entier et qui mène à la dignité humaine et au développement économique dans le cadre d’un projet politique approuvé par le peuple. Mais la grande Egypte ne peut sortir qu’agrandie de cette révolution historique.


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