La France est incontestablement en pointe. Nos bleus sont champions du monde, au point qu'un ministre, et non des moindres, propose à qui le souhaite d'exporter notre méthode et notre savoir-faire. La période actuelle est propice à ce genre de proposition, mais nos bleus sont fatigués, un brin désabusés, au point que 90% des membres d'une même équipe se fasse porter pâle jeudi 20 janvier.
Une compagnie entière de CRS sur le flanc, c'est pas banal. C'est peut-être la suite d'un repas en commun au fast-food du coin. Mais en creusant un peu, on constate un certain malaise qui n'a rien de gastrique dans cette corporation un peu particulière : un " bruit ", donc rien d'officiel, mais pas démenti non plus, parle de la fermeture de quelques compagnies, dont la CRS 46, stationnée sur les hauteurs de Lyon, à Ste-Foy. C'est à deux pas de chez moi, et je passe assez régulièrement devant le fort, en faisant mon jogging habituel.
La grande surprise pour ces " travailleurs de l'ordre " habitués à obéir droit dans leurs bottes avec le petit doigt sur la couture du pantalon, c'est l'expression de leur désapprobation... Ils découvrent qu'ils sont soumis aux mêmes méthodes que pour fermer une usine : aucune communication, aucun dialogue, des informations au compte-goutte. Rien de nouveau : on distille la rumeur menant aux incertitudes, à la peur, au malaise. Etant soumis à des règles strictes d'expression excluant notamment le droit de grève, il ne leur est guère facile de se plaindre. C'est donc les familles qui ont manifesté devant la caserne, avec gamins et pancartes.J'ai été à deux doigts d'aller rejoindre les manifestants. Mais au dernier moment, je me suis demandé quelle mouche m'a piqué : aller soutenir les " cognes", les " condés" ou " schtroumpfs" qui matraquent les infirmières et les ouvriers, qui détruisent les baraquements certes insalubres des précaires en saccageant le peu qu'ils possèdent, qui expulsent les étudiants des squats, pour beaucoup leurs seules possibilités de logement... sans parler de leurs agissements inadmissibles pour une démocratie, notamment envers la jeunesse dans "la souricière de Bellecour", monumentale garde-à-vue en plein air un certain 21 octobre 2010, et puis quoi d'autre ? Soutenir des CRS dans leur " combat ", cela devenait complètement surréaliste.
Le bras armé d'une république devenue quasi bananière a des états-d'âme ? Qu'ils se débrouillent avec leur patron. Ils aiment la castagne, et l'ont prouvé à maintes reprises, en devançant les désirs de l'Elysée et du MEDEF, en envoyant la matraque plus que de raison pour casser du jeune, de l'étranger, du contestataire avec une constance et une abnégation à toute épreuve. Ils n'ont pas vraiment manifesté d'état-d'âme en rossant rétablissant l'ordre face aux salariés désemparés qui voient leurs vies professionnelles et personnelles anéanties, leurs retraites s'évaporer, et leurs enfants condamnés au chômage faute de pouvoir leur payer des études... Les voilà remerciés comme l'Etat sait si bien le faire. On va pas les plaindre non plus.
Pour ma part, depuis la page " réforme des retraites", mon quota de solidarité étant passablement entamé, je me vois mal sacrifier davantage mon temps libre afin de partager leur peine de devoir se remuer la couenne pour aller caserner ailleurs. Ceux-là ne risquent pas de perdre leur boulot. Il a plutôt de l'avenir : les petites gens broyées par le libéralisme, ça court déjà les rues, et quelque chose me dit que c'est pas prêt de s'arrêter. Et si la France ne bouge plus, par manque de cran, par individualisme forcené, écrasée sous les lois sécuritaires, il sera toujours possible d'exporter nos " bleus " pour servir ailleurs... Les terrains de jeux ne manquent pas.
On annonce un peu partout que la crise est terminée. Une autre commence, bien plus grave.