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Délinquance : tous contre Sarkozy ?

Publié le 06 février 2011 par Juan
Délinquance : tous contre Sarkozy ?Jeudi 3 février, Nicolas Sarkozy était à Orléans, pour un nouveau déplacement de campagne sur le thème de la sécurité. Il devait surtout discuter de la prévention de la délinquance. Mais devant quelques gendarmes et policiers, il se lâcha. Pour justifier la réduction des effectifs, y compris de police et gendarmerie, il soutient que la modernisation des moyens prime désormais sur les effectifs dans la lutte contre contre la délinquance. Il prit l'exemple des enquêtes sur les viols, en pleine affaire Laëtitia, et les progrès de la police scientifique. Puis il glissa, de façon préméditée, sur les « dysfonctionnements » de la justice...
Débauche de moyens
A Orléans, terre centriste, Sarkozy voulait adoucir son discours. « La répression et la prévention sont les deux volets complémentaires d'une même politique. Il n'existe pas de cloison entre les deux. Je réfute toute approche idéologique tendant à privilégier la prévention sur la répression ou l'inverse. » On est loin du « vous n'êtes pas des assistantes sociales » jeté à la figure de quelques policiers toulousains au printemps 2003. Pour 2012, Sarkozy se veut p-r-o-t-e-c-t-e-u-r.
Ce 3 février, il a donc visité un Centre Communal d'Action Sociale (CCAS), le centre de ressources Illettrisme et Analphabétisme, et même la Maison de la Justice et du Droit (MJD). Jean-Marie Bockel, ex-socialiste et ex-secrétaire d'Etat à la Coopération puis à la Justice, dégagé du gouvernement en novembre dernier, était même du cortège officiel. On lui a confié une « mission sur la prévention de la délinquance » en janvier dernier. Six mois sans rapport à produire pour « aider sur le terrain », un vrai remerciement politicien dans la perspective de 2012. Un immense décor avait été dressé pour l'heure et demi de « débat ». Combien a donc coûté cette visite ? Il fallait voir la table ronde, encadrée d'une armature métallique digne d'un plateau de télévision, avec projecteurs et caméras. C'est un show presque télévisé, comme une répétition de la prochaine émission, le 10 février prochain, sur TF1.
Mais quelques minutes avant de rejoindre sa table ronde, le candidat visitait la Direction Départementale de la Sécurité Publique (DDSP). Un micro en main, il se fit filmer debout au milieu de gendarmes et policiers. C'est bon pour l'image de proximité. « Je suis heureux d'être ici, une nouvelle fois, dans cet établissement que je connais bien.» Il multiplia les louanges sur la qualité du travail, salua l'engagement, insista sur le nécessaire respect du à leur fonction. « Croyez bien que je ne vous ai pas oublié, que vous avez droit à tout mon soutien.» ajouta-t-il un peu plus tard.
Fichiers contre police de terrain
Il enchaîna rapidement sur la rigueur. Les effectifs de policiers et gendarmes sont revenus à leur niveau d'il y a 10 ans. Pour économiser quelques millions d'euros, et rassurer les marchés, le « Super-Flic de France » a réduit les moyens de terrain. Et d'ailleurs, les statistiques de la délinquance violente restent mauvaises. L'enjeu, pour Sarkozy, est sérieux. Alors devant quelques policiers et gendarmes, il voulait faire un peu de pédagogie grossière.
« On va tout mettre en oeuvre pour améliorer vos conditions de travail, j'étais venu ici il y a quelques années et vraiment ce n'était pas la même chose. Mais par respect pour vous, je voudrais vous dire vraiment le fond de ma pensée. La meilleure façon d'aider la police et la gendarmerie à faire son travail c'est d'investir massivement dans les moyens techniques qui permettront d'avoir la police et la gendarmerie du 21ème siècle.


Pendant des années, dans la police comme dans la gendarmerie, on raisonnait exclusivement en termes d'effectifs. Les effectifs, c'est très important. Mais ce n'est pas tout. Et ce n'est d'ailleurs même plus l'essentiel. Avoir beaucoup d'effectif et peu d'équipements, ça ne permet pas une police efficace. »
La modernisation des forces de l'ordre reste une belle promesse. Les annonces de l'été dernier, en pleine séquence sécuritaire, ont fait sourire (200 dispositifs de lecture automatisée des plaques d’immatriculation (LAPI) à bord des véhicules de police et de gendarmerie ; 12 hélicoptères dotés de caméra thermique). La réorganisation des zones de compétences gendarmerie/police fait aussi grincer des dents. Ainsi à Libourne (20.000 habitants), 32 gendarmes vont remplacer ... 67 policiers.
Pour étayer son argument, Sarkozy puisa dans l'actualité récente, et, évidemment, le drame de Pornic : « Au moment où nous gérons les conséquences du drame épouvantable de la petite Laëtitia, je veux rappeler que tout ce qu'on a fait ensemble, notamment la création des fichiers, où on met sur le fichier l'ensemble des délinquants sexuels.» Il lança, sans preuve : « Jamais dans l'histoire de la République on a autant arrêté de coupables d'agressions sexuelles. Un violeur sur deux, maintenant, est retrouvé et puni.... Et ça, c'est pas les effectifs qui le font, c'est les fichiers, c'est la police scientifique.» On n'ose à peine lui rappeler les scandales pédophiles qui ont secoué l'Eglise où la police scientifique et les fichiers n'eurent aucun rôle.
Provocation préméditée ?
Cette introduction étant faite, Sarkozy put s'épancher plus longuement sur l'affaire Laëtitia. « Que je dise un mot du drame qu'a subi cette pauvre Laëtitia. J'ai vu sa famille adoptive. Et j'ai eu de nombreuses réunions de travail avec le ministre de l'intérieur et le garde des sceaux, je les remercie tous les deux, sur ce qui s'était passé pour Laëtitia. Je veux m'en expliquer avec vous. Il y a toujours eu, et il y aura toujours, des détraqués, dont le comportement est monstrueux. Et notre devoir, c'est de protéger la société de ces monstres. Je dis monstre parlant du cas de Laëtitia, parce que je crois qu'il y a un moment où il faut savoir employer les mots qui correspondent aux situations et ne pas se voiler la réalité. »
La société fabrique-t-elle des monstres ? Vaste question dont on connaît la réponse sarkozyenne. Le Monarque croit à l'inné, plus qu'à l'acquis et aux facteurs sociaux. Ignorant les principes élémentaires de la justice, comme à son habitude, le candidat Sarkozy évoqua ensuite le « présumé coupable.» Sarkozy, pourtant président et donc premier garant de la Constitution, devrait s'abstenir de tels raccourcis. En France, un accusé est toujours présumé innocent.
« Dans cette affaire, ça serait trop dramatique de dire, c'est la fatalité. Je ne crois pas à la fatalité, c'est trop facile. (...) Le risque zéro n'existe pas, mais tout expliquer par la fatalité, c'est se réduire et se condamner à l'impuissance. Dans l'affaire de Laëtitia, je souhaite que nous allions jusqu'au bout. Le présumé coupable a été arrêté. Des charges très lourdes pèsent contre lui, très lourdes, très lourdes.
La justice aura l'occasion de dire ce qu'il en est. Mais, il y a eu un certain nombre de dysfonctionnements graves.... Il faut regarder les choses en face, c'est mon devoir. Ces dysfonctionnements, j'ai demandé aux deux ministres, Michel Mercier et Brice Hortefeux, de les sanctionner. Là aussi je veux m'en expliquer avec vous... Quelle crédibilité aurait mon soutien s'il n'avait pas comme contre-partie une exigence de vérité ? Quand on laisse sortir de prison un individu comme le présumé coupable sans s'assurer qu'il sera suivi par un conseiller d'insertion, c'est une faute. Ceux qui ont couvert ou laissé faire cette faute seront sanctionnés. C'est la règle, nous sommes des responsables. »
Tollé général
Cette déclaration, murement réfléchie, a provoqué un tollé, murement espéré. Les magistrats de Nantes ont suspendu leur audiences dès jeudi. Le mouvement s'est amplifié vendredi. Sarkozy a l'habitude de ces confrontations. Depuis 2002, il s'est fait une spécialité d'inonder les magistrats de ses critiques.
Mais le plus grave, pour Nicolas Sarkozy, fut la réaction des policiers. Chez eux aussi, les propos présidentiels ont suscité « pas mal d'émoi », a confirmé le secrétaire général d'Unité Police SGP-FO, premier syndicat de gardiens de la paix, Nicolas Comte. Vendredi, le Syndicat national des officiers de police (Snop) réagissait également, en déclarant qu'il «ne peut admettre que des lampistes» servent «de boucs émissaires à ceux qui détiennent le pouvoir et refusent d’assumer les conséquences de son exercice lorsqu’elles ne sont pas à son avantage». Pire, un communiqué commun associant syndicats magistrats/police/personnel de justice a été publié le même jour :
« Les syndicats signataires dénoncent cette mode qui consiste à rechercher, à l’occasion d’évènements médiatisés, pour satisfaire l’opinion publique, la responsabilité des serviteurs de l’État qui accomplissent leur travail dans des conditions souvent difficiles.
Cette mise en accusation systématique a atteint son apogée avec l’affaire dramatique de PORNIC, les ministres de la JUSTICE et de l’INTÉRIEUR n’ont pas hésité à mettre en doute la compétence professionnelle des Magistrats, des Policiers, et des Personnels Pénitentiaires en cherchant à mettre en évidence des fautes personnelles alors que le dysfonctionnement de l’administration et ses carences évidentes trouvent leur source dans la mise en œuvre de la Révision Générale des Politiques Publiques. Une devise bien rôdée, «plus de charge, moins de moyens».
D’autre part, dans les propositions, la décision de créer un office opérationnel de suivi des délinquants sexuels et violents va à l'encontre de l’efficacité opérationnelle des services de la Police Nationale, de la gendarmerie et de la Justice qui sont confrontés au quotidien à la lutte contre les violences à caractère sexuel. Dans ce domaine particulièrement sensible, il n’est pas nécessaire de rajouter des strates, mais plutôt de mieux coordonner l’existant.
Les syndicats signataires refusent de se satisfaire des effets d’annonce et des bonnes intentions qui naissent souvent dans la précipitation et dans l’émoi évènementiel. Si cette mesure peut relever du bon sens, comme d’autres, la réalité du terrain est tout autre.
Les syndicats signataires mettent solennellement en garde les responsables politiques sur les dangers de cette pratique qui affaiblit l'autorité des institutions régaliennes et qui est source de désengagement des acteurs concernés. Il est urgent d’arrêter la dégradation de leurs conditions de travail. Il faut défendre sans concession le service public au service des citoyens.»
En quelques phrases bien senties, celui qui se croit toujours Premier Flic de France a été sévèrement recadré. Politiquement, l'affaire est grave. Le chef de l'Etat se trouve accusé par le corps judiciaire, policier et pénitentiaire (1) d'instrumentaliser un fait divers, (2) d'être incompétent, et (3) de se défausser sur des boucs-émissaires.
Qui dit mieux ?


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