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Fine pluie sur l’aube silencieuse
Coupé du monde virtuel
Te reste le réel de l’écriture
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Je te regarde : tu justifies l’heure tardive par un réveil du même ordre.
Tu sais que le désordre qui est le tien tient au temps qui te fait défaut.
Un livre qu’est un livre quand il faut survivre ; mais c’est à lui que tu consacres ton peu d’espace volé au sommeil.
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Un livre, qu’est cette vanité à l’orée des tâches quotidiennes qui obsèdent, bouffent, te baisent les heures, te laissent mort avant que d’avoir vécu ?
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Hier, je te voyais écrire, à la terrasse d’un café. Tu te sentais coupable d’avoir volé quelques minutes : tu n’avais pas dit que ton travail commencerait plus tard. Ce mensonge, tu savais qu’il protègerait ce moment avec toi-même. Mais, du même coup, c’était comme si tous les regards qui se portaient sur ton visage, penché sur la page où ta main scribouillait quelques graffitis, t’accusaient de cette forfanterie.
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On est toujours coupable, en un monde clos, où seuls certains sont autorisés aux tâches de l’intellect, de franchir la ligne blanche, cette démarcation qui te rend dissident aux yeux du commun. Ecrire est un vol que tu opères contre une société qui ne te reconnaît qu’un droit : celui de faire ce pourquoi on te paie.
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Réfugié dans ton silence, fuyant ces êtres qui vaquent à l’ordinaire et que tu plaints, tu traverses les rues, l’esprit perdu en des mondes invisibles. Les mots chantent à tes oreilles et t’invitent à d’autre mensonges, d’autres fuites. Car il te faut, à chaque instant, préserver l’essentiel : écrire, encore écrire, sans chercher quoi faire de ce que tes doigts inventent, sous la dictée d’un cerveau en ébullition.
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Tu ne te pardonnes pas tes cachotteries, tes feintes protectrices. Tu t’accuses, mais ne sait comment te défaire de ce besoin qui ne te nourrit pas. Ni toi, ni ta famille qui ne comprends pas plus cette folie qui te fait habiter si loin d’eux, de leur course consumériste. Tu n’es du même monde que personne. Le tien tourne à une autre vitesse, vibre d’un silence que tu ne peux partager qu’avec tes semblables, des rêveurs dont les rêves sont la terreur d’un système qui ne sait plus rêver.
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Un jour, tu verras, ils mettront une taxe sur les rêves, histoire d’en éteindre quelques uns. Et ça marchera. Simplement, tu seras encore plus relégué au rang des non-conformes. On te montreras du doigt. On te plaindra d’être ce que tu es. Parfois, on se méfiera de tes propos considérés comme subversifs. Il ne fait pas bon être dans la marge d’un monde qui ne fonctionne plus que retiré sur lui-même.
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Tes bombes sont chargées de vocabulaire. On te met sous surveillance. On tâte ton pouls dans l’espérance qu’il lâche. Mais il tient bon. Et lorsque toujours plus de pupilles s’ouvrent sur ton langage venu des profondeurs, on te coupe les accès comme on couperait les ailes d’un papillon pour l’empêcher de voler, comme un sinistre dictateur coupa un jour les doigts du guitariste pour lui interdire de jouer.
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On entend toujours la voix du guitariste
On a presque oublié le triste général
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Le volet abattu sur tes phrases
L’accès coupé à ce qui te relie encore au monde
Barreaux posés aux fenêtres de tes dires
Il n’est pire chose que les mots clandestins
Voyez-vous
Car
Comme le phénix
Ils renaissent toujours
De leurs cendres
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Manosque, 4 janvier 2011
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