Magazine Société

Egobody

Publié le 07 février 2011 par Tudry

Egobody, la fabrique de l'homme nouveau,

Robert Redeker, Fayard, 199 pages, 16 euros

« Mieux vaut être un Socrate insatisfait qu'un porc satisfait. » John Suart Mill

L'heure est-elle encore aux « concepts » ? Robert Redeker, avec son nouvel ouvrage, met-il en place un concept nouveau ? Le propos semble plutôt d'offrir à ceux qui peuvent encore la lire la carte d'une nouvelle réalité surgissante. Une forme d'analyse, plutôt clinique de ce qu'est l'homme occidental (qui est presque planétarisé) hic et nunc. Et le pessimisme semble de mise.

Toutefois, avec la citation du nom de Philippe Murray dès la quatrième de couverture, une question ne manque pas de se poser. Redeker ne surferait-il pas sur la vague vaguement floue des « réacs-chics » ? Après les rebelles-à-roulettes notre « ère du vide », qui n'aime rien tant que se remplir de tout et de rien et, plus souvent qu'à son tour, de son apparent contraire; notre ère donc ne serait-elle pas en train de concocter dans ses cornues usées une nouvelle baudruche « tendance » ? Une « fashion-réac » plus « sexy » que la mouvance néo-cons déjà périmée ? C'est fort probable...

D'autant que Robert Redeker, jusques en 2002 (même si le temps s'accélère ce n'est pas si vieux) participait, de bon coeur, semble-t-il, à la mise au pilori de Carl Schmitt en n'hésitant pas à le présenter comme un « concurrent de Rosenberg » (sic). Ce qui ne manquera pas de piquer la curiosité des lecteurs du présent essai dans lequel il présente un émouvant plaidoyer pour une lecture critique mais positive, autant dire intelligente, de Gobineau...

Néanmoins, l'essai de Redeker a ceci pour lui d'être presque froid et clinique. Certes on y ressent bien un certain dédain très personnel pour les bio-technologies, la cybernétique, la consommation et le jeunisme mais nulle envolée trop lyrique qui bien souvent, justement, dénonce le côté superficiel de la fougue anti-moderne passionnelle.

Nous sommes donc ici en présence d'un exercice d'analyse en profondeur de notre réalité. En profondeur car il faut bien être spéléologue ou mineur pour aller aujourd'hui trouver ce qui peut demeurer d'âme dans l'homme. Egobody c'est bien la nouvelle forme-informe de ce que nous appelons encore homme. Egobody c'est chacun d'entre nous plus ou moins contaminé par ce virus. Oui, la maladie et le malade peuvent être appelés du même nom. Mais, finalement, le mot, le concept et son nom ne sont pas l'essentiel (le « concept » pouvant bien de nos jours ne pas valoir beaucoup plus qu'un « trade mark »...). Le plus important se tient dans la « démonstration » de ce que les idées, les théories et les doctrines, quand bien même ignorées du plus grand nombre ont fait l'homme et le monde tel que nous pouvons le connaître. Disons plutôt que nous pouvons suivre à travers ces pages une certain généalogie de tout ce qui a contribué à défaire l'homme.

Notons immédiatement que le sous-titre de l'ouvrage, en ce sens, pose un problème. En effet, l'idée « d'homme nouveau » est loin d'être nouvelle et il me semble que ce à quoi nous expose l'analyse développée par Redeker se trouve au contraire être du domaine d'une anthropologie négative (comme on le dit de la théologie apophatique) en ce sens que le processus mis en lumière agit par dépouillement de ce qui faisait l'homme pour aboutir à « autre chose »: egobody peut-être, « neghumain » (terme forgé par le même auteur) aurait semblé plus juste (mais peut-être moins « vendeur » ?). De ce fait, le terme de « fabrique » semble un peu trop simpliste. En outre, il met l'accent sur une seule des idéologies en cause. Bref, détail que ceci, et insistons encore un peu sur « l'homme nouveau ». L'expression est « paulinienne » et ceci, malheureusement, n'est nul part souligné dans le livre. Sa reprise historique, nous le savons bien, fut soviétique. Si nous devons aujourd'hui constater que « quelque chose » de nouveau est en marche il serait très intéressant de considérer cette perpétuation des mots selon l'idée abellienne d'inversion intensificatrice d'inversion. Egobody, le neghumain, comme inversion intensifiée de l'homme nouveau paulinien...

Seulement voilà, bien que Robert Redeker ne soit nullement hostile au christianisme, bien qu'il semble même convaincu que la liquidation en occident de sa doctrine par et au profit d'une sorte de néo-platonisme athée (dont Badiou pourrait être un exemple type) et paganisant, il préfère demeurer sur la haute position du philosophe, et ne pas s'engager dans la voie d'une affirmation plus personnelle, enfermé dans le mirad'or relativiste des idées :

« Le sport achève la guerre contre le corps amorcée par Platon, mais sans les sublimes ambitions spirituelles qui motivaient l'antisomatisme platonicien. » (p. 169)

Or, c'est de ce lieu que furent tirées les premières cartouches. Car, ce monde – qu'il faudrait aussi se décider à appeler de son nom nouvel : environnement – dans lequel peut advenir egobody, cet être sans souci, c'est bien celui de la « mort de Dieu », celui des philosophes puisque ce monde est celui du Dieu des philosophes, du dieu-idée, cerné, analysé, rationalisé, disséqué... (d'ailleurs Robert Redeker le dit plus ouvertement qu'il ne le pense dans le corps de l'ouvrage, puisque selon lui « âme » de la religion ou « moi » de la psychanalyse, tout ceci se vaut face à l'effacement actuel de toute profondeur intérieure...)

Bien sur, concernant le repli de l'âme sur le corps, sur la liquéfaction de ce corps et sa surestimation « paradoxale », sur toutes les confusions modernes qui permettent l'identification du corps et de l'ego, l'auteur de ce texte a éminemment raison, sur l'arraisonnement par la technologie poussé au-delà de ce qu'un Heidegger avait pressenti encore... Toutefois, citer (avec une certaine complaisance non feinte) un Maistre ou un Donoso ne saurait suffire. Car, comme nous le signalions plus haut, il semble bien que l'auteur ne se lamente que sur des idées, des concepts qui auraient plus de valeur que l'actuelle réalité-irréelle... Toute sa conclusion sur les belles réalités passées du monde paysan comme résistant ontologique au processus d'anthropofacture, évoquées avec force par Giono, Thibon, Pesquidoux sent un peu trop la philo d'urbain déculturé. Ces lignes évoquent avec trop de distance la réalité opposable à la virtualisation dénoncée comme inéluctable.

Ainsi en est-il de cette idée d'une extrême importance, traitée (mais comment pourrait-elle l'être autrement) comme une irréalité. R. Redeker amène pourtant de façon pertinente cette compréhension que, finalement, la mort de Dieu n'est que le masque philosophique de la « mort du diable ». Mais, évidemment, pour notre auteur ce ne sont là que des « notions-cadres », des « concepts-limites ». La lecture de Schmitt, en particulier de sa doctrine du katechon aurait pu ici s'avérer d'une aide précieuse, tout comme celle d'Ortega y Gasset...

Redeker lui-même à de très belle lignes pour définir le conservateur-réactionnaire comme un « apophatiste », parfaitement conscient de ce que le combat, qu'il entend, néanmoins, mener jusqu'au bout « est perdu »... Ce qui aurait pu faire la force de son « pamphlet » (car s'en est un), à savoir, son caractère distant et détaché, se dilue dans l'espèce de tonalité trop universitaire pour être honnête. Bref, il y manque une réelle profondeur authentiquement spirituelle.

Finalement, finalement, un ouvrage qui laisse la désagréable impression d'emprunter un langage pour mieux l'asservir à ce qu'il entend dénoncer (de plus en plus courant). Une création assez artificielle de concepts peut-être voués à être utilisés dans le sens inverse... Le sentiment paradoxal (d'autant que les analyses semblent justes et pertinentes) d'être face à ce qu'on appelle couramment une manipulation...


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