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Pepyment et foutage de gueule

Publié le 09 février 2011 par Copeau @Contrepoints

Il y a quelques jours, c’était Attali qui trollait méchamment les médias avec l’idée lumineuse d’éliminer complètement le monopole étatique du tabac en plaçant l’ensemble de la filière dans le marché noir. Aujourd’hui, c’est Guillaume Pépy, l’actuel conducteur de la SNCF, qui a reçu dans la plus grande discrétion de l’ensemble de la presse le prestigieux prix de « Manager de l’Année » remis par Le Nouvel Économiste. Oui. Vous avez bien lu.

C’est grâce à un lecteur attentif – que je remercie au passage – que j’ai découvert ce magnifique troll de niveau 25 : Guillaume Pepy a été élu manager de l’année 2010 car, je cite l’article :

« (il) s’est rudement frotté aux réalités sociales provoquées par la colère des usagers et le mécontentement des salariés avant de trouver les bonnes réponses à ces défis comme à ceux de la concurrence naissante et aux difficultés endémiques de l’activité du fret. »

Rien que l’énoncé des raisons qui ont poussé les journalistes du Nouvel Économiste à décerner ce prix au PDG de la SNCF fait fondre deux à trois klaxibulles de l’homme honnête dans un petit klonk! pas très rassurant.

Guillaume Pepy

Certes, le gentil Guillaume – dont le regard perdu sur un horizon éthéré de rêves enfantins lui permet d’obtenir le Bon Dieu sans confession – a bel et bien pu goûter aux joies alternatives de la confrontation musclée tant avec des clients qu’avec des syndicats absolument pas prêts à se rouler dans les bottes de pailles en riant comme le laisserait supposer la mine intelligente du patron.

Mais de là à dire que cette confrontation — qui s’apparente plus au frottement vif de moignons sur du papier de verre qu’à une sereine discussion de fond sur la qualité des services fournis par son entreprise — aurait permis à notre primesautier PDG de trouver les bonnes réponses aux conflits, c’est du plus haut comique.

On en vient à se demander si les journalistes du Nouvel Économiste n’étaient pas les discrets mais seuls clients de ces Vietnamiens horticulteurs festifs de la Courneuve tant ce qu’ils écrivent – et le prix attribué – fricote sans vergogne dans la catégorie du stupéfiant.

D’ailleurs, on découvre sans trop de problème que les principaux intéressés, à savoir les clients et les syndicats, justement, se tortillent de rire lorsqu’ils apprennent la nouvelle. Certes, les syndicats sont des habitués de la moquerie et les constats qu’ils dressent, toujours sur le mode lancinant de y’a pas de moyens, on n’a pas assez d’argent et il faut des sous, sont à prendre avec les habituelles pincettes qui permettent de mâtiner leurs allégations de l’expérience concrète des décennies de pipeau éhonté qu’ils nous servent à chaque occasion.

En ce qui concerne les clients, cependant, force est de constater que leurs revendications ne frisent en rien l’absurde : avoir des trains qui partent à l’heure, arrivent à l’heure et fournissent un service décent n’a rien d’incompréhensible. Si l’on se rappelle que ces mêmes clients en viennent à faire la grève des tickets ou à monter des associations pour déposer plainte, on comprend que le stade de la grogne est dépassé pour atteindre celui de la colère pure, qu’on comprend d’autant plus que les retards systématiques de l’entreprise qui, naguère, faisait rouler des trains, provoquent maintenant des licenciements : à force d’arriver en retard, ou pas du tout, les employeurs de ces clients malheureux finissent par ne plus y trouver leur compte.

Le plus beau est que, selon le Nouvel Économiste toujours, le gentil Guillaume aurait trouvé les bonnes réponses aux défis posés. On se demande un peu comment il a fait tant l’épais nuage de THC qui devait régner dans les bureaux de la rédaction et ceux de la direction de la SNCF rendait difficile toute orientation.

D’autant que les « bonnes réponses » s’apparentent, lorsqu’on les examine, à la même substance vaporeuse et euphorisante que celle inhalée à plein poumons par notre sémillant PDG : distribuer des réductions aux clients licenciés, présenter des excuses plates et sans intérêt à ceux qui mirent plus de 24H à traverser la France, tout ceci ne justifie qu’assez mal une nomination quelconque, mis à part, peut-être, celle d’énarque le plus standard de France tant rien dans son parcours ne se démarque des autres énarques passés par là avant lui.

Et c’est d’ailleurs exactement le problème : incolore, inodore et sans saveur, le diplômé habituel qu’on place aux principales entreprises de France n’apporte plus, depuis longtemps, la moindre réponse à quelque défi que ce soit. C’est vrai à la SNCF, mais c’est vrai aussi pour les autres pontes de notre magnifique système de grandes écoles nationales qui furent, cette année, en « compétition » avec le petit Guillaume.

On apprend ainsi que sa nomination s’est faite sur le fil, coincé entre Jean-Paul Bailly (frétillant polytechnicien en charge du blob postal) et Stéphane Richard (lui aussi énarque, et responsable mais pas coupable du mammouth télécom).

Voir loin. Sérieusement. WTF ?!
« Voir loin. » : c’est de l’humour, où c’est juste de la moquerie ?!

Eh oui. Cet article ébouriffant, véritable caca de troll, est en réalité une illustration cristalline et parfaite, chimiquement pure, de ce qu’est devenue la France : sur un tissu de petite et moyennes entreprises totalement inconnues et parfaitement oubliées des médias, prospèrent quelques gros champions nationaux mous, lents et gérés avec la poigne d’un octogénaire lexomilé sous tétrazépam, dont les directions sont distribuées comme des cacahuètes à un apéritif inaugurant une soirée échangiste poivrée ; dans quelques années, il y a fort à parier qu’on retrouvera ainsi l’un de nos trois compères à la place de l’autre, et les chaises musicales pourront continuer sous les applaudissements des contribuables.

Supportant cette absence complète de toute latitude dans la gestion sociale et financière, ajoutée à la carence chronique d’expérience réelle du terrain de ces managers en carton, les entreprises qu’ils gèrent et gèreront continueront de se comporter exactement comme elles l’ont toujours fait : en parfaite déconnexion des gens qu’elles emploient et dans le mépris feutré mais permanent de leurs usagers qui n’obtiendront jamais le statut de client tant l’état y aura fait de dégâts.

Avec de tels managers, et de tels journalistes pour les encenser, pas de doute : ce pays est foutu.
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