Magazine Politique

Il faut supprimer l'armée française

Publié le 09 février 2011 par Egea

Provocateur, non ?

Il faut supprimer l'armée française

Peut-être faut-il être radicalement provocateur pour provoquer le débat. C'est ce que tente Pierre-Marie Guillon, qui vient de publier le livre éponyme, et qui mérite qu'on s'y attarde. L'auteur a bien voulu répondre à mes questions. Bien évidemment, j'espère vos commentaires et réfutations. Et nous organiserons un de ces jours un débat public avec l'auteur, car au moins, ça secoue. Chic !

1/ Votre livre a un titre volontiers provocateur. On devine le coup médiatique : mais êtes-vous anarchiste ? antimilitariste ? pacifiste ? misanthrope ? à tout le moins “l’idiot utile“ de ces courants là ?

Je ne crois pas mon titre provocateur. S’il l’est, c’est uniquement parce qu’il attaque de front une opinion inconsciemment mais totalement acquise à la nécessité de l’armée. Mon seul objectif est de travailler à une prise de conscience.

Je ne suis ni anarchiste, ni antimilitariste, ni pacifiste – ayant même expliqué, dans mon ouvrage (p.197), que le pacifisme constitue une maladresse, en ce qu’il dessert la cause qu’il veut défendre. Peut-être suis-je un tout petit peu misanthrope – c’est l’effet de l’âge et de l’expérience.

Quant à être l’idiot utile, j’espère bien.

2/ N’êtes-vous pas alors un libéral qui, s’il ne faut pas dire ultra, est quand même très prononcé ? Le raisonnement serait alors : tout ce qui est étatique étant inutile, allons au bout du raisonnement et débarrassons-nous de l’armée aussi puisque c’est aujourd’hui inemployé ?

Oui, je suis un libéral et, dans un pays se présentant comme celui de la liberté, cela ne me semble ni décalé, ni déshonorant. Je n’ai jamais été ultra en rien, pas plus en libéralisme qu’ailleurs.

Je ne considère absolument pas ce qui est étatique comme inutile – ce serait une forme d’anarchie, question à laquelle je viens de répondre. Je considère, en revanche, que les courants colbertiste et jacobin ont pris chez nous une importance beaucoup trop grande et à bien des égards nuisible. Je crois qu’une des grandes erreurs des socialistes de tous bords est d’avoir plus ou moins inconsciemment assimilé leurs doctrines et l’étatisation.

3/ Vous avez publié « Désarme, citoyen ! » : s’agit-il du même livre ou d’un autre titre ? Comment a-t-il été accueilli ?

Mon manuscrit terminé, je l’ai envoyé à de nombreux éditeurs. Étant inconnu, n’appartenant pas à l’une des catégories socioprofessionnelles où se recrutent normalement les auteurs, j’ai toujours été refusé. En désespoir de cause, j’ai édité mon travail à compte d’auteur, sous le titre « Désarme, citoyen ! ». Je l’ai envoyé à tous mes amis et membres de ma famille. Cela fait, il m’en restait quelques exemplaires. J’ai pensé – application de l’adage de Surcouf selon lequel « C’est le dernier coup de canon qui tue l’ennemi » – que je devais à nouveau courir ma chance et envoyer le volume à des éditeurs. Cette fois, j’ai attiré l’attention et les Éditions Dangles ont proposé de m’éditer. Ils m’ont alors fait valoir que mon titre, peut-être littérairement satisfaisant, n’était pas explicite. Je l’ai donc changé pour celui que vous connaissez.

Entre temps, j’ai en partie remanié mon texte – de 20 à 30 % – mais, rassurez-vous, sans changer d’avis.

Si, en m’interrogeant sur l’accueil reçu par l’ouvrage, vous voulez avoir une idée du volume des ventes, je ne peux pas encore vous répondre.

Si vous pouvez savoir ce qu’en pensent les lecteurs que j’ai rencontrés, je dois vous dire que la réaction la plus courante s’opère en deux temps. Premier temps : “tu es” ou “vous êtes” ou “il est” complètement cinglé ; second temps : une adhésion très générale, bien souvent accompagnée de “Mais pourquoi n’y a-t-on pas pensé plus tôt ? ”

Quant aux opposants, l’un de mes amis a bien résumé leur opinion : “tout ce que tu dis dans ton livre, je suis entièrement d’accord mais, ta conclusion, là, je ne peux pas”. Je le comprends fort bien, ayant moi-même mis des années à m’en convaincre. Toute conversion est un chemin de croix.

4/ Vous partez d’une analyse de la dissuasion pour expliquer que, en fait, elle ne marcherait pas. Pouvez-vous l’expliquer succinctement ?

Il est de fait que je traite de la dissuasion dans l’ouvrage. Je ne pars pas seulement de cette analyse mais surtout de la convergence de très nombreux phénomènes – progrès inouï du pouvoir destructeur des armes, mondialisation, profondes mutations des sociétés civiles, migrations industrielles, faiblesse de nos gouvernants, déclin relatif de la France, etc. – phénomènes qui ont bouleversé les données de notre problème de défense.

Je ne me suis pas aventuré à prédire que la dissuasion ne marcherait pas ; je pense avoir démontré qu’elle peut marcher ou ne pas marcher. Je partage cette opinion avec bien des spécialistes – par exemple, celle des rédacteurs du Livre blanc sur la défense, ou celle exprimée dans Le Monde du 15/10/2009 par Messieurs Juppé, Rocard, Richard et Norlain. Vous connaissez ces gens là. Je suis sûr qu’ils vous inspirent confiance.

5/ De même, vous expliquez que l’Europe est définitivement en paix, et qu’il n’y a plus besoin d’entretenir une armée dispendieuse : vraiment ?

Je ne me souviens pas avoir expliqué que l’Europe était définitivement en paix, mais je comprends votre impression : tout le monde pense que, si l’on croit l’armée inutile, c’est que l’on croit à la paix. Or j’ai dit le contraire et, en raison de l’importance de ce point, permettez-moi de me citer (p.55) : « Par principe, par méthode, par élémentaire sagesse, dans le domaine de la sécurité et de la défense, le danger doit toujours être considéré comme permanent et grave. »

S’agissant de l’Europe, j’ai expliqué pourquoi – hormis le phantasme franco-français d’une Europe de la défense et les dispositions totalement dépourvues de contenu insérées dans les traités européens – personne n’a voulu, ne veut et ne voudra d’une armée européenne. J’ai également expliqué pourquoi, en matière de défense, le problème de l’Europe était, mutatis mutandis, le même que celui de la France.

6/ Au fond, vous posez la question de l’État, comme si celui-ci avait disparu ? Le pensez-vous ?

Je ne pense pas que l’État ait disparu. En revanche, je pense qu’il s’est profondément transformé, qu’il continue à se transformer, que cette évolution n’est pas terminée et qu’elle doit être poursuivie et gérée. Pardonnez-moi de me citer encore car je pense avoir démontré que : « Bien que chaotique, cette évolution se résume simplement : au fil des siècles, l’État a vu se réduire ses pouvoirs et se multiplier ses fonctions. »

7/ Vous posez que la communauté internationale est organisatrice du nouveau monde : est-ce réellement ce qu’on observe aujourd’hui ?

La notion de communauté internationale est très floue. Ce n’est peut-être pas une raison pour en nier l’existence. La mondialisation – tant et si stupidement décriée, quand bien même on a de bonnes raisons de lui trouver des aspects négatifs – et l’émergence, encore à peine perceptible, d’une sorte de citoyenneté planétaire ne sauraient être ignorées. La communauté est-elle organisatrice d’un nouveau monde ? Ce n’est pas impossible, mais la réussite n’est pas garantie. À mon sens, le traité de non prolifération, si imparfait et mal appliqué soit-il, constitue néanmoins un bon exemple de ce que la communauté internationale peut faire. Mais attention de ne pas m’imputer un contre-sens que je n’ai pas commis : l’action de la communauté internationale ne signifie pas que le danger ait disparu et qu’il faut devenir pacifiste.

8/ Peut-on désinventer l’arme nucléaire ?

Non. L’homme peut apprendre en faisant effort ; il ne peut oublier au moyen du même effort. Il en va de même de l’humanité.

Mais, là encore, attention aux conclusions que l’on en tire. Pour moi, qui n’a jamais songé à nier le danger, la question fondamentale de la sécurité et de la défense n’est pas “y a-t-il encore du danger ?”, c’est “comment peut-on et doit-on gérer le danger ?” Et c’est en réponse à cette seconde question que je persiste et signe : il faut supprimer notre armée – hormis, vous l’avez noté, une modeste garde nationale parfaitement armée et parfaitement entraînée.

9/ N’est-ce pas au fond la Bombe (la nôtre et celle des Américains) qui est la source de la paix européenne (pax americana si l’on veut mais dont les effets se sont manifestés en Europe) ? Bref, vouloir supprimer la bombe au motif de la paix, n’est-ce pas inverser le raisonnement ?

Il n’est sans doute pas douteux que la dissuasion ait fonctionné entre américains et soviétiques. Il n’est pas douteux non plus que la protection américaine ait sauvé l’Europe de l’ouest. Je ne le méconnais pas et l’ai clairement mentionné dans mon livre (p.220). Mais, encore une fois, attention aux conclusions que l’on en tire inconsciemment et notamment à celle que votre question semble suggérer, à savoir qu’il faut continuer comme par le passé. Si le problème de la France ressemble clairement à celui des autres pays européens, profitons-en pour constater que, sans Bombe, les allemands, italiens et autres polonais ne se trouvent pas dans une situation plus risquée que la nôtre. Mais je ne vais pas vous réciter tout mon livre.

10/ Pensez-vous réellement que la guerre ait disparu ? n’a-t-elle pas changé de forme ? ne faudrait-il pas creuser cette idée là, en allant au-delà ce qu’on nous présente aujourd’hui : soit une vision néo-traditionnelle (la guerre irrégulière), soit une vision totalement civilisée (la guerre économique) ?

La guerre n’a pas disparu, il suffit d’ouvrir les yeux pour le constater. Peut-être s’est-elle néanmoins profondément transformée.

Que pouvons-nous craindre aujourd’hui ? Pour l’essentiel et dans le désordre : la guerre mondiale, les terrorismes, les dictateurs fous qui auront la Bombe, les petits pays en proie à des troubles internes, la guerre économique.

  • Guerre mondiale ? La probabilité n’en est pas mesurable et on ne saurait donc considérer cette hypothèse comme exclue, même s’il est clair que pratiquement plus personne n’y croit.
  • Terrorisme ? Bien sûr ! Mais ce n’est pas avec un marteau pilon que l’on écrase une mouche.
  • Dictateurs fous qui auront la Bombe ? Faute de discipline internationale sanctionnable et sanctionnée – « Il n’y a pas d’obligation sans sanction », affirmait notre célèbre jurisconsulte Planiol – je ne crois pas que nous puissions y faire grand-chose. La dissuasion dans ce cas particulier ? J’ai bien entendu abordé cette question pour émettre l’hypothèse selon laquelle, en cas de menace réelle, le raisonnable sera toujours plus dissuadé que le fou.
  • Petits pays en proie à des troubles internes ? Il est clair que nous devons participer à l’extinction des incendies si la cause est juste. Cela doit s’opérer en collaboration avec la “communauté internationale“ et nécessite des forces très réduites.
  • La guerre économique ? Oui : entre autres raisons parce qu’il est devenu plus efficace et moins dangereux de conquérir en signant un chèque qu’en tirant un coup de fusil. Et cette idée là je l’ai creusée puisque je lui ai consacré un chapitre entier et quelques autres développements.

Je les résume : la 3ème guerre mondiale est en cours ; c’est une guerre de cent ans ; nous n’y avons que des ennemis ; nous l’avons presque perdue. Si cette perte se confirmait, nous y serions privés de tout ce qui justifie que les groupes humains se défendent. Au pire ce sera la disparition, au mieux le sous-développement !

C’est là que nous devrions porter nos efforts. Or nous réagissons mollement. Je livre cela en médiation à tous ceux qui me traitent de « munichois » au motif que je préconise la suppression quasi-totale de notre armée.

Réf :

  • ma fiche de lecture du livre, sous son titre précédent : ici
  • autre fiches de lecture : ici
  • et bien sûr, vos fiches de lecture et vos articles de réfutation, que je publierai avec plaisir et intérêt.

Et puisque nous sommes dans un monde économique, n'hésitez à utiliser votre mulot pour sélectionner telle ou telle des propositions ci-dessous affichées, cela manifestera votre soutien à égéa...

O. Kempf


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Egea 3534 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines