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Comment réduire la différence entre représentation politique et population – réponse à Gabale

Publié le 10 février 2011 par Variae

Comment améliorer la représentation de la société « réelle » dans la classe politique ? Reprenant les chiffres d’études sur l’origine sociale des élus publiés par l’Observatoire des Inégalités, le blogueur Gabale s’interroge sur la différence de structuration flagrante, en termes de classes sociales d’origine, entre population active et différentes catégories d’élus, le fossé tendant à s’élargir à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie des mandats. Le cas des ouvriers est remarquable : loin d’avoir disparu en France comme on l’imagine ou l’entend parfois (ils représentent en réalité 28% de la population active), ils seraient pour le coup quasiment invisibles parmi les élus, représentant 4% des conseillers municipaux, 1% des maires et … 0% des députés. On pourrait bien entendu étendre le constat à d’autres critères (ethniques …). D’où la question : que faire ?

Comment réduire la différence entre représentation politique et population – réponse à Gabale

Remarque liminaire : le constat et l’alerte ici émis sont désormais bien entrés dans le discours politique ambiant, du côté des commentateurs comme des acteurs. A gauche mais même à droite, la promotion de la diversité, ethnique beaucoup, sociale également (« et le handicap, et la jeunesse » ajoute l’écho), est aujourd’hui un classique des déclarations d’intention et des beaux idéaux qui mettent tout le monde d’accord. C’est d’autant plus remarquable que c’est une idée dont on pourrait pourtant discuter : après tout, pourquoi les élus devaient-ils nécessairement être à l’image de leurs électeurs, puisqu’ils sont issus du choix de ceux-ci ? C’est une chose de constater l’absence totale et donc anormale de certaines catégories de population dans la représentation locale ou nationale, et de vouloir y remédier ; c’est autre chose de pencher, comme on l’entend parfois, vers une logique de quotas, où tout ensemble ou liste de candidatures devrait être jugé à l’aune du respect d’une liste de critères mécaniques et donc quelque peu absurdes, visant surtout le politiquement correct (y a-t-on bien mis le Noir, le banlieusard, le paysan, l’handicapé, l’ouvrier de service ?). Au fond, tout repose sur l’ambigüité du concept de représentation politique. Mon représentant doit-il me ressembler ou porter mes idées ? Si on ne peut évidemment distinguer complètement les deux aspects, il est clair que leur confusion systématique, à l’inverse, sert toutes les démagogies et manipulations. Et c’est ainsi que l’on arrive à des polémiques stériles comme celles consistant à interroger le degré de « gauchitude » d’untel ou d’untel en fonction de sa richesse personnelle (faut-il être pauvre pour être de gauche ?). A côté de cette dérive qui conduit d’éminents élus à proclamer urbi et orbi leur amour des carottes râpées pour défendre leur street credibility et faire peuple, je n’épiloguerai pas sur les tentations communautaristes et les défenses ambigües de la statistique ethnique, autres manifestations de la revendication d’une symétrie « parfaite » entre population et élus. Disons qu’à un moment il faut faire un choix : considérer la République comme une recherche partagée d’un bien commun, ou comme une mosaïque de revendications et d’affirmations catégorielles et identitaires (au sens le plus large du terme).

Bien entendu, cette deuxième voie, que je réprouve pour ma part, sera d’autant plus tentante et défendue qu’il y aura une coupure flagrante entre population et élus. Qu’il y ait 15% d’ouvriers parmi les maires contre 28% dans la population ne choquerait (ou ne devrait choquer) personne ; c’est le 1% actuel qui est questionnant. Les revendications excessives dans le domaine des quotas sont la réponse directe, et logique, à l’homogénéité (voire endogamie) ressentie elle aussi comme excessive du côté des élus. Il faut agir pour réduire les écarts aberrants entre composition de la population et profil des élus, afin d’éviter de nourrir des demandes absurdes.

Dans cette perspective, renonçons à penser le problème comme une équation {tant de classes sociales et/ou minorités = tant de représentants}, et repérons plutôt quelles sont les populations « empêchées » d’accéder à un mandat d’élu, cherchons à comprendre la nature des obstacles auxquels elles sont confrontées, et travaillons à les réduire ou à les annuler. Ces obstacles sont autant imputables aux populations en question qu’aux partis qui restent, jusqu’à preuve du contraire, la principale voie d’accès à l’élection. On peut en citer quelques uns assez évidents : le manque d’entraînement à (ou de pratique de) la prise de parole en public ; le déficit de formation scolaire rendant inabordable la vie de parti, souvent très intellectualisée (à défaut d’être intellectuelle) ; le blocage psychologique (si je ne vois aucun ouvrier député, pourquoi moi, ouvrier, pourrais-je aspirer à cette fonction ?) ; le manque de temps à consacrer à l’activité au sein d’un parti, et l’incompatibilité horaire avec celle-ci ; l’éloignement ou la faible accessibilité des sections des partis politiques ; sans oublier le manque de lien avec les élus en place, puisqu’ils jouent encore un rôle déterminant dans la désignation (cooptation ?) des nouveaux élus.

Les partis politiques, s’ils entendent vraiment jouer un rôle d’organisateur de la vie démocratique, devraient chercher à amoindrir ces obstacles. Ce qui ne signifie ni lancer des opérations de communication démagogiques et d’affichage envers telle ou telle population, ni mettre en place des quotas réservés sur les listes de candidats – l’expérience montre que les quotas, quelle que soit la forme qu’ils prennent, finissent souvent par servir à placer des affidés des élus en place, en prétextant de leur appartenance à telle ou telle minorité quand cela peut servir. C’est sur un travail structurel de long terme qu’il faut investir. Quelques pistes : reconstruire de vraies politiques de formation au sein des partis, ne se limitant pas à quelques conférences pour se donner bonne conscience et pouvant même, pourquoi pas, être qualifiantes ; s’implanter dans les déserts politiques (à commencer par l’entreprise et le monde du travail – les statuts du Parti socialiste, par exemple, permettent la constitution de « sections d’entreprise » de plein droit, quasiment inexistantes pourtant dans le faits) ; penser de nouveaux espaces-temps de militantisme (autres que la sacro-sainte réunion à 20H00) ; ouvrir et rendre transparentes les conditions et les procédures de candidature à la candidature pour les différentes élections. Comme par hasard, c’est souvent l’échelon le plus opaque et le plus verrouillé des partis ; un échelon où l’on constate une vraie déperdition de « diversité » (sociale et professionnelle) entre la base militante et les candidats finalement désignés. Les partis politiques, à gauche du moins, sont souvent plus divers et moins homogènes qu’on le pense, quand on considère leurs militants ; ils accouchent cependant de générations d’élus confirmant les statistiques rappelés plus haut. C’est donc qu’une partie importante du problème réside dans la capacité et la volonté (ou non) des partis à organiser l’ouverture de leurs candidatures à l’ensemble de leurs propres militants.

Il existe des mécanismes simples pour améliorer cela, sans recourir au fait du prince ni aux quotas. Pour les élections à scrutin de liste (régionales, européennes notamment), qui représentent souvent un bon moyen de mettre le pied à l’étrier à de nouveaux élus, je suis favorable à ce que les partis introduisent, pour constituer lesdites listes, le principe du vote classant en leur sein. Différentes méthodes existent dans ce domaine, celle de Borda est intéressante : elle consiste à laisser les militants sélectionner, parmi les candidats à la candidature, leurs favoris, puis les classer sur les places disponibles. Par exemple si 30 candidats se présentent pour une liste de 20 places, on choisit 20 candidats par ordre décroissant de préférence. La liste finale est ensuite forgée à partir de la moyenne des votes. Pour que cette opération se déroule sérieusement, elle nécessite un temps de campagne interne pour permettre aux différents candidats de se présenter et de se faire connaître - ce qui est une très bonne chose. Il y a toutes les raisons de penser que ce type de procédure accoucherait de listes de candidats plus diverses (au sens fort, et non cosmétique, du terme) et plus renouvelées, que celles constituées par des processus descendants ou très marginalement démocratiques.

On ne décrétera pas la diversification et la dés-homogénéisation du personnel politique, sauf à se satisfaire de mesures d’affichage dissimulant la continuation du même système, un peu maquillé pour faire taire les critiques. Les partis doivent entreprendre un travail en profondeur non pas simplement d’ouverture (ce qui veut tout et rien dire), mais de ré-ancrage sur le terrain et de « ré-armement » politique des populations dont ils se sont parfois coupés. Les élites politiques actuelles regagneraient ainsi en intrication avec le pays ce qu’elles perdraient, ou craindraient de perdre, en pouvoir.

Romain Pigenel

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