Il y aura beaucoup à dire sur le Rapport Attali (pdf, via Juan). Ca commence, d'ailleurs : ici, ici, ici... lisez Left blogs pour tout suivre. Il y a trop à dire, en fait. Non qu'on ne doive pas en parler. Mais on ne devrait pas avoir à en parler. Comment se fait-il que l'on accepte qu'une commission, fût-elle celle d'Attali avec tous ses super-pouvoirs, ait un rôle si fondamental dans l'orientation politique de l'état?
Depuis l'élection jusqu'à, disons, les voeux de la St. Sylvestre, nous étions abreuvés, quotidiennement, des rappels de l'immense et incontournable légitimité démocratique de chacune des mesures que le "candidat Sarkozy" avait mentionnées pendant la campagne présidentielle. Ces mesures devaient appliquées sans aucune réserve car elles avaient reçu l'approbation des électeurs, qui les avaient épluchées en détail. C'était une manière de monter deux aspects de la démocratie l'un contre l'autre : le suffrage universel contre le jeu démocratique des institutions. J'ai l'impression que c'est fini, désormais.
A la place du programme, dont, paraît-il, seulement 5 pourcent a été appliqué, nous aurons ce rapport. Pourtant, c'est un drôle de rapport, car c'est un programme politique. De la première page de l'introduction:
Ceci n'est pas non plus un inventaire dans lequel un gouvernement pourrait picorer à sa guise, et moins encore un concours d'idées originales condamnées à rester marginales. C'est un ensemble cohérent, dont chaque pièce est articulée avec les autres, dont chaque élément constitue la clé de la réussite du tout.
Déjà "droits dans leurs bottes". C'est à prendre ou à laisser. Pas le droit de "picorer". Pourtant, les démocraties aiment bien "picorer". Picorer, c'est même une activité émminement démocratique, plutôt que de laisser une commission qui n'a jamais été élue décider de tout, en une seule fois. Le Très Grand Homme (TGH), tout en revendiquant le droit de "picorer", avait d'emblée affirmer l'aspect "décisionaire" du rapport:
Il ne s'est pas privé, aussi, de souligner que la commission était "tombée sur le bon président" parce qu'il leur avait laissé "le plus dur, réfléchir" et qu'il lui restait "le plus facile, agir". (JDD)
Quand le TGH dit des choses comme ça, on sait que c'est par (fausse) humilité. En même temps, dire que "réfléchir", ça fait mal à la tête, c'est un aveu étonnant. Réduire finalement la politique à l'"action" est en revanche une idée inquiétante. Les idées seraient finalement simplement l'essence dans une machine politique dont le véritable objectif est simplement le maintient du pouvoir. Il faut bien avoir quelque chose à faire, mais c'est plus commode de délocaliser la réflexion. L'outsourcing politique serait même une marque de fabrique du sarkozysme. On fait appel souvent à des cabinets de consultation, que ce soit pour élaborer le programme électoral ou pour noter les ministres, plutôt de se casser soi-même la tête. Sarkozy semble reconnaître qu'il n'est pas compétent en politique. Il est compétent seulement en "pouvoir".
Souvenez-vous de cet échange pendant le débat de l'entre-deux tours ? C'est le TGH qui parle, en "résumant" ironiquement les idées de son adversaire sur la réforme des retraites :
La troisième idée est la grande discussion. C'est la sixième ou septième depuis qu’on débat ensemble. La grande discussion, il faut qu'elle débouche sur quelque chose! [...] Avec moi comme président de la République, les choses sont parfaitement claires, elles seront en ordre, on financera et on s'engage.
Pas de discussion, tout est clair, en ordre. On "s'engage". Les "grandes discussions" seront interdites. Maintenant, il est clair, justement, que l'engagement était impossible car le programme véritable n'était pas encore connu. Le rôle de la Commission de la Libération de la Croissance était d'élaborer le programme électoral du candidat Sarkozy. Trente-sept semaines après l'élection.