Avant de se plonger dans ce court (mais intense) extrait-vidéo, il faut le replacer impérativement dans son contexte.
Impérativement car – et c’est, souvent là, le travers épouvantable du Net, mais aussi de la télévision – si cet extrait-vidéo était « balancé » tel quel, sans que l’on ne prenne soin de relater, détailler, ce qui a conduit l’avocat Thierry Levy à employer, évoquant Nicolas Sarkozy, les termes d’ « ignorant » et d’ « incompétent », alors ce serait (dans le cas où l’on aurait une aversion caractérisée pour le Président de la République) juste se faire plaisir, ou alors, donner dans le buzz vulgaire (ce qui constitue, au demeurant, un pléonasme).
Qui plus est, ce serait affaiblir les propos tenus, voire les dénaturer.
Or donc, nous sommes jeudi soir (10 février 2011) sur France 3, dans l’émission Ce Soir Ou Jamais, présentée par Frédéric Taddeï.
Auparavant, pendant plus de deux heures (particulièrement éprouvantes), Nicolas Sarkozy aura, sur TF1, répondu (?!?) aux questions de neuf français.
Cette prestation du Chef de l’Etat sera évoquée et commentée par les invités de Taddeï.
Bref.
Après un sujet sur les « vacances de M. Alliot-Marie et de F. Fillon », voilà qu’est abordée la « colère des magistrats ». Pour en parler, Frédéric Taddeï invite le juge Marc Trévidic à rejoindre le plateau pour expliquer « la première grève des magistrats ».
Après un « petit rappel des faits » par le biais d’extraits « du 20 heures et du 13 heures de France 2 », où l’on revoit Nicolas Sarkozy demander que « ceux qui ont couvert ou laissé faire cette faute » (relâcher le « présumé coupable » – comprendre : Tony Meilhon) soient « sanctionnés » et François Fillon jugeant la réaction (donc : le mouvement de grève) des magistrats « excessive », Frédéric Taddeï se tourne vers le « juge antiterroriste » :
« (…) Marc Trévidic qu’est-ce que vous répondez au Premier ministre et à tous ceux, qui en ce moment-même, ont des dossiers qui attendent d’être jugés ? »
Marc Trévidic : bon premièrement, c’qui a choqué tout le monde, c’est la présentation des choses .. La personne en question, Tony Meilhon, n’a pas été libérée .. Par personne ! .. Elle avait fini sa peine, après onze ans de prison .. Elle avait purgé toutes ses peines .. Y’avait pas de libération conditionnelle, y’avait rien … Il se trouve que, par ailleurs, y’avait un sursis de mise à l’épreuve pour outrage à magistrat … Donc, la présentation qui en a été faite est caricaturale, et pas exacte .. Aucun juge n’a mis en liberté qui que ce soit .. C’est le premier point, et c’est le plus important, parce que tout le monde reprend ça, comme si c’était une vérité … Après, qu’est-ce que ça veut dire être suivi en sursis de mise à l’épreuve ? … Ça veut dire, pour les dossiers les plus urgents – aujourd’hui en France – une convocation tous les deux mois ; mais aussi, pour les moins urgents, une convocation tous les six mois … On vient voir un agent de probation, on donne un certificat médical – si on a un suivi médical – une attestation d’embauche (..) voilà ce que c’est .. Est-ce que vous croyez vraiment que ça peut empêcher une quelconque récidive, même quand le dossier est suivi ? .. Ce qui a révolté tout le monde, c’est une certaine hypocrisie dans les discours, dans la présentation des choses ; voilà … La vérité elle est .. Elle est comme elle est ! .. Il y a énormément de personnes en sursis de mise à l’épreuve, nous ne sommes pas des devins ! … On n’est pas là pour essayer de deviner que cette personne part en tuer une autre ! … C’est très compliqué pour arriver à évaluer totalement une personne, et être certain qu’elle va pas commettre un crime … On parle de récidive .. Il avait jamais tué personne, avant ! Faut quand même pas l’oublier ! … Ben ça, ça demande des moyens extraordinairement développés. Et on est dans une justice qui, effectivement, d’une manière générale, fonctionne mal, parce qu’elle a très peu de moyens par rapport à d’autres pays qui ont, à peu près, le même niveau …
Taddeï : C’était pas la première fois que les juges étaient critiqués par Nicolas Sarkozy, mais aussi par d’autres présidents de la République (…) Or, c’est la première fois qu’il y a un tel mouvement .. Comment l’expliquez-vous ? est-ce que le cas, là, est plus grave (..) ?
Trevidic : Le cas n’est pas plus grave ; c’est le fait que, pendant des années, on vous dit toujours la même chose ! Que tous les deux, trois ans, systématiquement, quand y’a un drame, on accuse le juge d’être responsable du drame … Vous croyez que ça fait plaisir, aux gens qui travaillent au quotidien, qui sont confrontés à la misère, aux victimes, aux auteurs d’infractions, qu’on dise : vous êtes responsables de cet assassinat, de ce crime parfaitement odieux ? (…) Les juges, c’est pas eux qui tuent quand même ! (...) Alors, c’est pas plus grave que d’habitude, mais ça fait trop .. Et au bout d’un moment, c’est spontané (…) Parce que, tout le monde en a ras-le-bol, sinon y’aurait pas 95% des magistrats qui se sont mis à arrêter de bosser (...) Alors évidemment ça surprend ... c’est pas une profession qu’a l’habitude de faire grève, elle a même pas le droit de faire grève, d’ailleurs ! Mais derrière, y’a plein de gens ! Y’a des avocats, y’a des policiers, tous ceux qui savent qu’au quotidien c’est pas facile de rendre la justice …
Taddeï : Thierry Levy vous (…) …
Thierry Levy : (…) Ce que vient de dire Marc Trévidic est absolument exact … enfin .. Indiscutable ! … Y’a quelque chose de pire en ce qui concerne Nicolas Sarkozy … C’est que : il fait de la question sécuritaire son fond de commerce ; et, il le fait, à partir d’affirmations erronées, et surtout, d’une totale incompétence ! … Il faut se rappeler, qu’il y a six ans maintenant, au moment de l’affaire de la malheureuse Nelly Cremel, il avait tenu exactement les mêmes propos ! Il avait accusé les juges d’êtres responsables de la mort de cette femme qui avait été agressée, alors qu’elle faisait son jogging, par un homme qui sortait de prison et qui avait commis un crime beaucoup plus grave – d’ailleurs – que celui de Tony Meilhon … Et il avait dit exactement la même chose : y’a des fautes, elles seront sanctionnées … Or, à l’époque, comme aujourd’hui, il n’y avait aucune faute ! Et quelles que soient les lois qu’on empile depuis – et on en a empilées cinq ou six – ces gens, qui sont au gouvernement, n’ont pas réussi à régler la question de la récidive (…) .. Aujourd’hui, fait similaire – avec, comme l’a rappelé Marc Trévidic – un garçon qui n’a jamais été condamné pour meurtre, ni pour assassinat, et même pas pour des faits sexuels ordinaires, puisqu’il a été condamné pour un crime commis en prison ! Et là, alors, c’est à mon avis la chose la plus grave … [Début de l’extrait vidéo : On a à faire, à un monsieur, le Président de la République …]
Mais ce n’est pas fini.
La suite vaut son pesant de monstruosité, et cette monstruosité nous viendra du journaliste et éditorialiste du Figaro : Yvan Rioufol.