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De la pertinence de l’apprentissage des stratégies défensives pour les opérations aujourd’hui (F Jordan)

Publié le 12 février 2011 par Egea

Voici un article intéressant du Chef d’escadron (TA) Frédéric JORDAN qui appartient à la Promotion général DE GAULLE de l'École de guerre.

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On y cite Clausewitz : mais il faudra, décidément, revenir sur cette approche clausewitzienne de la défensive. Il reste que se poser la question dans le contexte actuel des guerres irrégulières mérite débat : défensive, offensive, cela a-t-il du sens aujourd'hui ? Merci à Frédéric Jordan d'aborder sur le sujet.

O. Kempf

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« Si la recherche d’équilibre demeure l’objectif stratégique, l’entraînement doit couvrir l’ensemble du spectre des savoir-faire opérationnels, c’est-à-dire l’offensive, la défensive et la stabilisation ». Cette affirmation, extraite de la directive 2009-2011 du général W.Casey, chief of Staff of the Army, pour la préparation opérationnelle des unités, démontre, s’il en était besoin, que malgré leur supériorité conventionnelle, les Etats-Unis n’excluent pas de préparer leurs forces à des postures opérationnelles défensives.

Pourtant, force est de constater que s’exprimer sur la « défensive » dans les armées occidentales et, en particulier, dans l’armée française, ne fait pas l’unanimité aujourd’hui. En effet, une approche des opérations sous l’angle de la défense est considérée comme l’illustration d’un déficit d’audace voire le symptôme d’une prudence excessive et d’un manque de confiance dans nos équipements.

Il s’agit donc de remettre en question ces certitudes héritées de la RMA 1 post guerre froide, en réaffirmant, dans un premier temps, que la défensive complète toujours l’action offensive, mais aussi en soulignant, dans un second temps, que son apprentissage historique et contemporain permet de réhabiliter son emploi, mais aussi de mieux appréhender sa mise en œuvre par un ennemi potentiel.

Le mirage du tout offensif

Avec la fin de la guerre froide, les armées occidentales veulent rompre avec les manœuvres retardatrices prévues face au rouleau compresseur du pacte de Varsovie. La prééminence de l’offensive apparaît donc avec la première guerre du Golfe et son dénouement rapide. La stratégie s’appuie alors sur la supériorité technologique et sur l’efficacité du ciblage théorisé par le colonel (US) Warden. En outre, la mauvaise connaissance des grands penseurs stratégiques poussent les militaires à adhérer à une interprétation erronée de leurs travaux, à l’image de Carl von Clausewitz réduit à sa dimension offensive et à son paradigme de bataille décisive alors qu’il écrit : « La forme défensive de guerre est en soi plus forte que l’offensive ».

Mais c’est surtout l’expérience qui sonne le glas de ce culte pour le tout offensif. En effet, les conflits asymétriques récents conduisent les plus faibles à pratiquer sur les plus forts, des modes d’action hérités de la guerre révolutionnaire qui, comme l’embuscade ou le harcèlement contraignent les armées régulières à une posture défensive. Les coalitions, en Irak comme en Afghanistan sont ainsi amenées à adopter sur le terrain une manœuvre en réaction, ou à protéger leurs forces dans des sanctuaires 2 abrités derrière les solides palissades des FOB 3. De même, dans certains cas, il s’avère qu’une défense bien menée, même par l’adversaire dont le potentiel semble fragile, peut défaire des unités bien équipées et disposant, à première vue, de la supériorité technologique et opérationnelle. Ce fut le cas du Hezbollah au Liban qui, malgré des pertes importantes, a tenu tête aux troupes de Tsahal grâce à l’efficacité de son renseignement, à son système défensif fortifié et à son dispositif en profondeur.

Enfin, aujourd’hui plus que jamais, le milieu devient un égalisateur de puissance et les zones urbaines, par exemple, offrent au défenseur un atout de taille. Dans la continuité de ce bilan contemporain, l’histoire militaire vient à l’appui de ce constat.

La défensive dans sa perspective historique

En première approche, les modes d’action défensifs semblent être boudés par les plus grands stratèges qui, à l’instar de Napoléon, déclare « que la meilleure défense reste l’attaque ». Aussi, constate-t-on que le rempart, comme le mur d’Hadrien, la Grande Muraille de Chine, la ligne Maginot ou, plus récemment, la ligne Bar Lev israélienne sur le canal de Suez, ont montré leurs limites. Dans le domaine opérationnel, nombreuses sont les manœuvres défensives qui ont échoué. Il faut ainsi se souvenir, au Moyen Age, de la prise de Château-Gaillard réputé pourtant imprenable. Plus tard, il ne faut pas ignorer les défenses désespérées japonaises à Guadalcanal ou Iwo Jima et enfin, l’échec du camp retranché de Dien Bien Phu. Néanmoins, après une analyse plus poussée de ces exemples, il apparaît que ces défaites peuvent être attribuées à des concours de circonstances (trahisons, vulnérabilités, durée du siège excessive, appuis inefficaces), mais surtout à ce que Jomini appelle la rupture des lignes d’opération. En effet, bien souvent, les chefs n’ont pas pris en compte, dans leur raisonnement, l’ensemble des conclusions propres au milieu ou à l’ennemi, et n’ont pas mis en œuvre la coordination nécessaire à ces « lignes de défense éventuelles 4». En tout état de cause, quand les conditions d’une bonne défense sont réunies, ce procédé, même s’il prépare, accompagne ou appuie des actions offensives, peut contribuer à la victoire. Comment ne pas évoquer alors la conception révolutionnaire des citadelles de Vauban, la manœuvre britannique de Waterloo, la défense en profondeur allemande en Normandie 5 et celle de Joukov à Koursk. Dans ce cadre, la maîtrise et le contrôle du terrain, voire d’un point particulier ou de lignes de communication, favorisent les modes d’action défensifs au prix soit de lourdes pertes, soit d’un stratagème innovant. C’est le cas de Verdun avec sa portée symbolique, de la ligne Gustav en Italie qui tiendra en échec les Alliés, ou encore celui des campagnes d’Hannibal. Sa stratégie militaire d’approche indirecte pour défendre Carthage au plus loin tiendra en respect l’Empire romain pendant une décennie. Tous ces exemples historiques démontrent avec efficience que la défensive a toute sa place en stratégie.

La défensive dans les engagements d’aujourd’hui et de demain

Clausewitz nous rappelle déjà que « la détermination de l’espace incombe à la défense tandis que celle du temps incombe à l’attaque. » Aussi, alors que les opérations de stabilisation deviennent le cœur de l’engagement des forces terrestres, les modes d’action défensifs contribuent à la maîtrise du milieu et à la sécurisation. Certains y voient même un retour à la fortification rendu nécessaire par les contraintes de la « Force protection » et par le quadrillage adopté pour la contre-rébellion. De la même façon, l’avènement des espaces lacunaires dans la bataille et la disparition de moyens de défense passifs 6 exigent aujourd’hui de repenser et de refonder la manœuvre défensive 7. Dans un autre registre, étudier la manœuvre défensive, c’est aussi ne pas sous-estimer son adversaire et apprendre ou comprendre les modes d’action qui sont souvent les siens face à notre action 8.

Enfin, dans le cadre de la surprise stratégique évoquée dans le Livre blanc de 2008, nos forces pourraient être amenées à adopter une posture défensive face à un adversaire conventionnel à l’image d’une armée russe investissant le territoire géorgien.

Par orgueil ou par excès de confiance dans leur propre supériorité, les armées occidentales délaissent aujourd’hui, dans le cadre de la réflexion comme dans celui de l’entraînement, le concept de stratégie défensive. Pourtant, les enseignements contemporains et l’histoire militaire rappellent que la défense n’est pas désuète à condition d’être adaptée à la menace et à l’environnement du combat. Face à un ennemi asymétrique qui sait disposer localement d’un rapport de forces favorable, ou face à un adversaire conventionnel potentiel, les modes d’action défensifs offrent au chef des outils pour tenir le terrain, gagner des délais et relancer l’action sans compromettre pour autant sa maîtrise des principes de la guerre 9.

F. Jordan

  1. Revolution in military affairs.
  2. A l’exemple de la zone verte à Bagdad.
  3. Forward Operations Base.
  4. Précis de stratégie de Jomini.
  5. Face à l’offensive britannique de l’opération Goodwood.
  6. Signature par la France et par d’autres pays occidentaux de la convention d’Ottawa sur l’interdiction des mines anti-personnelles.
  7. Dans le cadre de l’hypothèse 1 d’intervention sur le territoire métropolitain ou sur les DOM-COM spécifiée par la PIA 00-301 et les modes d’actions des MICAT Proterre par exemple.
  8. Création de cellules « ROUGE » dans les états-majors.
  9. Liberté d’action, concentration des efforts, économie des moyens.

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