Le tournant de l’actualité mondiale se passe en Egypte. Jusqu’ici nul ne savait ce que nous réservait le 21e siècle naissant sur le plan d’une géopolitique dominée, à l’ennui, par des conflits interreligieux stériles et sanglants. Il se trouve que la Tunisie et l’Egypte ont fait tourner le vent dans le sens du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Et à être gouverné autrement sans se faire otages de barbus fanatiques ou de gouvernements autocrates garants d’un ordre conservateur et supposément « anti-terroriste ».
On en parlera encore longtemps de cette révolution égyptienne courageuse, civique et surtout pacifique, en dépit des dérapages orchestrés par les nervis d’un pouvoir qui, tel un lion blessé a lâché ses sicaires sur les foules rassemblées sur la place tahri au centre du Caire.
La vérité est que l’Egypte n’est pas n’importe quel domino, il s’agit d’une puissance du Moyen Orient et qui détient de nombreuses cartes dans la région. Ce pays est respecté dans le monde arabe et ce qui est possible en Egypte peut l’être n’ importe où dans ce Moyen orient riche et instable. L’ironie du sort, c’est que la doctrine Bush-Rumsfield voulait d’une grande révolution démocratique qui commencerait en Irak par le renversement de Saddam Hussein et se propagerait dans la région. Mais les peuples ont leur propre agenda. Et c’est le meilleur allié américain dans la région qui fait les frais de cette poussée démocratique irrésistible et profonde venue des entrailles en feu du peuple égyptien.
L’Occident médusé et pris de court a assisté au succès de cette révolution pacifique plutôt inattendue, malgré le précédent tunisien. On se plaisait à dire que Moubarak n’est pas Ben Ali. Il faut dire malgré tout que la diplomatie américaine a été à la pointe des négociations coiffant une fois de plus une Union Européenne perdue dans ses marques. La France perdant un temps fou dans des discussions « byzantines » autour des voyages privés effectués par ses dirigeants au temps ou la Tunisie était encore un paradis artificiel.
Un acteur clé de la transition égyptienne est bien l’armée. Très respectée là-bas, elle demeure incontournable. C’est une institution qui constitue la colonne vertébrale de l’Etat égyptien. Elle a un pied dans l’économie et compte de nombreux amis dans la société civile. Le pays compte aussi des hommes politiques de la classe de Boutros Boutros Ghali et Mohamed Al Baradai, ancien haut commissaire à l’énergie atomique aux Nations-Unies. Le vide n’est donc pas aussi abyssal que dans d’autres pays du Tiers-Monde.
Les Etats-Unis et Israël ont dans l’armée égyptienne, un interlocuteur clé qui promet d’ailleurs de respecter tous les accords régionaux. La transition sera donc sous haute surveillance, d’autant plus que les sourires encourageants qui apparaissent sur les visages des diplomates occidentaux masquent mal la peur du « péril islamiste », cette même peur insoutenable qui avait servi d’alibi au régime trentenaire de l’ex-officier Hosni Moubarak.
Nul ne sait quelles nouvelles portes enfonceront les coups de bélier de la rue égyptienne. Les révolutions sont certes récupérables, celle-là, pour le moment, a l’air irrésistible.
Roody Edmé