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Les “deux mondes” de Christian Jacob

Publié le 18 février 2011 par Vogelsong @Vogelsong

“La France qui croit au mérite et à l’effort, la France dure à la peine, la France dont on ne parle jamais parce qu’elle ne se plaint pas. (…) La France qui en a assez que l’on parle en son nom” N. Sarkozy – 18 décembre 2006

Le président de la République N. Sarkozy peut se succéder à lui-même. Il se pourrait même que J.-F. Copé prenne la suite. Une hypothèse d’école. Laissant aux néoconservateurs* français la place chaude jusqu’en 2022. Curieusement grâce à l’assentiment du peuple, réputé libre de ses choix, par le biais des scrutins successifs. Les propos de C. Jacob à l’endroit de D. Strauss-Khan en disent plus long que les péripéties narrées dans la presse hexagonale. Qualifiés de maurassiens, exhalant de vieux fumets méphitiques pour certains, on en oublie le caractère éminemment idéologique et politique de ces assertions. Une illustration de la tentative, réussie jusqu’à présent, de ralliement du peuple, du vrai, par ses représentants, les vrais. Parce que, plus que le ciblage de D. Strauss-Khan, C. Jacob éclaire d’une lumière crue ceux qui croient encore, comme au parti socialiste, incarner le progrès. Dans cette perspective, les conservateurs se sont posé la très pertinente question : “Comment faire voter le plus grand nombre contre ses intérêts et en toute liberté ?”

Les “deux mondes” de Christian JacobQuand C. Jacob, président du groupe conservateur à l’Assemblée Nationale lance gaillardement “DSK, ce n’est pas l’image de la France, l’image de la France rurale, l’image de la France des terroirs et des territoires, celle qu’on aime bien, celle à laquelle je suis attaché”, il laboure sur un champ déjà largement défriché. Et dont il connait par avance la promesse de moisson. Ce retour au peuple par ceux qui ne le représentent pas perpétue la méthode électoraliste qui a fait ses preuves aux USA par exemple. Où les néoconservateurs républicains pour discréditer les démocrates, ne pouvant promettre le progrès, s’en remettent aux valeurs. R. Nixon en 1968 se referait à “la majorité silencieuse”. Plus tard les éditorialistes de Fox News ou des USA Today en appellent au bon sens de l’Amérique profonde. De la nation, la vraie, non pervertie par les accointances et la sophistication superflue de la vie moderne. Vitupérant contre ces moralistes embourgeoisés, ces “progressistes en Limousine” qui dispensent leurs vertus calfeutrés dans leurs banlieues cossues. En substance, l’opposition frontale de deux nations, de ceux qui triment face à ceux qui rêvent. Parallèlement en France, l’UMP par l’entremise de ses nervis (comme C. Jacob) insiste lourdement sur cette rhétorique de césure. Mais pas seulement les laquais, N. Sarkozy reprend à son compte cette posture lors de l’élection qui verra son avènement en 2007. Il écrit même dans son ouvrage “Ensemble” en 2007  “Dans les usines, on parle peu, il y a chez les ouvriers une noblesse de sentiments (…). J’ai appris à les comprendre et j’ai l’impression qu’ils me comprennent”.

En pleine résurgence du concept de populisme, C. Jacob continue le travail de sape pour les échéances à venir, comme pour celles de son mentor J.-F. Copé qui en 2017 s’y voit déjà. Et pour gagner en 2017 compte tenu des dommages sociaux infligés, il faudra une présence colossale sur le terrain des valeurs. Comme aux USA, c’est sous le prétexte des “deux nations”, en version francisée “des deux pays” ou des “deux mondes” que les neoconservateurs échafaudent une partie du projet d’accaparement et de régression sociale.

Un projet de retour aux valeurs du terroir dans une France largement dé-ruralisée mais qui garde dans son tréfonds une mythologie, issue de son Histoire, de retour à la terre. Une idéologie basée sur le fantasme d’un monarque ressemblant à son peuple. C’est à propos que N. Sarkozy cultive cette image d’acculturation, que J.-F. Copé peaufine son habitus d’homme “pragmatique”, “sans tabou”, tous deux loin des cogitations “boboïsantes” réputées hors cadre des préoccupations du Français moyen. Dans un jeu de miroir où chacun se renvoie une image de ce qu’il pense que les autres sont. Les néoconservateurs imaginant le péquin comme une entité rudimentaire. Le quidam vivant son monarque comme un alter ego amélioré de la charge des responsabilités du pays. Un excellent hiatus.

Car hiatus il y a. Quand la mère d’une famille monoparentale de trois enfants vote pour les valeurs “profondes” de la France, il lui est servi un sabrage des moyens nécessaires à l’éducation publique de ses enfants. Quand un ouvrier d’usine succombe aux promesses de la valeur du travail hérité de ses anciens, il participe aux allègements fiscaux des 10% des plus fortunés du pays. Quand le chômeur s’extasie sur les opportunités qui lui seront offertes grâce au retour des valeurs fondamentales de l’effort, il dresse lui-même sa potence, où lui et d’autres balanceront, victimes de la dérégulation du marché du travail. Mais tout cela ne s’est pas fait seul, comme une mauvaise grâce immanente, une affliction dont sont victimes les gueux. Il aura fallu, aussi, coupler à la mascarade néoconservatrice de la mythologie des “deux mondes” une démission (même partielle) des partis progressistes.

Les “deux mondes” de Christian JacobLa possibilité d’évoquer la déconnexion du monde des progressistes n’apparaît pas ex nihilo. Il aura bien fallu qu’à un moment la perception, même parcellaire des “deux mondes” s’offre à la conscience des citoyens. Que derrière un discours bien que fantasmatique des néoconservateurs, se niche une réelle part de vérité. Un fragment qu’il sera facile d’exploiter. Loin d’accréditer la thèse principale de C. Jacob sur D. Strauss-Khan par exemple, n’est-il pas permis d’émettre l’ombre d’un doute sur la capacité du dignitaire socialiste à satisfaire l’intérêt du plus grand nombre. En l’occurrence ceux qui finissent les fins de mois dans le dénuement, ceux qui voient les services publics, ces béquilles sociales, s’effilocher. On pourra rétorquer qu’il faut essayer. Mais dans ce cas la conjonction de l’habitus du personnage ainsi que l’histoire des victoires politiques de la gauche de gouvernement ne plaident pas en sa faveur. Même si sur beaucoup de points de réels succès et avancées sociales existent. Néanmoins dans le champ du possible, la pusillanimité apparaît nettement dans le discours de la gauche. Dans ses propositions, ses achèvements, mais surtout dans sa proximité avec l’oligarchie. Qu’elle soit planétaire, artistique ou technologique. Souvent dans ses pires travers, bouffie d’égocentrisme, de fatuité, qui laissent transparaitre le cynisme dans l’attitude concernée (mal) feinte de l’apparatchik. Il se penche sur le petit peuple pour lui asséner, juché sur ses certitudes du monde, mais sans son aval, sa vision du bonheur. Le bonheur vu des quartiers chics de la métropole, extrait de l’univers mondain des sachants, distillé par certains banquiers (poseurs) affublés d’“hommes de gauche”, ces poissons volants. Tout ce qui a permis d’entretenir le l’inénarrable et poisseux sobriquet de “gauche caviar”. Tout ce qui permet de nourrir la dissonance cognitive nécessaire aux “deux mondes”. L’écart abyssal entre la promesse d’une gauche populaire et ceux qui l’incarnent, quelles que soient leurs bonnes volontés.

Les figures archétypales comme C. Jacob, d’une morgue boursouflée, disposent d’un boulevard pour s’engouffrer dans la fiction de la césure des “deux mondes”. Pour scénariser un retour aux valeurs des authentiques, sorte de gardiens ; face aux philistins, sorte de nantis dépravés et nombrilistes déconnectés du réel. Un travail facilité par la cohorte des innombrables rabatteurs médiatiques ressassant la bonne parole cocardière. Mais oeuvrant pour la même cause, leur cause, celle des dominants. Dans ce tohubohu qui invite la multitude à se sacrifier, à conspirer contre ses intérêts, et à se rendre aux urnes en total assentiment. Car ce qui importe dans l’absolu du brouhaha des démocraties électives, c’est le décompte final des voix.

*Entendre ultralibéraux, c’est à dire forcenés de mythologie entrepreneuriale et régressifs sur les aspects sociaux

Vogelsong – 17 février 2011 – Paris


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