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Même au Barheïn souffle le vent de la révolution

Publié le 19 février 2011 par Jplegrand

 

Et à Barheïn, que se passe-t-il ?

Dans plusieurs pays arabes, après la Tunisie et l'Egypte, les peuples s'organisent et entrent dans des luttes politiques qui semblaient encore impensables il y a quelques mois. Au Barheïn, petite île d'un million d'habitants,  l'existence d'une classe ouvrière non négligeable et durement exploitée, une lutte pour les libertés démocratiques  réprimée ces dernières années, l'existence d'organisations marxistes sont des facteurs favorables à un soulèvement populaire. Je publie ici les  l'analyses de l'Atlas alternatif de Frederic Delorca et celle d'un journaliste de  RFI, Olivier Da Lage

Bahrein : vent de révolution aux abords de la base de la 5ème flotte US

Alors que les mouvements populaires démocratiques se multiplient dans le monde musulman (mais sans toucher pour autant tous les pays), les grands médias français et occidentaux mettent surtout l'accent sur le cas de la Libye où la répression aurait fait plus d'une cinquantaine de morts (loin encore de 200 morts de la répression en Egypte).

La version électronique du Monde ce matin faisait sa "Une" sur ce pays et les 6 morts d'affrontements au  Yémen.


Il fallait cliquer pour apprendre plus loin ce qu'il se passait au Bahrein, à propos duquel le journal expliquait : "La journée de vendredi, consacrée aux obsèques de quatre chiites tués la veille dans un raid des forces  de sécurité, a tourné au bain de sang. L'armée a tiré sur un millier de  personnes qui voulaient reprendre un sit-in à Manama. Au moins 26 blessés ont  été hospitalisés, dont un "en état de mort clinique" selon un député  d'opposition."


Sur cette page le journal développait aussi des nouvelles sur l'agitationen Irak, à Djibouti, en Iran, au Koweit.

Le Figaro et Libération titraient aussi sur la Libye avec une mention plus modeste du Yémen et du Bahrein alors pourtant qu'Al Jazeera en anglais dès le début de la matinée citait un médecin de l'hôpital de Manama qui expliquait que les services étaient remplis de blessés et que l'armée de ce pays visait le manifestants à la tête. Les nouvelles du Bahrein n'ont fini par prendre place dans l'actualité française que lorsque le bilan de la répression de la nuit du 18 au 19 février a été diffusé par les agences.


La situation au Bahein est la mauvaise nouvelle qui vient compenser la bonne que serait pour les Occidentaux la chute du régime imprévisible du colonel Kadhafi. Cet émirat à majorité chiite mais dirigé par des sunnites est en effet une base importante de la 5ème flotte militaire des Etats-Unis d'Amérique. Ceux-ci ont appelé à la retenue dans le déploiement de la force, mais sont en réalité bien embarrassés par cette révolte. Car, si en Tunisie et en Egypte l'armée a pu préparer le chemin d'une transition politique, au Bahrein elle peut difficilement présenter la moindre option alternative puisqu'elle est dirigée par des officiers sunnites qui ne peuvent que perdre leur poste si la majorité chiite actuellement marginalisée venait à obtenir plus de droits. En outre une victoire des chiites au Bahrein pourrait encourager la minorité chiite d'Arabie Saoudite à faire valoir aussi ses droits.


L'impasse politique du Bahrein pourrait déboucher, selon une dépêche d'agence diffusée ce samedi sur une intervention militaire des Etat du Golfe persique. Les six ministres des affaires étrangères du Conseil de coopération du Golfe (qui couvre 45 % des réserves pétrolières mondiales) ont renouvelé leur soutien au régime de Manama.

Depuis 2008 le gouvernement du Bahrein attribue les revendications des chiites à une manipulation iranienne, mais celle-ci a été démentie notamment par les cables diplomatiques étatsuniens révélés par Wikileaks.

Malgré la brutalité de la répression de la nuit, les manifestants avaient repris la place Pearl à 13 h et les principaux syndicats ont appelé à une grève générale dimanche. La dynastie des Al Khalifa qui dirige le Bahrein peut-elle basculer ou Washington imposera-t-il un compromis politique qui préserve ses intérêts dans le Golfe ?

A l'heure où Obama vient d'opposer une fois de plus son véto au projet de vote par le conseil de sécurité d'une résolution qui condamne la colonisation des territoires palestiniens, au risque de mécontenter à nouveau ses alliés arabes, il lui faut absolument juguler toute source d'instabilité dans les monachies pétrolières.

A Barheïn, le feu couvait sous la cendre

Publié dans Moyen-Orient par odalage le 16 février 2011

L’opposition bahreïnienne avait choisi la Saint Valentin pour en faire son jour de colère, à l’instar de ce qui s’est fait les semaines précédentes en Tunisie et en Égypte. Il n’en fallait pas davantage pour que l’on évoque une contagion tuniso-égyptienne aux monarchies pétrolières du Golfe. Mais le cas de Bahreïn est bien particulier.

Deux morts en deux journées de manifestations, le bilan de la répression de la « Saint Valentin rouge » de Bahreïn la met d’emblée au niveau de la Tunisie et de l’Égypte. A l’échelle de cet émirat d’à peine plus d’un million d’habitants (1,2, selon la dernière estimation), cela représenterait 130 morts pour l’Égypte et 17 morts pour la Tunisie. Et il ne s’agit pas de décès accidentels au cours de violences marquant les manifestations. Non : ces jeunes victimes (notez bien : comme en Tunisie et en Égypte, ce sont les jeunes qui sont à la pointe du combat) sont mortes parce que la police a tiré à balles réelles sur la foule pour la disperser. Dans ce petit royaume à la réputation libérale en Occident (ce qui veut dire que l’on peut y acheter de l’alcool et que les femmes ne sont pas obligées de se voiler), on ne plaisante pas avec la contestation.

On remarquera aussi que pour l’heure, rien de tel ne s’est passé au Koweït, au Qatar, aux Émirats arabes unis, en Oman ou en Arabie (en Arabie, cela pourrait venir, toutefois). C’est que, s’agissant de Bahreïn, l’expression monarchie pétrolière est historiquement juste, mais factuellement inexacte désormais. C’en effet à Bahreïn que l’on a trouvé pour la première fois du pétrole en Péninsule arabique. C’était en 1932 et la nappe est désormais épuisée, l’économie du royaume vivant du commerce et des services, un peu de l’industrie, mais surtout, de l’aide financière de l’Arabie Saoudite. Bref, le Bahreïn d’aujourd’hui n’est pas une « riche monarchie pétrolière ». Il y a des pauvres, des travailleurs, des jeunes aux chômages. Ils ne sont pas contents, et ce n’est pas d’hier.

Comment oublier que de 1994 à 1999, l’émirat (ce n’était pas encore un royaume !) a été secoué par une insurrection durement réprimée qui a fait près d’une centaine de morts en cinq ans ! Elle n’a pris fin que parce que l’actuel roi Hamad Al Khalifa, accédant au pouvoir en mars 1999 après le décès de son père Isa, a choisi de libérer les prisonniers politiques, de décréter une amnistie permettant le retour des exilés, de rétablir la constitution et la vie parlementaire (quoique de façon beaucoup plus restrictive que la constitution initiale promulguée en 1973) et d’autoriser le pluralisme politique. Les partis en tant que tels sont interdits, mais les associations ne le sont pas et elles en jouent le rôle. Des nationalistes nassériens aux islamistes sunnites ou chiites, en passant par les anciens communistes et les « indépendants », tous peuvent faire de la politique sans craindre la redoutée police secrète formée et encadrée par les Britanniques qui, trois décennies durant, a semé la terreur.

La nouvelle chambre élue a des pouvoirs restreints, le roi, en pratique peut faire ce qu’il veut, mais chacun se dit prêt à la réconciliation et ça marche à peu près jusqu’à l’année dernière. Mais pour des raisons que je n’ai pas encore comprises, les mauvaises habitudes reviennent en masse : naturalisation massive d’Arabes sunnites (Syriens, Yéménites, Jordaniens…) pour « rééquilibrer » le corps électoral. Ai-je dit que la population de Bahreïn était chiite à 70 % et dirigée par une monarchie sunnite depuis la fin du XVIIIe siècle (ou le début du XIXe selon la date retenue) ? Alors j’ai eu tort, car ce simple fait est à l’origine de toutes les crises traversées par l’émirat, que ce soit sous la domination britannique ou après l’indépendance en 1971. On voit le retour en force de l’influence de l’oncle du roi, cheikh Khalifa, premier ministre depuis l’indépendance et homme à poigne. Sous son influence, notamment, les membres de la famille royale accaparent les contrats les plus rémunérateurs ce qui les fait entrer en concurrence (déloyale) avec la caste des marchands. Enfin, la police se remet à traquer les opposants et des procès douteux pour atteinte à la sûreté de l’État sont déclenchés contre certains d’entre eux.

Les facteurs de crise sont les suivants :

  • Une population majoritairement chiite dirigée par une dynastie sunnite venue d’ailleurs ;
  • Une population majoritairement autochtone (62,4 % au recensement de 2001, sans doute moins à présent) ;
  • Un pays relativement pauvre où il existe une classe ouvrière, une classe de fonctionnaires compétents et éduqués, et une classe marchande dont certains membres se considèrent comme spoliés par la famille régnante ;
  • Une aggravation de l’écart de richesse entre la classe dirigeante, associée à la famille régnante, et les plus pauvres, souvent au chômage ;
  • Une répression accrue contre les opposants politiques, accusés de faire le jeu de puissances étrangères (en l’occurrence l’Iran).

En fait, tous ces facteurs se recouvrent assez largement, car les travailleurs (ou chômeurs) sont majoritairement chiites et tous se plaignent du rétrécissement du champ politique au bénéfice quasi-exclusif des soutiens du pouvoir. Contrairement à ce que l’on a pu lire ou entendre, même si les manifestants scandaient des slogans hostiles à la dynastie des Al Khalifa, la plupart des opposants savent pertinemment qu’il n’existe pas à l’heure actuelle d’alternative crédible à la monarchie au pouvoir. Ce que demande l’opposition, c’est tout simplement un fonctionnement réellement démocratique de l’État. Le régime n’est donc pas menacé, à moins qu’il se cabre dans son refus d’entendre ces demandes.

Dans ce contexte, les tensions internes de Bahreïn, même invisibles aux yeux de ceux qui ne veulent pas voir, étaient bien réelles, mal éteintes, et le feu ne demandait qu’à reprendre au premier souffle de vent. Il est venu de Tunisie et d’Égypte.

Olivier Da Lage


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