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Beady Eye – Different Gear, Still Speeding : comment repartir plus vite que sa musique

Publié le 20 février 2011 par Darksroker

Beady Eye – Different Gear, Still Speeding : comment repartir plus vite que sa musique

Beady Eye – Different Gear, Still Speeding : comment repartir plus vite que sa musique

Nothing ever lasts forever.

Parfois je m’y revois. Je suis comme des milliers d’autres tassé au milieu du domaine de Saint-Cloud, encrassant mes asthmatiques poumons d’hectolitres de poussière, attendant fébrilement les premières notes de l’enregistrement de Fuckin’ In The Bushes et guettant l’apparition d’une parka hideuse avec un type dedans, prêt à prendre un des plus gros kifs musicaux de ma courte vie. J’attends. Vingt minutes, ou deux heures même. Le jour s’est fait la malle. Ca s’impatiente. Une esquisse de batterie trône bêtement au fond de la scène. Le doute. Ca se jauge du regard dans le public. Et puis… Un petit bonhomme bien franchouillard surgit des coulisses. Quelque part, au fond de moi, une voix, un neurone, une synapse a immédiatement compris que c’est fini pour toujours. L’Histoire a choisi mon concert. Je ne verrai pas Oasis ce soir.

C’était Rock en Seine, en août 2009. Il peut s’en passer, des choses en un an et demi. Ou pas. Quand on s’appelle Noel Gallagher, on peut tout à fait prendre goût à la retombée du soufflé et s’éclater tous les jours entre le talc et les espadrilles. Le Bon Père de Famille est heureux. L’immense songwriter des années 90, lui, s’est pendu dans la grange. Silence radio : il n’y a guère plus de noise, et encore moins de confusion. La légende attendra.

En revanche, lorsqu’on s’appelle Liam Gallagher, et qu’on ne se sent pas l’âme d’un Charles Ingalls comme son ours de frangin à qui l’on n’adresse plus la parole, on peut avoir l’envie, très étrange, de continuer à faire de la musique. Pour comprendre pleinement ce qui motive le plus-si-jeunot à relancer aussi vite la machine, on peut se remémorer les circonstances du split du groupe : un éternel chanteur frustré qui tente de grattouiller dans son coin avant de subir les sarcasmes de son artiste de frère, une guitare en miettes et un retour furieux en Eurostar. Bien sûr, Liam sait écrire des chansons. Mais sous l’ère Oasis, ses meilleurs travaux comme Born On A Different Cloud ou I’m Outta Time pèsent bien peu dans la balance face à la plâtrée d’hymnes générationnels pondus par son frérot. Qu’importe. Quand le cadet se lance dans l’aventure Beady Eye, il met une ardeur toute juvénile à la tâche : c’est The Rain à nouveau, son groupe de garage adolescent qui revit au travers de cette formation « Oasis moins 1 ». En effet, Gem Archer, Andy Bell et Chris Sharrock acceptent de rempiler avec our kid pour une durée indéterminée ; à eux quatre, ils rempliront bien un album. Pendant la composition des chansons et l’enregistrement à la hâte de la future galette, Liam arrose la presse de ses traditionnels gargarismes mégalos à base de « meilleur album de tous les temps », et de « fookin’ rock and roll man ». Mais le costume est maintenant trop grand pour lui, et parfois, au fil des interviews, l’arrogance de surface se craquelle pour laisser place à une sorte de nonchalance vaguement modeste, surtout évitante. Du bon vieux rock, dit-il ? Message reçu : l’album n’est peut-être pas si révolutionnaire. La communication est terriblement hésitante : Bring The Light, le tout premier son très vintage du groupe, sort en automne en téléchargement gratuit. L’accueil du public est très mitigé. Alors, on laisse filtrer que la chanson ne fera pas partie de l’album. Et puis, en fait, si. C’est évident, il y a quelque chose de cassé : il suffit de lancer la moindre vidéo Youtube ou de jeter un œil à la page Facebook du groupe pour constater que les commentaires négatifs et les appels à l’abandon foisonnent. Beady Eye ne se fait plus d’illusions, il va falloir compter sur l’indulgence des fans de la première heure, et bouffer de la vache enragée avant de retrouver les sommets. Pour peu qu’on les retrouve un jour.

Jusque dans son titre, Different Gear, Still Speeding implore son public d’y aller mollo sur la marchandise. Oasis, c’est terminé, Beady Eye c’est… « Différent ». Attention, néanmoins, différent ne veut pas dire original. Il était bien sûr évident qu’il ne fallait pas attendre une révolution sonore de ce premier alboum, connaissant les procédés assez standardisés dont Oasis s’était copieusement gavé pendant toute son existence. Mais l’ultime opus des lads de Manchester, Dig Out Your Soul, en dépit de sa tracklist inégale et de ses errements de fin d’album, avait proposé en 2008 un son psyché qui augurait d’un futur diablement intéressant pour les empereurs de la britpop. Certes, deux ans plus tard, DOYS accuse le coup et le potentiel de ré-écoutabilité de ses pistes demeure somme toute assez pauvre. Mais le disque garde une ambiance particulière, une trame narrative qui se tient, avec ses fondus bien maîtrisés et ces adorables petits bruits aléatoires entre les morceaux qui sont la marque de fabrique d’Oasis. Quelques morceaux comme Falling Down, sans être d’une créativité messianique, proposaient tout de même de nouvelles pistes d’exploration dans la composition noelienne.

Avec Beady Eye, il ne faut pas y compter. Malgré le travail conjoint de trois amis pleins de bonne volonté, la qualité de la composition chute de plusieurs crans, emportant avec elle l’excitation de découvrir un nouveau groupe lorsqu’on comprend vers la quatrième piste que non, on n’entendra rien de neuf. Évidemment, on n’attend pas des quatre compères du progressif transcendantal, et ce n’est pas ce que l’on souhaite d’ailleurs. Mais la gêne s’installe lorsqu’on commence à se demander si les gars de Beady Eye connaissent vraiment les principes de break ou de middle eight, ces notions basiques de composition qui consistent à casser la mélodie principale d’un morceau en se baladant vers d’autres horizons de tonalité, afin de rendre le retour au refrain d’autant plus puissant et jouissif. Dans le cas de The Roller, le single emblématique du skeud et meilleur morceau du lot à mon goût, on apprécie l’efficacité des gimmicks lennoniens, cette batterie rebondissante et cette montée en puissance festive sur le refrain, et l’on se prend même à chantonner avec plaisir. Un solo joyeux fait l’affaire pour éviter l’essoufflement, mais justement, l’impression de facilité reste omniprésente. Et la réécoute devient vite fastidieuse : la chanson tourne en rond. Une réussite à consommer donc avec extrême modération. En parallèle, Four Letter Word (ne cherchez pas bien loin, « you guess my meaning ») s’essaie à sa manière à l’exercice du single rock monoriff que Noel se sentait obligé de refourguer à chaque CD, mais reste sagement dans les rails de couplets pas si entraînants, qui alternent avec la répétition d’une épuisante virgule guitaristique en mode chute de l’empire romain. Les paroles indiquent d’ailleurs assez clairement un coup de coude dans les côtes assez appuyé à l’attention du brother. Mais dans le même esprit, sur Bring It On Down, piste assez méconnue du mythique Definitely Maybe, Noel fournissait déjà avec une mélodie très similaire un rock autrement plus nerveux.

Beady Eye possède un potentiel palpable, notamment parce que le groupe carbure à l’optimisme primesautier. Effectivement, le disque serait une assez bonne surprise si nous avions à faire à quatre sémillants vingtenaires présentés par Tania Bruna-Rosso au Grand Journal de Canal. La chroniqueuse ferait alors glisser sur la table les EP de la petite merveille vers un Philippe Manœuvre réjoui avec en fond, des extraits de Standing On The Edge Of The Noise… Bon, non, peut-être pas celle-là, m’enfin, vous comprenez mon image. Seulement voilà, la moyenne d’âge du groupe dépasse les quarante ans, et vu le passif de carrière conséquent des membres, on est en droit d’attendre autre chose que cette collection de clichés du rock qui sentent un peu le mimétisme d’adolescent attardé. Le potentiel susmentionné est ainsi bridé par une imagination famélique. Les morceaux possèdent des structures très similaires, le chant démarre à tel moment, et ça se termine très souvent de la même manière. Les répétitions outrancières des titres des morceaux en fade-out d’Oasis vous fatiguaient déjà sur des morceaux comme Slide Away ? Bring The Light vous en offre un exemple presque insoutenable avec des ringardissimes « Baby come on » répétés à l’infini. Maintenant, je dois être honnête : sur un plan purement musical, j’ai aimé Bring The Light à sa sortie. Je… J’avoue tout. J’ai dansé sur ma chaise quand je l’ai entendue la première fois. Tout simplement parce que son piano à la Jerry Lee Lewis a touché mon point faible d’aficionado du rockabilly ultra-rétro. Ne niez pas, vous la connaissez, cette fameuse impression quand vous tombez sur un concert de Johnny sur TF1 et que vous réalisez que l’arrangement orchestral est vraiment sympa sur cette chanson. … Non, non, t-t-t. Bon. Bref, la passion avait parlé. A posteriori, le morceau est pataud et peu écoutable. Si Liam ne se prenait pas tant au sérieux, on pourrait soupçonner une parodie, d’ailleurs une partie assez conséquente du public a cru à une immense blague au moment de sa sortie. Il n’empêche que lorsqu’on voit qu’il reste une minute trente de morceau sur trois et demie et qu’on réalise que le seul texte restant est « Baby come on », on se prend la tête dans ses mains. Puis mince, je sais pas moi… Quand les Beatles font une parodie de rockabilly, il font Back In The USSR, merde.

Pour en revenir à cette troublante panne d’imagination, j’aimerais déblayer d’en travers de mon chemin le contre-argument très pertinent qui consisterait à mettre cet article en parallèle avec ma review de Be Here Now de 2009, où je passais volontiers outre les stéréotypes des morceaux. Tout d’abord, BHN est un album sous stéroïdes qui possède une énergie rare, ajoutée à un culot monstrueux qui cherche à faire de chaque morceau un monstre de wall of sound, ce qui confère déjà une identité marquée à l’oeuvre. Ensuite, Noel avait et a encore un sens de la mélodie toujours plus fin que son frère, quoiqu’on en dise. En 1997, les paroles n’allaient pas chercher loin non plus, les structures itou, mais les envolées épiques d’All Around The World ou le pont ingénieux de The Girl In The Dirty Shirt n’ont pas d’équivalent chez Beady Eye. Quand l’atout principal que détenait Oasis fout le camp, on est beaucoup moins tolérant sur le reste, c’est mathématique. On dirait parfois que Beady Eye est conscient de ce talent bridé, et cherche de temps à autre à faire un croche-pattes maladroit au déjà-entendu. Pour exemple, Millionaire noie l’auditeur sous un blabla ininterrompu (l’une des plus grosses parlottes de l’histoire d’Oasis/post-Oasis), associé à la ligne vocale la moins instinctive possible, dans l’espoir d’insuffler un vent d’originalité à la piste. Le résultat est une chanson bordélique à l’air strictement inretenable, et qui n’offrirait d’ailleurs aucun plaisir à la rechanter. L’objectif est finalement assez évident : trancher avec le squelette-type d’autres chansons de l’album qui assènent des salves de phrases laconiques entrecoupées semblablement au-dessus d’un accompagnement souvent trop mollasson (Kill For A Dream, The Morning Son). Une certaine parano me saisit lorsque j’entends distinctement des échos de Hello Goodbye des Beatles dans The Beat Goes On, et qu’en effet on peut chanter distinctement le tube des sixties sur les couplets au rythme et à l’air semblables, avant le croc-en-jambe du dernier accord qui évite soigneusement le piège de la repompe. Une chanson plutôt agréable au demeurant, qui emprunte à la légèreté de Woman de Lennon, mais qui reste loin d’être impérissable.

La qualité des textes varie d’une chanson à l’autre, du pas mal au carrément régressif. Beatles and Stones parle d’elle-même rien qu’à travers son titre : une tribute en mode fan dumb au son curieusement Whoesque, qui fait de plus doublon avec Bring The Light. L’argument musical est faible. Les paroles expliquent grosso modo comment « I just wanna rock and roll, like Beatles and Stones », bordées de gimmicks casse-gueule très fifties (« mama ») qui sonnent vieillots à souhait dans la bouche de Liam. Heureux les anglophobes qui ne se concentreront pas sur la niaiserie lourdingue des paroles des ballades à bicyclette Ricoré comme For Anyone, qui parvient à être plus sucrée et gnan-gnan que la liamesque Songbird de 2002. Pour autant, on est reconnaissant à la troupe de n’avoir casé dans l’album qu’un seul des infâmes « fade away » qui vérolaient les chansons d’Oasis. The Morning Son présente même un texte plutôt spirituel, comme une excuse en dernière piste pour avoir violenté l’auditeur à base d’éléments de langage bien ennuyeux durant tout l’album. « So let it be… » Et merde.

Au fil des réécoutes, le constat est clair : Different Gear, Still Speeding est un travail torché. Il est clair que le son « épuré » n’est pas un choix artistique du groupe, mais plutôt une réticence désolante à creuser en profondeur un morceau. La compo n’est pas retravaillée, l’enregistrement n’est pas retravaillé, le son global n’est pas retravaillé. Pondre treize chansons originales en un an est un exercice ô combien ardu, et Beady Eye a privilégié l’empressement à la qualité. Les instruments « exotiques » qui pourraient varier les sonorités sont presque absents au-delà du piano et d’un petit harmonica dans l’anecdotique Wind Up Dream. Les harmonies vocales sont faiblardes, les quelques voix féminines sont même assez dissonantes. Même la voix de Liam ne fait plus tant rêver que ça. Faut-il blâmer la production ? Elle n’est pas responsable de tout ce qui ne va pas dans le disque, mais effectivement, il y a vraiment matière à se plaindre. Torchée, à l’image du reste. Les guitares sont fatalement tunées de la même manière sur tous les morceaux, une petite saturation proprette, inséparable de l’omniprésente guitare sèche ensoleillée. La batterie ? Elle fait son boulot. La basse, on la considère souvent comme la colonne vertébrale d’un morceau, mais encore une fois ici, elle est reléguée au rôle d’accompagnatrice rachitique, et par conséquent, presque dispensable dans le mix final. No groove for you. L’atmosphère musicale générale tend bien trop vers les aigus, et les morceaux perdent logiquement en profondeur. Quitte à être tarte à la crème, gageons que la très noelienne Kill For A Dream serait moins passée au-dessus de la tête de tout le monde si l’on avait daigné lui accorder un mur de son digne de ce nom. Les quelques jolis phrasés harmoniques sont galvaudés, mal appuyés, et le premier-jet ne joue pas du tout en la faveur de Beady Eye. A l’énième rock peu inspiré qu’est Standing On The Edge Of The Noise, on se dit qu’il va bien falloir varier quelque chose et l’on fiche un effet de saturation bien moche sur la voix de Liam. Identité musicale express ! Oh, non attendez, c’est mauvais.

L’album alterne constamment entre deux ambiances simplistes : le rock binaire « C’est la teuf les aminches » et la ballade qui se veut aérienne et « gorgée de soleil ». Wigwam, qui démarre comme une Dear Prudence du pauvre, fait l’offense de durer 6 minutes 40 sans réussir à nous transporter le moins du monde. Le pont d’un goût étrange débouche sur un gros pétard mouillé. La séquence interminable des « I’m coming up » part d’un bon sentiment, mais le manque de solos, de variations et de groove (bref, d’un peu de créativité) échoue à créer un leitmotiv addictif à la Hey Jude, car c’est qu’on cherche visiblement à obtenir ici. C’est trop vide, messieurs.

Soyons clairs, mon objectif n’était pas de refaire le portrait au groupe naissant qu’est Beady Eye pour la gratuité du geste. Je ne crois d’ailleurs pas l’avoir fait. Dans cet album sous-composé, sous-recherché, sous-produit, j’ai une affection toute simple pour des morceaux corrects comme The Roller, malgré sa durée de vie affreusement courte. Pour une raison que je ne saurais expliquer, j’envisage Three Ring Circus comme le rock le plus efficace du package malgré son refrain pas très sexy : « Threeeeeee riiiiing ciiiircus goin’ b’wooouuuunnnd ». Après tout, le solo est punchy, les riffs sont profondément classiques mais les variations de rythme fonctionnent assez bien. Mais le morceau en question a la chance d’être situé juste après la bidesque Wigwam, ce qui doit certainement faire ressortir anormalement ses qualités. The Beat Goes On « passe » et The Morning Son, malgré son écho agaçant, a été touché par la grâce d’une production un peu plus soignée et, en tant que dernière piste, permet à DGSS de sauver l’honneur… Oui, d’accord, on a compris l’outro. D’accord… Il reste encore deux minutes à écouter Liam ânonner « The Moooooooorning/Son has rose » ? Fu.  Stop. Ouf. En définitive, si les Beady Eye avaient su séparer le bon grain de l’ivraie (il aurait fallu un tri extrêmement drastique, évidemment), donner un peu plus d’amour à leurs compositions et prendre le temps de trouver un son à la hauteur de leurs ambitions, DGSS aurait pu être quelque chose de beau. Mais que voulez-vous, il faut croire qu’il fallait absolument lâcher la patate chaude et faire la nique à Nono dans les plus brefs délais…

Il est possible de comparer, dans le sens des paroles, Four Letter Word à un How Do You Sleep à la Lennon balancé en direction de Noel Gallagher. Merci pour lui, finalement, le Chief peut dormir sur ses deux oreilles.


© Alex pour OmniZine - L'omni-webzine des omnivores de la culture, des sports et de la geekitude !, 2011. | Permalien | Pas de commentaire


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