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ISF : le dernier cadeau du Président des Riches

Publié le 20 février 2011 par Juan
ISF : le dernier cadeau du Président des RichesNicolas Sarkozy aime son premier cercle. Il n'a pas oublié son dîner du Fouquet's. Au pire moment de l'affaire Woerth/Bettencourt, il s'indignait publiquement à la télévision de ce mépris qu'auraient les Français pour l'argent. Et voici que mardi dernier, il lance son dernier combat pour ces « happy few » : la suppression de l'ISF.
Que d'agitations...
En octobre 2008, quelques députés UMP tentèrent en vain de retirer la résidence principale de l'assiette de calcul de l'ISF. C'était bien tenté. En Sarkofrance, on a pris l'habitude, depuis la crise, de fustiger la spéculation, de crier à sa taxation, mais on se refuse d'y toucher quand frappe le patrimoine immobilier ou mobilier des bénéficiaires de l'ISF.
En novembre dernier, une centaine de parlementaires UMP avaient réclamé la suppression de l'ISF. ils croyaient bien faire. Sarkozy avait ouvert la voie pendant l'été quand, en juillet, il avait confié à François Baroin le soin de préparer une réforme de convergence fiscale avec l'Allemagne. La ficelle était très grosse : Sarkozy voulait se débarrasser de l'encombrant bouclier fiscal, dont le coût pour l'Etat ne cesse de progresser au profit de quelques dizaines de milliers de contribuables, mais qui est excessivement impopulaire. Et au passage, l'ISF devait passer à la trappe.... puisqu'en Allemagne, il n'existe plus depuis 1997. Au passage, on oubliait de nous rappeler que l'ISF allemand avait succombé au refus des autorités de réévaluer les biens assujettis à cet impôt à leur prix de marché. L'ISF, en France, porte sur les valeurs de marché, et c'est bien cela qui gêne les pontes de Sarkofrance.
En novembre dernier, le ministre du budget avait calmé les ardeurs libérales de ses collègues UMPistes. Economiquement, cette suppression aurait été une catastrophe si les 4 milliards d'euros de recettes qu'il représente n'étaient pas compensées. Or progressivement, les pistes de compensations se sont envolées : Sarkozy a d'abord refusé la création d'une nouvelle tranche de l'impôt sur le revenu. Dans son rapport sur la convergence fiscale franco-allemande rédigé pour l'UMP en novembre dernier, le député Jérôme Chartier rappelait que « Si l’Allemagne a supprimé son impôt sur le stock de capital/fortune en 1997, elle a relevé, depuis le 1er janvier 2007, le taux de la tranche marginale de l’impôt sur le revenu de 3% pour les revenus annuels nets imposables supérieurs à 250.000 euros. »
Sarkozy, ensuite, a refusé de taxer les plus-values sur les grosses résidences principales. Il l'a redit avec force le 10 février dernier sur TF1. Mais lors de cette « émission de vérité » , le candidat s'est bien gardé de parler d'ISF. Pensez-vous, il est courageux, mais pas téméraire. De telles annonces, il se les garde pour des visites de terrain bien encadrées... ou des réunions du Premier cercle, comme en janvier dernier, à Paris.
A Montmirail le 15 février, le candidat Sarkozy a donc eu le culot de profiter d'un déplacement sur la « réindustrialisation des territoires » pour prendre de court sa majorité. L'argument est désormais connu, mais faux. Sarkozy veut justifier son dernier cadeau fiscal par un souci de rééquilibrer la compétitivité économique de la France vis-à-vis de l'Allemagne : « L'Allemagne, notre principal partenaire et principal concurrent, gagne des parts de marché. Mon objectif est clairement d'harmoniser les conditions de la compétition entre l'Allemagne et la France. Toute personne à ma place devrait avoir cet objectif, ce n'est pas une question d'idéologie. » a-t-il expliqué. Second argument, l'ode au mouvement : « Je sais bien que comme pour tous les sujets, le conseil qui m’est donné, c’est l’immobilisme . On met la poussière sous le tapis mais ce n’est pas ma conception des choses ».
Expliquer que la suppression de l'ISF aide à compenser le déficit de compétitivité, notamment industrielle, entre la France et l'Allemagne est profondément malhonnête ou totalement crétin. « L'ISF a été supprimé partout en Europe, il a été supprimé par les socialistes allemands en Allemagne et par les socialistes espagnols en Espagne, a-t-il martelé. Ce que les socialistes ont compris en Europe, peut-être que la droite et le centre français peuvent le comprendre aussi ? Ce n'est pas absurde.» a expliqué Sarkozy à Montmirail. D'ailleurs, le député Chartier ne s'y est pas trompé. Dans son rapport, il mentionne bien l'ISF, mais il se garde bien de prétexter sa suppression pour des raisons de compétitivité industrielle !
Il y a quelques jours, Gilles Carrez, le rapporteur UMP du budget à l'Assemblée, avait pourtant transmis une note explicative à l'Elysée : il s'inquiète d'un relèvement de la fiscalité sur les revenus du patrimoine (dividendes, assurance vie, intérêts, plus-values mobilières et immobilières, etc) qui frapperaient plusieurs millions de Français pour compenser la disparition de l'ISF :  « L’impôt sur la fortune, m’explique-t-il, touche 560.000 personnes. Si on le supprime, on fera 560.000 heureux. Mais si en parallèle on doit faire 5 à 10 millions de malheureux, ça pose un problème. » Autrement dit, deux droites s'affrontent : celle des petits épargnants contre celle des grosses fortunes. François Baroin lui-même semblait s'être rallié à la proposition de Carrez, relever le niveau de patrimoine à partir duquel est payé l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), de 790 000 euros à 1,3 million d'euros. Ses services travailleraient aussi sur l'hypothèse d'alourdir la fiscalité des expatriés (avec la prise en compte de leur fortune mondiale, et l'augmentation de l'impôt sur les biens restés en France). Mercredi, Baroin a confié que 3 ou 4 scenarii étaient à l'étude.
On imagine que cette dernière piste ne plaira pas à l'« ami Guy » Wildenstein, collectionneur d'art, représentant de l'UMP pour la Cote Est des Etats-Unis, membre actif du Premier Cercle, et qui est au centre d'une gigantesque affaire de dissimulation d'héritage. La veuve de son père, décédée voici quelques mois, avait porté plainte contre lui, en vain. Il lui réclamait quelques 4 milliards d'euros disparus dans des fonds exotiques dont l'existence fut même reconnue par la justice française. Une autre veuve Wildenstein, sa belle-soeur, vient à son tour de porter plainte. 
De quel impôt parle-t-on ?
L'ISF rapporte gros, mais sur peu de gens. En 2010 (sur les fortunes de 2009), il a même généré 360 millions d'euros de plus que prévu : 4,46 milliards d'euros, contre 2,6 milliards en 2004 ; 3,1 milliards en 2005 ; 3,7 milliards en 2006 ; 4,4 milliards en 2007. Pour 2011, la loi de finances le prévoit à 3,9 milliards d'euros. L'ISF s'applique aux patrimoines nets supérieurs à 790.000 euros, avec des taux modestes allant de 0,55% à 1,80%. Les biens professionnels en sont exonérés. Au total, l'ISF concerne une minorité de ménages : 565.000, sur 25 millions de contribuables. 83% d'entre eux n'ont aucune personne à charge.
A droite, on brandit souvent l'exemple du ménage aux petits revenus ou retraité, qui est tombé sous le coup de l'ISF à cause de l'envolée des prix de l'immobilier sur sa résidence principale, c'est le fameux syndrome de la veuve de Carpentras et du paysan de l’Île de Ré.
Dans la réalité, ces cas sont à relativiser, comme en témoignent les statistiques fiscales rappelées par le Conseil des Prélèvements Obligatoires (CPO) dans son dernier rapport sur le patrimoine des ménages. 
Primo, le CPO constate que, depuis 2003, la proportion de ménages dans la tranche inférieure de l'ISF n'a pas varié : 28,3% en 2003 comme en 2008. On tente de nous faire croire que de plus en plus de petits contribuables se trouvent taxés par l'ISF à cause de l'inflation immobilière : c'est vrai en valeur absolu (+150.000 en 5 ans), mais faux en valeur relative. Et pour cause, « la valeur du patrimoine taxable augmente dans les mêmes proportions que le nombre de redevables ». Autrement dit, l'ISF rapporte de plus en plus parce que les patrimoines moyens et élevés se renchérissent : par exemple, la valeur totale des patrimoines imposables dans la dernière tranche de l'ISF (ie supérieurs à 16 millions d'euros), a progressé de 37 millions d'euros en 2003 à 71 millions d'euros en 2008 (+89%), tandis que le nombre de grandes fortunes dans cette tranche a progressé de 1.177 à 1.718 sur la même période (+79+). Voilà la réalité que l'on nous cache.
Secundo, la détention d'un patrimoine important s'accompagne de revenus importants : en 2008, les 280.000 contribuables taxés dans la première tranche ISF affichaient un patrimoine moyen proche d'un million d'euros, et un revenu moyen annuel de 80.000 euros. Dans la seconde tranche, 215.000 contribuables déclaraient un revenu moyen de 113.000 euros. Dans la troisième tranche, 42.500 contribuables affichaient un revenu moyen de 208.000 euros. On est loin de revenus modestes ! Les revenus moyens de toutes les tranches se situent dans le dernier décile des revenus français ! Et rappelons que la cotisation moyenne de la première tranche de l'ISF reste faible : 1.097 euros !
La loi TEPA du 21 août 2007 avait déjà réduit son rendement, grâce à l'assouplissement du bouclier fiscal (de 60 à 50%, y compris CSG et CRDS), à l'augmentation de l'abattement dont bénéficie la résidence principale (de 20% à 30%), et au crédit d'ISF en faveur des PME (durci en 2011). La même loi a également allégé les droits de succession : les héritages sont 2,5 fois moins imposées que les revenu du travail. 
En août 2008, le gouvernement a encore allégé l'ISF en prévoyant que les contribuables qui ont résidé au moins cinq ans hors de France et qui y transfèrent leur domicile fiscal, à compter du 6 août 2008, ne soient soumis à l’ISF que sur leurs biens français, pendant une durée maximale de six années.
Les opposants à l'ISF amènent régulièrement un argument : l'ISF n'existe pas ailleurs. Est-ce à dire que la France est la seule économie moderne à taxer le patrimoine ? Que nenni ! Lors de son audition à l'Assemblée nationale le 26 janvier 2011, dans le cadre des réflexions sur la réforme de la fiscalité du patrimoine, l'économiste Thomas Piketty apportait cette précision, cruciale et déterminante : ceux qui n'ont pas d'ISF ont souvent une taxe foncière plus importante : « Si (...) l’ISF présente des défauts, il n’en reste pas moins préférable à cet impôt historique sur le patrimoine en vigueur dans de nombreux pays qu’est la taxe foncière. En France, cette dernière représente un peu plus de 15 milliards d’euros – contre 4 pour l’ISF – et elle serait de 25 milliards, comme aux États-Unis ou au Royaume-Uni (...) si l’ISF n’existait pas. Est-il donc préférable d’augmenter le prélèvement de cette dernière de 5 ou 10 milliards d’euros et de faire disparaître les quatre milliards de l’ISF ? » ISF contre taxe foncière ? L'ISF a cet avantage social, complète Piketty, de considérer la possession effective des biens taxées, alors que la taxe foncière ignore si le contribuable a fini ou non de payer son bien immobilier.
Le CPO notait également :
« Ainsi, la tendance générale est à la suppression des impositions sur la détention du patrimoine, suppression effective ou programmée. En revanche, de nombreux pays n’hésitent pas à taxer spécifiquement et presque exclusivement la part immobilière du patrimoine détenu. Dans certains cas, cette forme de taxation du patrimoine y atteint des niveaux parmi les plus élevés au monde, essentiellement à travers ces impôts périodiques sur la propriété immobilière, et sont plus élevés qu’en France. Tel est le cas au Royaume-Uni (où la Council tax atteignait 22 milliards de livres en 2006), aux États-Unis et au Canada (Property tax), au Japon, et aux Pays-Bas (OZB). La Finlande a choisi de s’orienter vers ce modèle. » (cf. page 72)
Nicolas Sarkozy pensait peut-être trouver de quoi rassurer son coeur de cible électoral, une niche de quelques milliers de contribuables très fortunés, augmentée de ceux qui rêvent d'en faire partie.
L'ISF est un impôt bien plus juste que d'autres, et dont les effets sur la compétitivité économique n'ont pas été démontrée.
Ami sarkozyste, payes-tu l'ISF ?


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