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Le luxe bio en questions

Publié le 21 février 2011 par Ecocentric
Le luxe bio en questions
L’information parle d’elle-même : l’édition 2011 du salon 1.618 est annulée (1.618 est le premier salon dédié au luxe durable qui a vu le jour en 2009 au Palais de Tokyo à Paris). Il est vrai que si la première édition avait été un franc succès, l’épisode suivant avait eu plus de mal à convaincre.
Problème de formule ? Problème de positionnement ? Problème d’offre ?
Il faut dire que le salon n’était pas forcément lisible pour un public non averti. Du design de poubelle de tri à un concept d’hôtel écologique, d’un roadster électrique à des bijoux en or éthique, de la mode à la cosmétique bio, l’ambition était de couvrir l’ensemble des domaines de « l’écologie premium ».
Un projet ambitieux ne regroupant pourtant qu’une poignée d’exposants sans grand nom pouvant servir de locomotive à l’ensemble.  La sélection rigoureuse avait beau regrouper des marques pointues comme Absolution et Iroisie en cosmétique bio ou Commuun et Valentine Gauthier en mode bio, celles-ci n’ont encore qu’une notoriété relative pour le grand public.
Or un salon ne peut se construire qu’en comptant sur 2 publics bien distincts:
-   les professionnels acheteurs qui viennent rencontrer, découvrir, tester, acheter
-   les particuliers qui viennent s’amuser, comprendre, toucher, sentir, goûter
Mais 1.618 n’avait pas la taille critique pour attirer les professionnels et n’était certainement pas assez « packagé » pour les particuliers. Cette belle initiative avait cependant le mérite d’exister et il est certes facile pour moi aujourd’hui de relever les détails qui ont pu précipiter l’annulation de l’édition 2011 du salon 1.618.
Le luxe bio en questionsIroisie
Là où je veux en venir c'est à la question sous-jacente et centrale qui se pose reste la légitimité et l’avenir du thème en lui-même : le luxe durable.
Il est assez largement accepté aujourd’hui que ces 2 concepts présentés un temps comme incompatibles forment une association logique et, je l’espère, bientôt indissociable. Je ne reviendrai pas aujourd’hui sur les doutes et les questions qui se posent et je vous demande donc, convaincu ou non, de bien vouloir partir du principe que la notion de luxe durable fait sens pour le reste de votre lecture.
Toute logique qu’elle puisse paraître, l’association du bio et du luxe ne semble cependant pas systématiquement convaincre d’un point de vue commercial : l’aventure Care de Stella McCartney en cosmétique bio de luxe a certainement refroidit PPR et dissuadé les autres grands noms du luxe de se lancer dans cette voie avant un moment. Le Bon Marché, temple du luxe parisien, a annoncé la prochaine fermeture de son rayon dédié à la cosmétique naturelle et la Beauty Room du Printemps peine à convaincre (en terme de vente sonnantes et trébuchantes au m², seul critère valable pour ces enseignes). Alors que les produits certifiés bio envahissent les linéaires des supermarchés, les initiatives des acteurs du luxe ne sont pas légion et restent timides.
Le luxe bio en questionsStella McCartney
Alors que se passe-t-il ? Les consommateurs à fort pouvoir d’achat se foutent-ils tous de leur santé et de celle de la planète ? Les grandes maisons sont-elles confrontées à des difficultés techniques insurmontables pour « greeniser » leurs produits ? Est-ce que je suis le seul à encore y croire ?
Les causes sont à mon avis multiples :
-   Un problème marketing manifeste
Pour simplifier, on peut considérer que l’achat d’un produit de luxe est motivé par le plaisir. Le plaisir d’être, d’avoir, d’offrir ou de paraître.
Or la communication des produits bio de grande consommation est encore aujourd’hui principalement fondée sur la peur : peur d’un environnement irrémédiablement souillé ou peur d’effets néfastes sur la santé. La mode des « sans »en cosmétique bio (sans parabène, sans huile minérale, sans conservateurs, etc.) en est l’exemple le plus parlant.
La démarche consiste donc à vendre un produit en indiquant ce qu’il n’est pas. Il est défini par la négative et on amène le consommateur à choisir le produit certifié bio par opposition à un autre et non pas pour ce qu’il est en lui-même. Le caractère bio devient ainsi l’unique argument de vente. Or l’achat d’un produit de beauté n’est-il pas avant tout dicté par la recherche d’un effet cosmétique ?  Le choix final repose donc avant tout sur une promesse d’efficacité et non une garantie d’innocuité…
Réflexe naturel, le consommateur de produits de luxe, exposé lui-aussi à cette communication de masse,  complète alors la liste par lui-même: sans efficacité, sans actifs, sans parfum agréable, sans plaisir… et donc sans intérêt !
Les marques et les annonceurs ne sont pas les seuls fautifs : la presse et les journalistes le sont également. En isolant les produits bio pendant des années dans les pages de leurs magazines, ils ont de fait créé une frontière dans l’esprit du consommateur. Cette ségrégation induit l’obligation inconsciente de faire un choix : je consomme du bio ou je n’en consomme pas.
Autre effet secondaire : un phénomène d’amalgame pour le consommateur qui fait que la moindre déception conduit à remettre en question les produits bio dans leur ensemble. En règle générale, si l’achat d’un produit vous déçoit vous tirez un trait sur la marque, quand un produit bio vous déçoit vous tirez un trait sur le bio…
Heureusement la donne a changé et les produits bio ont acquis leurs lettres de noblesse en apparaissant en dehors des « pages vertes » aux côtés des autres produits comme il se doit et aurait dû toujours être.
Le luxe bio en questionsHonoré des Prés
-   Un contexte peu propice
Il ne faut également pas oublier que la crise a donné des sueurs froides à de nombreux acteurs du luxe, les plus fragiles ayant vacillé (l’Italie a été plus touchée que les groupes français). Il n’est donc pas illogique de constater une certaine aversion au risque des principaux acteurs pour qui défricher le marché du luxe bio n’est pas un chemin dépourvu d’embûches.
Il ne faut également pas oublier que tous leurs yeux sont tournés vers les nouveaux Eldorados du luxe, Chine en tête. Qui oserait prétendre que l’argument écologique soit un facteur de succès sur ces marchés à la consommation de luxe encore peu mature ? Et si les ventes de luxe en Europe se maintiennent, une récente étude a révélé qu’entre 30-40% des produits de luxe achetés en Europe le sont par les touristes venus d’Asie (Japon compris). Est-ce que cela signifie pour autant que le luxe bio ne pourra exister que lorsque les notions d’écologie et de développement durables se seront imposées sur la planète entière ? Pas nécessairement…  et il n’est pas non plus impossible que la conscience écologique naisse et se développe à grand train dans ces sociétés qui évoluent très rapidement.
Le luxe bio en questionsKami Organic
-   Une évolution non dénuée de risques
Le plus gros obstacle au développement du luxe bio reste selon moi la protection des positions acquises par les marques. La première maison de luxe de premier plan (j’entends par là les Chanel, Louis Vuitton, Dior, Hermès, Gucci et consorts) qui se lancera réellement, correctement (mais je leur fais confiance pour cela) et « en grand » dans le bio va irrémédiablement légitimer  le luxe durable et obliger plus ou moins ses concurrents à le suivre sur cette voie.
Mais qui aurait intérêt à légitimer le luxe bio ? Quand on s’appelle Chanel et que l’on est assis sur la rente incroyable du Chanel N°5, sur le podium des meilleures ventes de parfum depuis des décennies, pourquoi aller légitimer la parfumerie bio au risque de reléguer son best-seller au rayon des vieilleries ? Quand on s’appelle Louis Vuitton et que sa toile Monogramme (du plastique…) est reconnue dans le monde entier, pourquoi se séparer de ce produit icône ? Quand on s’appelle Hermès et que ses cuirs sont reconnus comme les plus beaux au monde, pourquoi renoncer à ce savoir-faire en adoptant un procédé de tannerie végétale aux résultats imparfaits ? La liste des « conflits d’intérêt » est sans fin.
Le luxe bio en questions2moss
La démarche est plus aisée lorsque l’on part d’une page blanche, à l’image de Stella McCartney et sa ligne de soins bio Care lancée en 2006, mais beaucoup plus complexe quand il s’agit de se réinventer et s’attaquer inconsciemment aux produits qui sont à la source du succès (et de la rentabilité) de sa marque. Lancer une gamme bio apparaît en effet inévitablement comme une remise en cause de l’innocuité des autres produits, persévérer dans le non bio aujourd’hui revient au contraire à clamer qu’ils sont irréprochables et parfaitement « safe » pour l’environnement et le consommateur
.
Mais la reconversion du luxe n’est pas non plus totalement impossible. Et le premier qui bouge risque de prendre une avance considérable en construisant la légitimité et les positions qui assureront sont succès et de belles rentes à l’avenir. Ces mêmes bastions que tous essayent de protéger aujourd’hui. Alors mettre du charbon dans la locomotive du changement ou risquer de laisser passer le train ? Le dilemme du prisonnier façon direction marketing…
Mais les solutions pour préparer l’avenir sans prendre de risque existent. Et la plus simple est certainement d’acquérir des jeunes marques prometteuses qui assurent l’accès à un savoir-faire, un réseau de partenaires et une position de choix sur un marché en devenir. LVMH a ainsi commencé à placer ses billes en investissant par exemple dans la maison Edun, marque de mode bio anglaise créée par Bono et sa femme.
Le luxe bio en questionsEdun
Alors quel avenir pour le luxe durable ?
Les principaux acteurs du luxe bio sont encore en majorité des marques de niche qui travaillent d’arrache-pied pour construire leur image et leur légitimité sur le marché du luxe. Qu’elles s’appellent Patyka, Kami Organic (anciennement filiale de Kenzo), 2moss, Valentine Gauthier, Honoré des Prés ou 66°30, ces marques prouvent qu’un luxe bio et durable, authentique et chic, raffiné et légitime est possible. Merci à eux et je pense qu'elles méritent d’avoir leur place au Panthéon des grandes maisons de demain.

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