M. Philippe Marini est Sénateur de l’Oise (Picardie) depuis 1992 et Rapporteur Général de la commission des finances au Sénat. Concernant le domaine des services financiers, il s’est investi sur de nombreux sujets, portant notamment sur le crédit à la consommation, la mobilité et les frais bancaires, la crise financière européenne, etc…
Dans un entretien exclusif accordé à Sia Conseil, il nous livre son analyse sur ces sujets d’actualité et sur les difficultés qu’il reste encore à lever.
La transposition française de la directive européenne sur le crédit à la consommation (juillet 2010) a permis des avancées en termes de protection des consommateurs, mais certains sujets de fond sont restés en suspens (absence de fichier positif, non découplage des cartes de fidélité…). Les mesures prises actuellement sont-elles suffisantes pour réduire effectivement le surendettement ? D’autres évolutions réglementaires sont-elles à prévoir en la matière dans les années à venir ?
La loi portant réforme du crédit à la consommation a été publiée le 1er juillet 2010. S’il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de cette réforme quant à l’accès au crédit et sa bonne utilisation, il convient de souligner qu’un tiers des mesures attendues est entré en vigueur en septembre et novembre 2010.
Il s’agit tout d’abord des dispositions relatives au surendettement. Nous n’avons pas de retour de données statistiques à ce jour. Cependant, nous en saurons plus sur l’impact de la loi lors de la remise de deux rapports prévus en 2011. Il s’agit tout d’abord de celui du comité chargé de préfigurer la création d’un registre national des crédits aux particuliers – autrement dit le fichier positif –, attendu le 2 juillet 2011. Un rapport de la commission d’évaluation temporaire de la loi sur les conséquences de la réforme du surendettement doit être également remis avant le 12 mai 2011. Cette commission n’a toutefois pas encore été créée…
S’agissant de l’encadrement de la publicité, on peut se féliciter que soient désormais interdites les mentions qui suggèrent qu’un crédit améliore la situation financière ou le budget de l’emprunteur. De surcroît, la publicité pour un crédit à la consommation doit mentionner de façon claire, précise et visible certaines informations à l’aide d’un exemple standardisé représentatif. Quant au crédit renouvelable, l’établissement de crédit a l’obligation de le désigner par cette seule appellation afin d’éviter toute confusion dans l’esprit du consommateur.
Les deux tiers des mesures restantes sont attendues en avril et mai de cette année. Elles visent à protéger le consommateur d’une souscription de crédit « abusive » par plusieurs mesures : un devoir d’explication, une fiche de dialogue sur le lieu de vente ou à distance, la vérification de la solvabilité de l’emprunteur et la consultation obligatoire du FICP (fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers).
S’agissant du crédit renouvelable, trois mesures essentielles, dont nous pourrons mesurer l’impact à la fin de l’année, devraient permettre une utilisation plus responsable de ce type de crédit :
- le déclenchement, par défaut, de la fonction paiement au comptant des cartes de fidélité évitera la spirale d’un endettement onéreux à l’insu du consommateur, sans avoir besoin de recourir au dédoublement des cartes ;
- l’obligation de mettre en œuvre un amortissement minimal du capital d’un crédit renouvelable tend à mettre fin au caractère permanent de ce type de crédit ;
- enfin, la fixation des taux de l’usure tiendra uniquement compte du montant des crédits, indépendamment de leur nature renouvelable ou amortissable. Les dernières évolutions des taux corroborent le bien fondé de l’initiative sénatoriale en ce domaine. Ainsi le taux de l’usure des crédits renouvelables dont le montant est supérieur à 1 524 euros a augmenté de 0,35 % ce dernier trimestre pour atteindre 19,67 % au 1er janvier 2011 au lieu de 19,32 %. Mais dans le même temps, celui des prêts personnels a diminué pour s’établir à 7,77 % au lieu de 8,15 %.
Pour finir, je crois qu’il sera possible à la fin de l’année de formuler une première appréciation sur l’impact de la loi, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. On doit naturellement se féliciter que le crédit à la consommation contribue à la croissance, mais il convient de garder à l’esprit que la réforme doit également conduire à un changement des comportements de l’ensemble des acteurs afin de tendre vers un crédit plus responsable et d’éviter toute dérive.
Vous vous êtes récemment engagé sur la question des frais et de la mobilité bancaires. Le rapport Pauget-Constans, paru l’été dernier, propose un certain nombre de mesures pour fluidifier ces aspects (dénomination commune des services courants, packages personnalisables, remise en question de la gratuité du chèque…). Ces axes de travail vous paraissent-ils efficaces pour dynamiser la concurrence ? Quels freins majeurs se heurtent encore aujourd’hui à la mobilité bancaire ?
Dans la foulée de la publication du rapport Pauget-Constans, le Sénat a examiné le projet de loi de régulation bancaire et financière. La question des frais bancaires a bien évidemment fait l’objet d’un débat approfondi et passionné ! A la demande du Gouvernement, nous avons décidé de ne pas adopter de mesures législatives contraignantes. Seul l’article 45 de la loi prévoit que le Comité consultatif du secteur financier est chargé de suivre l’évolution des pratiques des établissements de crédit ou de paiement en matière de tarifs offerts aux particuliers. A l’initiative de notre collègue sénateur de la Réunion, Anne-Marie Payet, nous avons également, si je puis dire, « mis sous surveillance » les tarifs bancaires outre-mer, mais il s’agit là d’une question bien spécifique et distincte de celle posée en métropole.
Que pouvons-nous reprocher aux tarifs bancaires ? Principalement, leur manque de lisibilité et donc l’impossibilité de les comprendre ou de les comparer entre les différents établissements. Le rapport Pauget-Constans regrettait également que la multiplication des « forfaits » ou des « paquets » conduise les clients à souscrire des services dont ils n’ont pas besoin.
Sous l’impulsion du Gouvernement, les usagers et les banques se sont réunis au sein du Comité consultatif que je mentionnais à l’instant. La liste des dix tarifs standards que toute banque doit publier en tête de sa brochure tarifaire a ainsi été établie. Depuis le 1er janvier 2011, cette liste existe effectivement mais elle n’est pas toujours aisément accessible sur le site Internet des banques. Des progrès peuvent encore être accomplis pour assurer une vraie comparabilité des tarifs bancaires.
Je crois que nous pouvons nous féliciter de ce dialogue constructif qui montre qu’il n’est pas toujours nécessaire de recourir à la loi pour faire avancer des sujets importants. Je souhaite qu’il se poursuive. Je sais, par exemple, que les banques se sont engagées à harmoniser, voire simplifier, le vocabulaire technique, si ce n’est jargonneux qu’elles utilisent.
Mais, au final, il reviendra à l’Autorité de contrôle prudentiel, dans le cadre de ses nouvelles missions de protection des consommateurs de dire si les démarches engagées ces derniers mois ont porté leurs fruits.
Le travail effectué sur les frais bancaires relève d’abord d’un impératif de transparence à l’égard du client qui, seule, permet de créer les conditions d’une concurrence effective. La mobilité bancaire pourrait progresser, d’autant plus qu’elle est inférieure à la moyenne européenne même si je doute que nous assisterons à une réelle baisse des frais. Le rapport indique que le coût des services bancaires en France est globalement moins élevé qu’ailleurs en Europe même si certains services, pris un à un, sont plus chers.
Et c’est assez logique. Le réseau bancaire français se caractérise par un grand nombre de banques commerciales doublé d’un maillage territorial relativement dense. La concurrence est déjà féroce. Or la mobilité bancaire souffre d’un frein psychologique, celui des formalités à accomplir, qui est d’autant plus grand que le gain à la mobilité est faible.
A mon sens, deux phénomènes vont animer la concurrence dans les mois qui viennent. Il s’agit tout d’abord de l’essor de la banque en ligne qui permet de limiter le coût d’exploitation et donc de baisser les frais. Il s’agit ensuite des ratios de liquidité dans le cadre de Bâle III. Les dépôts des particuliers et concomitamment leur épargne vont devenir des ressources importantes pour garantir le respect de ces ratios. Les banques auront donc une incitation très forte à attirer des nouveaux clients.
La mise en place d’une « taxe bancaire », longuement discutée au sein des instances internationales (FMI, G20…), a été adoptée en Allemagne. Mais en l’absence d’un consensus international, on semble s’acheminer vers dispositifs hétérogènes d’un Etat à l’autre (taxe sur les salaires, taxe sur les transactions, taxe sur les actifs risqués…). Ce type de mécanisme peut-il néanmoins contribuer à réduire le risque systémique et favoriser la stabilité financière ? Où en est la France à ce sujet ?
L’expression « taxe bancaire » recouvre des réalités et des concepts bien différents d’un pays ou d’une institution à l’autre. En fait, il n’y a eu aucun accord sur la finalité que nous attribuons à une telle taxe.
Par exemple, le Président Obama a présenté sa « taxe de responsabilité » – qui n’a toujours pas été votée – comme une taxe punitive. Ce projet a d’ailleurs émergé suite à l’annonce des bonus de Wall Street en janvier 2010. Elle doit permettre de récupérer chaque dollar investi par l’Etat américain dans le programme TARP pour soutenir les banques. La taxe est donc bornée dans le temps.
Les Allemands ont préféré une taxe préventive. Son produit vient alimenter un fonds de résolution des faillites bancaires. Lors de la prochaine crise, le fonds sera mis à contribution : les banques payent aujourd’hui le coût de la crise de demain.
Quant à nous, la taxe de risque systémique votée dans la loi de finances pour 2011 présente un caractère mixte. Elle a incontestablement une finalité préventive puisqu’elle repose sur les actifs pondérés par les risques. La prise de risque, mesurée d’après les critères prudentiels, est donc automatiquement sanctionnée par une augmentation de la taxation. A la différence de l’Allemagne, nous avons fait le choix d’affecter la recette au budget général car la taxe s’apparente à une fiscalité comportementale classique telle qu’elle existe, par exemple, en matière d’environnement. Elle permet d’internaliser une externalité – l’instabilité du système financier.
Comme vous le soulignez, nous assistons à l’émergence d’une certaine hétérogénéité. Mais d’une part, il faut distinguer les projets venant alimenter le débat public, comme ceux du FMI, ou même la taxe américaine et les taxes votées et qui sont ou seront mises en œuvre. Force est de constater que les taxes bancaires constituent d’abord des initiatives européennes. Et, à cet égard, nous devons plutôt nous féliciter d’une certaine convergence. L’Allemagne, le Royaume-Uni et la France ont choisi des modalités techniques différentes mais se sont mis d’accord pour éviter une double imposition de leurs institutions financières respectives. D’un coté, il n’y a pas de trou noir, de l’autre, cette nouvelle fiscalité n’est pas l’occasion d’une concurrence fiscale déloyale entre Etats membres. Les plus grandes places financières européennes en sont dotées et se retrouvent donc à égalité. C’est fondamental car la compétitivité ne peut pas se jouer au détriment de la maîtrise des risques.
En revanche, nous devons avoir conscience que les banques ne sont pas des « vaches à lait ». Elles ont désormais des obligations prudentielles renforcées. Ne perdons pas de vue que les banques doivent continuer à financer l’économie. Maîtriser les risques sans asphyxier le canal du crédit, voilà l’équilibre délicat que nous recherchons.
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