Dans Le Monde d’hier, un article percutant du psychiatre Christophe Dejours, spécialiste de la souffrance au travail, alertait sur les éléments de la gestion des entreprises qui accroissent cette souffrance. Parmi eux il en est un qui fait écho au vécu de nombreux chercheurs :
“Parmi les outils de gestion, on a montré que le plus délétère de tous pour la santé mentale est l’évaluation individualisée des performances. Couplée à la menace sur l’emploi, cette méthode d’évaluation se mute en management par la menace. Elle introduit la peur comme méthode de gouvernement, et elle monte tous les travailleurs les uns contre les autres, déstructurant ainsi les solidarités et le vivre-ensemble. La solitude et la désolation se sont abattues sur le monde du travail, aboutissant à une détérioration tellement profonde des relations de travail que certains finissent par se suicider sur les lieux mêmes de leur activité.
En exaltant la performance individuelle, les nouvelles méthodes de gestion ont déstructuré le travail collectif. L’augmentation des pathologies de surcharge (burn-out, karôshi(mort par excès de travail), troubles musculo-squelettiques, dopage) montre que les gens travaillent de plus en plus, cependant que la productivité baisse. C’est que les ressorts de la coopération ont été systématiquement ignorés, alors que le capital de coopération accumulé par la culture a été pillé sans être renouvelé.”
Sans doute la situation dans certaines entreprises est-elle d’un autre niveau par rapport à ce que l’on connaît dans les laboratoires. Mais à la lecture de cet article, on ne peut que frémir quand on constate combien la culture managériale que Christophe Dejours combat est bien celle qui est mise en oeuvre dans les universités et laboratoires. On peut encore lire, sur le site du Premier Ministre, un communiqué sur la “revalorisation des carrières des enseignants-chercheurs” où l’on trouve cette phrase typique : “Le plan met en place une politique, nouvelle, de rémunérations individualisées via de fortes primes, afin que soit mieux reconnue la qualité pédagogique et scientifique des enseignants.” Ce plan est détaillé par Valérie Pécresse , qui affirme : “C’est pourquoi, je veux : Passer d’une logique de parcours indifférencié à la reconnaissance des qualités individuelles, valoriser l’engagement professionnel et l’excellence”
Ces écrits datent du 20 octobre 2008. Quelques jours plus tard, le gouvernement diffusait un projet complémentaire de décret sur la modulation individuelle du service des enseignants-chercheurs. On connaît la suite : les universités ont connu le mouvement de grève le plus long de leur histoire.