J’ ai été récemment invité à témoigner, dans le cadre d’une émission de France Inter (voir références en fin de billet), sur l’intérêt de l’expérience Suédoise en matière de lutte contre l’exclusion, le chômage et la pauvreté. Il est vrai que depuis une quinzaine d’année, et après une période difficile au début des années quatre vingt dix, la Suède réussi objectivement sur ces questions beaucoup mieux que la France. Il n’est donc pas inutile de regarder ce qui s’y passe : le taux de chômage y est nettement plus bas, la pauvreté, l’exclusion ne prennent en aucun cas les formes manifestes, violentes, inquiétantes telles que nous les vivons chez nous et surtout et c’est pour moi le point capital, la confiance en l’avenir y est considérablement plus forte : la peur d’être laissé sur le bord du chemin n’est manifestement pas une inquiétude collective …
Et pourtant ….
Et pourtant la Suède est un petit pays de neuf million d’habitants, sans richesses naturelles particulières. Depuis des décennies, pour rester compétitif au plan international, il a été contraint, plus massivement encore que la France de renforcer toujours plus la performance de son économie et la productivité de ses emplois : les réformes, les transformations du marché du travail y ont été plus massives, plus violentes, plus radicales qu’en France. Les pouvoir publics (socio-démocrates) n’ont pas hésité au cours de la dernière décennie à sacrifier des pans entiers de l’économie, là ou ils considéraient que les emplois – dans le secteur public notamment – n’avaient pas d’avenir et représentaient plus des coûts pour la société que des sources de création de richesse par l’exportation.
Comment alors expliquer que le regard subjectif que les sociétés françaises et suédoises portent sur la mondialisation et ses conséquences - opportunité pour les suédois, menace les français- soient si diamétralement opposés ?
Pour moi, ces deux pays se situent sur deux polarités opposées en matière de façon de penser la société. La France représente ce que l’on peut appeler une société verticale. C'est-à-dire une société dans laquelle les échanges significatifs sont ceux qui, dans les représentations collectives ont lieu entre un (supposé) « sommet » et une « base ». La hiérarchie (là encore supposée) des talents, des statuts, des rangs, continue à y jouer un rôle important. Les rapports sont perçus comme asymétriques et lorsque deux acteurs sont amenés à coopérer ( un manager et son collaborateur, un élu et un administré,…) l’un est supposé avoir le pouvoir, l’autre pas. La conséquence principale de cette façon de voir les choses, c’est que tant que le « sommet » ne bouge pas, rien ne bouge parce que « en bas » on attend son signal.
La Suède est au contraire un modèle relativement abouti de société horizontale : les relations significatives sont celles qui se déroulent entre pairs c’est à dire à l’horizontale entre acteurs supposés détenir le même pourvoir, le même rang , la même capacité à participer à la décision parce que chacun est porteur d’un talent spécifique avec lequel il contribue au travail collectif. Ceci s’observe très nettement dans l’entreprise, où au fond, le bon manager est d’abord celui qui sait faire émerger l’intelligence collective de l’équipe. C’est aussi très nettement manifeste dans l’enseignement, où, des l’école primaire l’écolier suédois apprend que l’instituteur n’a pas le monopole du savoir et est encouragé à s’appuyer sur ses camarades pour apprendre et progresser.
Dans un tel système, le citoyen fait très tôt l’expérience qu’il est naturellement en capacité d’avoir une influence sur le cours des choses. Certes , son influence est partielle, effective seulement si elle s’agrège intelligemment avec celle des autres, mais, en aucun cas, elle ne dépend du bon vouloir d’une autorité que se situerait au dessus.
Dans le système français, en revanche, ce sentiment d’autonomie, de confiance que je peux influer sur les décisions collectives – et en particulier sur celles qui me concernent – est sans doute moins présent. Ce qui à mon sens génère plus de doutes, plus d’insécurités et au total une moins grande confiance en la capacité que chacun a en lui à trouver les moyens de s’en sortir.
La société française est elle alors condamnée à rester sur cette position finalement défensive ?
Je ne le crois pas. La caractéristique d’une société horizontale est le rôle qui joue son « sommet ». A partir du moment où celui accepte de s’ouvrir aux influences extérieures, accepte qu’il y ai, en son sein du débat et une représentation de la diversité des sensibilités de la société, c'est-à-dire qu’il soit lui-même à l’image de la société dans son ensemble, alors il devient vecteur de changement puissant. Les transformations se font alors finalement plus vite même que dans les sociétés horizontales qui peuvent parfois se perdre dans une forme de conformisme générée par la recherche sans fin de consensus.
références : il s’agit de l’émission « rue des entrepreneurs » diffusée sur France Inter le samedi 12 Janvier 2008 de 9h10 à 10h00 et accessible sur internet.
www.radiofrance.fr/franceinter/em/ruedesentrepreneurs/pres.php