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Facebook ou le monde bisounours

Par Argoul

Article repris par Medium4You.

Énorme succès de Facebook, et pas seulement pour son côté fesses, même si le site a été créé au départ par l’infantile Zuckerberg pour classer les thons et les sexy de Harvard. Sait-on que le pays qui utilise le plus ce réseau social planétaire est l’Indonésie, juste après les États-Unis ? D’ailleurs un couple égyptien vient de prénommer sa petite fille Facebook… Dans un étonnant article de la revue ‘Le Débat’ (n°163, janvier-février 2011), Jérôme Batout propose une analyse du phénomène Facebook.

Facebook ou le monde bisounours
Vous me direz : ‘encore ‘Le Débat’ ? Qu’y puis-je si cette revue me fait penser ? Ce n’est ni dans la presse papier indigente, ni dans la télé poubelle, ni dans l’Internet du n’importe quoi que l’on trouve de quoi « penser ». Les médias se délectent de « petites phrases » et de pipoleries bien racoleuses parce qu’ils ne savent plus vendre de la réflexion. Peut-être le public n’en veut-il plus, de cette réflexion ? Ce serait se remettre en cause, introduire du conflit dans l’irénisme des jours – pas « cool », ça.

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Le réseau social s’est développé clairement sur les antagonismes : « conflit sentimental entre Mark et sa copine Erika ; conflit d’affaires entre Mark et les jumeaux Winklevoss qui l’attaquent en justice pour avoir volé ce qu’ils considèrent comme leur idée. Conflit entre Mark et son « ami » Eduardo, qui attaque Mark en justice pour l’avoir évincé de la société qu’ils avaient fondés ensemble. »

Or Facebook n’est fondé que sur la notion « d’amis ». Ce sont les seuls liens permis. Ceux qui vous gonflent sont tout simplement « supprimés », voire « bloqués ». « Toute manifestation conflictuelle y est méthodiquement stérilisée, neutralisée : les utilisateurs sont encouragés à « signaler » tout contenu qu’ils trouveraient inapproprié (textes, photos, etc.) ». Facebook apparaît donc moins comme un réseau social que comme une utopie sociale où le conflit ne saurait exister. Un monde bisounours, comme aiment à dire Hubert Védrine et François Hollande. Tout conflit est évité et, lorsqu’il devient trop grand, on se sépare radicalement.

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C’est probablement un trait culturel propre aux États-Unis de gommer ainsi les conflits entre les gens. Pays optimiste où tout est possible, dit-on, il s’est fondé sur le massacre des Indiens et sur la domination du Nord anglo-saxon contre le Sud latin par la guerre civile dite chez nous « de Sécession ». Mais cachez ce sein que je ne saurais voir ! Le monde américain est celui du sourire publicitaire, de l’amitié obligée (overfriend), de l’univers rose à la Disney où les ours sont des peluches et les loups d’aimables compagnons. Terre promise réalisée, nous sommes le paradis sur la terre, veulent croire les Américains, we are the world ! Utopie mondiale tant les conflits locaux, tribaux, ethniques, religieux, géopolitiques sont une gangrène qui renaît ici ou là. Utopie promise par toutes les grandes religions et toutes les grandes utopies politiques (comme le communisme) que d’être « tous frères » dans un Éden sans conflit ni contradictions.

Lorsque la démocratie est avancée, tout conflit paraît une offense. Les sondages le constatent, celui qui dit non est aujourd’hui le trublion ; les blogueurs le constatent, la grande affaire des commentateurs est « d’être d’accord » avec celui qui écrit la note. Faire penser, bousculer les idées reçues, provoquer la réflexion, tout cela répugne : il faut faire un effort, un compromis, alors qu’il est tellement plus facile d’éviter. Quiconque engage le débat est perçu comme un fâcheux qui « prend la tête ». Alors qu’il est plus simple de ne rien dire pour paraître « cool ».

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Je considère pour ma part que le conflit est inévitable entre les êtres parce que chacun est unique, donc « inégal » par un quelconque trait aux autres. Ces disparités de fait n’empêchent nullement l’égale dignité en respect et en droit, mais engendrent inévitablement des désaccords. Autant en parler, les mettre à plat, négocier les divergences pour les accepter en partie. Ainsi fonctionne le couple, les relations en entreprise, les équipes de sport, la politique. La démocratie s’est fondée sur le débat à l’agora. Éviter le conflit fait monter la pression jusqu’à la rupture. Ne pas dire encourage le non-dit qui débouche sur la paranoïa et le Complot.

Neutraliser le conflit n’est pas le résoudre, c’est le laisser pourrir, souvent au profit de solutions radicales ou de politiques totalitaires. Est-ce qu’on « supprime » un pays de la carte parce qu’il n’est pas d’accord avec nous ? C’est pourtant ce que chaque fessu-bouc opère pour son propre compte avec ses liens abusivement qualifiés « d’amis ». C’est ce que Staline a opéré à grande échelle contre tous ceux qui n’étaient pas conformes. Et Mao par sa révolution dite « culturelle » (où les intellos allaient cultiver les champs…). Et Pol Pot qui a massivement vidé les villes avant de sélectionner les moins rééducables (parfois à 12 ans) pour les éliminer. Pourtant, dit l’auteur, « la divergence de vues est une richesse qui, loin de déboucher dans la guerre, est (…) le ressort de toute réalisation à l’intérieur du sujet comme au sein de la société. »

Il dit aussi : « Facebook est le site d’une génération, et possiblement d’un monde, pour lequel la dimension de la contradiction, de l’adversité, du conflit, est tenue dans une sorte de refoulement, d’évitement et de déni. » On peut se demander quel sera l’avenir d’un tel monde. Ne pas désirer connaître, ne pas voir, s’isoler ? La distinction nette entre « amis » et « supprimés » tend à former des communautés fermées, exclusives, où l’on reste entre soi. Des ghettos de riches ou de handicapés de la vie, qui recherchent le cocon des semblables pour être bien au chaud, unanimes, tous « d’accord ».

Cela conduit inévitablement à la loi du plus fort, du plus impitoyable, celui qui ne prévient pas et qui attaque pour éliminer. L’exemple du colonel Kadhafi, au pouvoir depuis 1969 (42 ans !) montre comment l’unanimisme « révolutionnaire » qui se dit « socialiste » fait de chaque communautariste celui qui « supprime » de son book tous ceux qui lui déplaisent.

Né après le 11-Septembre, Facebook amplifie peut-être un trait de l’Amérique, dont on se moquait encore dans les années 1980 : « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ». D’où le syndrome de forteresse assiégée des États-Unis depuis, obsédés de contrôles et de technologies militaires à la pointe pour protéger le paradis des bisounours contre les méchants du monde extérieur. Que devient la démocratie dans tout ça ? Et surtout l’avenir ? Celui de Hobbes ?

Jérôme Batout, Le monde selon Facebook, in ‘Le Débat’ (n°163, janvier-février 2011), pp.4-15



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