Mon ami Demay, qui commente parfois les blogs, mais qui ne se résout pas à créer le sien (dommage pour nous !), m'adresse, comme à son habitude, "un coup de gueule" . Cette fois, il s'agit de la gestion de notre diplomatie. Il est vrai que c'est un monde dans lequel il a évolué, en Asie et en Afrique, durant 10 ans. Il sait donc de quoi il parle. Merci à lui pour ce billet aussi intelligent que révolté et documenté.
La diplomatie française est sous le choc. Elle intègre, comme elle l’a toujours fait, les revers et les insultes venant de toutes parts. Mais ce ne sont plus des insultes qui honorent, petites vengeances de tyrans sans lendemain, de potentats ridicules et malfaisants. La France a perdu sa voix. Et le monde lui renvoie tout à coup ses manques, ses faiblesses, ses liens coupables. Et tout est comme si, désormais, ceux qui attendaient de régler des comptes s’en donnaient à cœur joie.
Oubliés les courages. Oubliées les voix de grands ambassadeurs dont la culture et l’engagement rassemblaient les dissidents, organisaient les résistances, protégeaient les victimes. Oubliés ces efforts, ces empathies, ces saisons culturelles, ces partages, ces volontés « d’être avec ». Oubliées ces missions qui prônaient une gouvernance de référence. On ne retient que l’arrogance, dont on se gausse désormais dans les chancelleries. Un « pays des droits de l’homme » (et les guillemets sont de mise) en faillite, ami de dictateurs ravis de ce blanc-seing. Un pays accueillant pour les ennemis de la démocratie (faut-il rappeler Baby Doc, Bokassa ou Khomeiny ?). Ce coq aux ergots plantés dans la fange de la corruption, des accommodements et des ventes d’armes. Cette « realpolitik » arrogante, oublieuse de ses compromissions, dure avec les faibles, compréhensive avec les puissants.
Et pourtant, cette diplomatie, tenue à bout de bras par des hommes et des femmes talentueux, « équilibristes du désastre », avait de l’allure. Elle avait surtout ce mérite de parler d’une voix originale, non alignée.
L’année 2007 et l’élection du nouveau Président de la République a signé une révision déchirante de cette originalité. M. Sarkozy a décidé de rompre avec cette originalité diplomatique qui plaçait la France en interlocuteur attentif et indépendant. Contrant la tradition Gaulliste de la Droite, il a organisé le ralliement à l’OTAN, et a décidé d’appuyer l’engagement de l’Alliance en Afghanistan et en Irak. Sur le plan diplomatique, cet engagement a signé l’abandon de plus de 40 ans d’une politique indépendante et volontariste vers les pays arabes. Ce faisant, la diplomatie française a perdu sa voix. Souvenons-nous que la désormais célèbre « Guerre des Civilisations » de Samuel Huntington fut l’une des constantes de la politique de Georges W. Bush.
La politique « diplomatique » de M. Sarkozy a consisté à s’aligner sur cette interprétation du monde. Sacrifiant au passage le travail patient de diplomates de métier. Les relations diplomatiques ont ce besoin de durée, de patience, de reconnaissance et de connaissances. Pour paraphraser un ancien Président de la République, c’est « donner du temps au temps ».
Après cette « séquence arabe » dont la diplomatie du Président aura du mal à se remettre il faut se remémorer le respect que la tradition diplomatique française inspire à tous les pays indépendants et aspirants à cette indépendance. Tradition respectée et reconnue comme l’origine des Républiques et de toutes les aspirations à la liberté. Le présent de l’Indicatif reste de mise.
Ce qu’on voit de l’épisode tragique actuel de notre République ressemble à une parenthèse bouffonne et pathétique. Personnages d’une saga où l’intérêt et le gain sont les maîtres à gouverner. Visiteurs du jour, influents du moment, décideurs de la politique. Et puis cette détestable impression que la cupidité mène décidemment une politique de coups, un mépris absolu de ceux qui ne sont pas dans ce cercle.
Et la diplomatie, objet de tant de mépris de la part de ce Président qui voulait changer la France ?
On ne dira pas leurs noms. Gloires éphémères de petits marquis bien en cours ou vieille icône d’une saga gaulliste empêtrée dans ses turpitudes pathétiques, la diplomatie de ce quinquennat reflète l’abandon du bien public. Bien plus grave encore, elle dit le mépris de la démocratie et de la fidélité aux valeurs qui ont fondé notre République.
Ce n’est qu’un passage.
La diplomatie reste une affaire de ce talent qui consiste à « laisser passer » l’orage, ignorer si cela se peut, les outrages, et aller de l’avant. On ne peut rien contre cette marée. Celle-ci apporte les traditions des lumières, de Voltaire et de Talleyrand, n’en déplaise au monarque du moment. Notre diplomatie, c’est de la résistance. Et c’est très bien ainsi.
Ce billet se veut un hommage à tous les diplomates, de rang, de délégation qui ont œuvré et qui oeuvrent pour un monde où la compréhension, la justice et la gouvernance partagée soient de mise. Pas de forfanterie ni de « tape à l’œil » chez les gens de talent. Juste cette « justesse » et cette faculté à s’adapter et à comprendre. Et cet accueil qui fait de la représentation un honneur.
Le mépris est-il une forme de gouvernance ?
Je m’interroge pour ceux-là mais aussi pour tous ceux qui sont blessés par une parole officielle. Des vies passées dans l’intégrité d’une fidélité au service public, souvent par tradition familiale. Que cette fidélité et cette intégrité restent les valeurs de notre République. C’est pour l’instant bien peu. Mais c’est immense dans notre Histoire.
Demay