photo: Grey Hand Gang
"Avec nos bidons en fer blanc
On descendait chercher le lait
A la ferme au soleil couchant
Dans l’odeur des soirs de juillet
On avait l’âge des confitures
Des billes et des îles au trésor
Et l’on allait cueillir les mûres
En bas dans la ruelle des morts
On nous disait que Barberousse
Avait ici sa garnison
Et que dans ce coin de cambrousse
Il avait vaincu des dragons
On avait l’âge de nos fêlures
Et l’on était conquistadors
On déterrait casques et fémurs
En bas dans la ruelle des morts
On arrosait toutes nos victoires
A grands coups de verres de Kéfir
Ivres de joie et sans le savoir
On reprenait Mers el KebirPuis c’étaient nos chars en Dinky
Contre les Tigres, doryphores Qui libéraient la french country
En bas dans la ruelle des morts
Que ne demeurent les printemps
A l’heure des sorties de l’école
Quand les filles nous jouent leurs 16 ans
Pour une bouiffe de Royale Menthol
Je n’sais plus si c’était Françoise
Martine, Claudine ou Marie-Laure
Qui nous f’saient goûter leurs framboises
En bas dans la ruelle des morts
Que ne demeurent les automnes
Quand sonne l’heure de nos folies
J’ai comme un bourdon qui résonne
Au clocher de ma nostalgie
Les enfants cueillent des immortelles
Des chrysanthèmes, des boutons d’or
Les deuils se ramassent à la pelle
En bas dans la ruelle des mort." -Hubert Felix Thiéfaine-
photo: Sutkus Antanas
"Mon enfance passa De grisailles en silences De fausses révérences En manque de batailles L`hiver j`étais au ventre De la grande maison Qui avait jeté l`ancre Au nord parmi les joncs L`été à moitié nu Mais tout à fait modeste Je devenais indien Pourtant déjà certain Que mes oncles repus M`avaient volé le Far West Mon enfance passa Les femmes aux cuisines Où je rêvais de Chine Vieillissaient en repas Les hommes au fromage S`enveloppaient de tabac Flamands taiseux et sages Et ne me savaient pas Moi qui toutes les nuits Agenouillé pour rien Arpégeais mon chagrin Au pied du trop grand lit Je voulais prendre un train Que je n`ai jamais pris Mon enfance passa De servante en servante Je m`étonnais déjà Qu'elles ne fussent point plantes Je m`étonnais encore De ces ronds de famille Flânant de mort en mort Et que le deuil habille Je m`étonnais surtout D`être de ce troupeau Qui m`apprenait à pleurer Que je connaissais trop J`avais L`œil du berger Mais le cœur de l`agneau Mon enfance éclata Ce fut l`adolescence Et le mur du silence Un matin se brisa Ce fut la première fleur Et la première fille La première gentille Et la première peur Je volais je le jure Je jure que je volais Mon cœur ouvrait les bras Je n`étais plus barbare Et la guerre arriva.
Et nous voilà ce soir."
-Jacques Brel-